Le 21 novembre, dans le XVIIèmearrondissement de Paris, quatre fonctionnaires de la police nationale ont tabassé et manifestement menacé de mort (à l’aide de leurs armes), vingt minutes durant, un jeune producteur de musique qui ne leur résistait pas et dont le seul tort pouvait être d’avoir conduit un scooter sans masque. Il semble qu’en sus, ils aient proféré une série d’insultes racistes à son encontre – ce qui vient questionner leur motivation sinon l’éclairer.
Je suis Mams YAFFA, élu du XVIIIèmearrondissement de Paris. Nous sommes élu·e·s de la République, militant·e·s investi·e·s dans la lutte contre les discriminations.
En des circonstances en partie comparables, Barack Obama déclarait du jeune Trayvon Martin « qu’il aurait pu être [son] fils » ; une autre façon de dire qu’il aurait pu être Trayvon. Aujourd’hui, nous déclarons que nous sommes aussi Makomé, Théo, Gaye, Cédric ou Michel. Nous aurions pu nous trouver à leur place ; nous pouvons – demain – nous trouver à leur place.
Nos torts se résumeraient-il alors à notre couleur de peau ? S’il faut le rappeler, nous sommes filles et fils de France, de l’école de la République ; nous en sommes fier·e·s. S’il faut le rappeler, nous respectons la police de la République : nous y avons nos amis, nos parents. Simplement, la police que nous voulons respecte les valeurs de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité » (dont le Conseil constitutionnel a récemment reconnu la pleine appartenance à notre Constitution) : à cet égard, nous le savons, la majorité des fonctionnaires de police est irréprochable.
Notre crainte vient de ce que, trop souvent, l’État français ne nous semble pas désireux de sanctionner les fonctionnaires de police qui commettent des actes tels ceux survenus le 21 novembre ; elle vient de ce que l’État français nous semble se refuser à former les fonctionnaires de police à la prévention des préjugés de race et de classe, alors que nombre de jeunes policiers viennent de régions où les personnes de couleur sont peu présentes et peuvent, de ce fait, développer des représentations inappropriées.
La publication récente d’un livre intitulé « Flic » sur la réalité d’un commissariat parisien semble le démontrer (puisque cet ouvrage n’a jusqu’à présent fait l’objet d’aucune poursuite en diffamation), ces représentations mentales peuvent être prégnantes (surtout dans les commissariats les plus astreignants, que les fonctionnaires les plus expérimentés demandent à quitter en premier, du fait d’un système d’acquisition des droits à mutation basé sur l’ancienneté... alors qu’ils devraient au contraire y être mieux représentés).
Ces représentations (qu’il faut bien qualifier de racistes) font-elles l’objet de réactions de la hiérarchie ? De politiques publiques ? En ce cas, il convient de questionner leur efficacité puisque la presse et les associations antiracistes rapportent trop de « bavures », trop de morts douteuses, trop de tentatives de mensonge collectif organisé (voire de criminalisation des victimes afin de soutenir que ces dernières auraient « résisté » ou « provoqué » la police). Ces tentatives frauduleuses sont parfois éventées par les enregistrements vidéo de citoyen·ne·s courageux... que l’article 24 du projet de loi du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin veut interdire.
En République, il ne peut exister de citoyen·ne·s de seconde zone. Les fonctionnaires de police les plus nombreux (qui respectent et vivent pleinement ses valeurs et sont au contact quotidien d’une misère humaine qu’ils et elles contribuent souvent à soulager, au-delà de leurs obligations) ne doivent pas voir leur image salie par une minorité de fonctionnaires « en roue libre », parfois aux plus hauts sommets de la hiérarchie - qui se muerait en milice. Nous avons en mémoire les heures sombres de 1961 (sous l’autorité du préfet de police Maurice PAPON, condamné depuis pour crimes contre l’humanité) ou de 1986 (quand deux motards voltigeurs tuaient Malik Oussekine, sous l’autorité du ministre de l’intérieur Charles Pasqua).
Il ne s’agit pas de parler que des Noir·e·s ou des minorités racisées. Les yeux qui hier se détournaient, lorsque nous leur montrions le caractère raciste de telle ou telle affaire, ne peuvent plus ignorer la question de la violence policière. Certaines images (qui doivent pouvoir continuer d’être diffusées, analysées, débattues) semblent montrer qu’une telle violence viserait celles et ceux qui souffrent ou montrent la souffrance : sans-papiers, militant·e·s associatifs, syndicalistes, gilets jaunes, demandeurs et demanderesses d’asile (voire élu·e·s du peuple place de la République, voici quelques jours), journalistes de l’AFP ou indépendant·e·s...
Nous sommes toutes et tous concerné·e·s : l’atteinte aux droits d’un·e seul·e est une menace aux droits de tou·te·s. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le pasteur Niemöller nous avertissait : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. [...] Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
À l’opposé de dérives qui peuvent encore sembler ponctuelles, nous voulons une police digne et respectée parce que digne et respectable ; correctement formée et rémunérée ; justement sanctionnée en cas d’infraction. Cette police est une condition nécessaire de l’État de droit mais ne peut venir de politiques publiques mal définies, mal financées, obsédées par les statistiques au détriment de la qualité du travail d’enquête. Des fonctionnaires de police trop jeunes, trop inexpérimenté·e·s, trop peu formé·e·s, trop peu encadré·e·s, débordé·e·s parce que trop peu nombreux et nombreuses ne peuvent mener à bien leur tâche de la façon la plus sereine et la plus efficace. Si nous n’ignorons aucunement la question des fonctionnaires de police mal intentionné·e·s voire authentiquement racistes, s’il s’agit de traiter cette question sans faiblesse, nous n’entendons nullement pour autant oublier la responsabilité de l’État - de sa hiérarchie, de ses injonctions paradoxales, de ses budgets absents ou insuffisants.
Plusieurs pistes de réflexion existent : pour notre part, nous proposons d’examiner à nouveau, sans délai, les apports d’une police nationale de proximité (instaurée en 1998, trop rapidement supprimée en 2003). Oui, la police que nous voulons est bien formée, bien informée, elle connaît les habitantes et habitants qui l’entourent, elle les respecte comme elle respecte et fait respecter la loi de la République.
Premiers signataires :
Mams YAFFA, adjoint au maire duXVIIIème arrondissement de Paris
Me David AUERBACH CHIFFRIN, avocat et militant associatif ;
Signataires :
Djeneba KEITA, vice-présidente du Grand Paris et adjointe aumaire de Montreuil ;
Nasteho ADEN, conseillère territoriale dePlaine commune et conseillère municipale de Stains ;
Sidonie BAIGNÈRES, adjointe au maire de St-Ouen ;
Lea BALAGE EL MARIKY, adjointe au maire du XVIIIème arrondissement de Paris ;
Jimmy BERTHE, adjoint au maire de Paris-Centre ;
Mariam CISSE DOUCOURE, adjointe au maire de Villiers-le-Bel ;
Assa DOUCOURE, adjointe au maire de Corbeil-Essonne ;
Oumar DRAME, adjoint au maire de Corbeil-Essonnes ;
Akli MELLOULI, adjoint au maire de Bonneuil Sur Marne ;
Anzoumane SISSOKO, adjoint au maire du XVIIIèmearrondissement de Paris ;
Faouzi BERTRAND, conseiller municipal de St-Ouen ;
Malamine DIAGOURAGA, conseiller municipal de Bondy ;
Dawari HORSFALL, conseiller municipal du groupe « Massy verte citoyenne » ;
Fabrice NGALIEMA, conseiller municipal de Boissy-St-Léger ;
Manal KHALLOUK, conseillère municipal déléguée du XVIIIème arrondissement de Paris ;
Mamadou KONTE, conseiller municipal délégué de Colombes ;
Aïssata SECK, conseillère municipale de Bondy ;
Fodie SIDIBE, conseiller municipal délégué de Stains ;
Bakary SOUKOUNA, conseiller municipal d’opposition de St-Denis ;
Hatouma SYLLA, conseillère municipale de Grigny ;
Djangou TRAORE, membre du conseil citoyen du Franc-Moisin à St-Denis ;
Bathily ALY, collaborateur d’élu et Bocar NIANE, attaché territorial
Issa DEMBELÉ, Amadou KA, Samba NANGANÉ, Abdou SIDIBE et Modibo TOUNKARA, militants associatifs