Nous, sinologues, tibétologues, spécialistes des Ouighours, mongolisants, tous concernés par le monde chinois et son actualité ainsi que par la version que les autorités chinoises veulent imposer, avons lu avec stupeur sur le site de Livres Hebdo, sous la plume de Thomas Faidherbe, un article concernant Maxime Vivas présenté comme « auteur, journaliste et critique littéraire », et diffusé dans son intégralité alors que les articles de Livres Hebdo sont normalement réservés dans leur totalité aux seuls abonnés.
Thomas Faidherbe signe un « compte rendu » du dernier livre de Maxime Vivas, Ouighours, pour en finir avec les fake news, qui semble être un copier-coller de ce qui peut être lu dans les organes officiels du Parti communiste chinois. Le livre de Maxime Vivas qui, en France, a reçu un accueil des plus réservés [voir ici et ici], a remporté l’un des 15 prix décernés le 14 septembre, par la Foire internationale du livre de Pékin. On peut légitimement se poser des questions sur l’octroi d’un tel prix, quand on connait le contexte extrêmement lourd de censure et de répression qui sévit dans les milieux universitaires et de l'édition en Chine, et on est en droit de se demander comment il est possible qu’un journaliste accorde le moindre crédit à un prix décerné par la Foire du livre de Pékin, a fortiori en ce qui concerne une thématique aussi politiquement sensible que celle de la situation des Ouïghours au Xinjiang. Quand l’auteur de l’article traite du contenu de ce livre sans esprit critique ni recul, on s’interroge sur les conditions de publication d’un tel article par le magazine.
Que Livres Hebdo mette en avant les prix décernés par le Parti communiste chinois, soit, mais on attendrait d’une revue destinée à des professionnels du livre que les comptes rendus apportent un éclairage critique, circonstancié et argumenté et ne soient pas de simples relais de la propagande chinoise.
Nous bénéficions d’une liberté d’expression que beaucoup de Chinois nous envient. Il convient d’en user à bon escient et non d’être le porte-voix d’un régime qui l’interdit chez lui et favorise la diffusion de ses propres fake news, tout particulièrement s’agissant de la répression des Ouïghours et des camps d’internement du Xinjiang dont l’existence est prouvée depuis plusieurs années.
Il semblerait utile que Livres Hebdo éclaircisse ses positions. Un article critique de fond sur les livres de Vivas (comme l’ont fait Libération et Le Monde) serait le bienvenu pour éclairer les lecteurs dont beaucoup ont été aussi étonnés que nous du manque de recul de l’article en question.
Signataires :
- Jean-Philippe Béja, sinologue, directeur de recherche émérite, CNRS-CERI-Sciences-Po
- Michel Bonnin, sinologue, directeur d’études à l’EHESS
- Katia Buffetrille, ethnologue spécialiste du Tibet, chercheure, EPHE
- Catherine Capdeville, sinologue, professeure, INALCO
- Vincent Durand-Dastès, sinologue, professeur, INALCO
- Brigitte Duzan, sinologue, traductrice et chercheure indépendante
- Marie-Dominique Even, mongolisante, CNRS
- Eric Florence, sinologue, chargé de cours, Université de Liège
- Vanessa Frangville, sinologue, Université libre de Bruxelles
- Chloé Froissart, sinologue, professeure, INALCO
- Gwennaël Gaffric, sinologue, maître de conférences, Université Lyon 3
- Isabelle Henrion-Dourcy, tibétologue, Université Laval
- Jean-François Huchet, sinologue, président de l’INALCO
- Christine Lamarre, sinologue, professeure, INALCO
- Valérie Lavoix, sinologue, maîtresse de conférences, INALCO
- Catherine Legeay, sinologue, professeure agrégée de chinois, INALCO
- Angel Pino, sinologue, professeur, Université Bordeaux Montaigne
- Isabelle Rabut, sinologue, professeure, INALCO
- Dilnur Reyhan, enseignante, INALCO et présidente de l'Institut ouïghour d’Europe
- Françoise Robin, professeure de tibétain, INALCO