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Tribune 4 mai 2020

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Le poumon artificiel par pompe d’oxygénation extra corporelle, une pénurie vitale méconnue

Alors que le plateau épidémique du Covid-19 semble atteint, la situation reste critique sur les plateaux de réanimation. Un collectif de chirurgiens d'un service de chirurgie cardiaque interpelle les autorités sur la pénurie des machines ECMO (poumon artificiel par pompe d’oxygénation extra corporelle) lorsque la ventilation ne suffit plus: «nous considérons qu’il est de notre responsabilité de donner l’alerte sur cette pénurie».

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La prise en charge complète des formes graves de patients atteints par le Covid-19 comprend non seulement un lit de réanimation avec du personnel spécialisé et un respirateur, mais aussi la possibilité d’avoir un poumon artificiel par pompe d’oxygénation extra corporelle (ECMO) lorsque la ventilation ne suffit plus. Alors que le plateau épidémique semble atteint et que le nombre d’entrées en réanimation diminue, les réanimations provisoires ferment les unes après les autres ce qui sature complètement les services de réanimations spécialisés à même de prendre en charge les patients les plus graves. Par cette tribune, nous souhaitons rappeler aux autorités compétentes leur obligation de moyens face à la pénurie des machines d’ECMO et de lits de réanimation dédiés ne permettant pas de prendre en charge tous les malades graves qui devraient l’être afin de réduire au maximum la mortalité de la pandémie.   

La mortalité du coronavirus SARS-Cov2 est liée à un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Dans l’urgence, le traitement consiste à hospitaliser les patients graves en réanimation pour les ventiler à l'aide d'un respirateur. La mortalité sous respirateur reste très élevée, de l'ordre de 50 à 70%, avec pour principal facteur de risque l'âge (80% des décès sont des patients de plus de 65 ans) et le surpoids. La mise en place d’un poumon artificiel par pompe d’oxygénation extra corporelle (ECMO) permettrait de sauver 50% des patients ayant des critères précis d’implantation comme nous en avons l’expérience dans les formes graves de grippe saisonnière ou H1N1. L’ECMO est d’ailleurs recommandée par la Société Française de Chirurgie Thoracique et Cardio Vasculaire (SFCTCV), la Société de Réanimation de Langue Française et la Société Française d’Anesthésie Réanimation ainsi que par l’Organisation Mondiale de la Santé pour la prise en charge des patients graves COVID-19 dans des centres experts.

En Ile-de-France, une coopération inédite entre les structures publiques et privées s’est rapidement mise en place, coordonnée par l’hôpital de la Pitié Salpétrière en lien avec l’Agence Régionale de Santé. Des unités mobiles d’assistances circulatoires (UMAC) vont implanter 24h/24 des ECMO à des malades dont le pronostic vital est engagé avant de les rapatrier si possible dans des réanimations spécialisées. Avec plus d’implantation d’ECMO en un mois que sur la totalité de l’année 2019, la France montre le chemin d’une prise en charge moderne permettant de réduire la mortalité du Covid-19, ce qui n’avait jamais été réalisé dans les autres pays touchés par cette pandémie.

Cependant, alors même que le plateau épidémique semble atteint et que le nombre d’admissions en réanimation diminue, la situation reste critique. En effet, la pénurie d’ECMO ainsi que la fermeture des réanimations provisoires conduit à un engorgement des services de réanimations spécialisées à même de prendre en charge les malades les plus graves dont les complications mortelles surviennent de façon décalée par rapport à leur admission. En clair, malgré tous les efforts de la coordination depuis le début de l’épidémie, nous ne sommes pas en mesure de traiter l’ensemble des patients éligibles à ce traitement vital comme nous le ferions habituellement. Cette pénurie restreint l’accès à l’ECMO aux patients de plus de 60 ans et/ou ayant des facteurs de risques associés. Au-delà de ces patients, d’autres indications comme l’arrêt cardiaque extra hospitalier et les prélèvements d’organes sous ECMO sont suspendues, ainsi que toutes les opérations programmées pour des chirurgies cardiaques chez les patients ne présentant pas d’urgence imminente bien que leur pronostic vital soit engagé à court ou moyen terme. C’est la raison pour laquelle la SFCTCV a envoyé un message d’alerte en ce sens à la Direction générale de l’organisation des soins.

Si des efforts extraordinaires ont été réalisés par tous les acteurs de santé depuis le début de la crise, ceux-ci ne doivent pas se relâcher. En effet, il est nécessaire de continuer à recruter du personnel dédié, afin de mieux structurer le parcours de soin dans des réanimations spécialisées dans la prise en charge des malades les plus grave sous ECMO. Il serait aussi utile de nommer un coordonnateur national (avec des coordonnateurs régionaux) en charge des machines d’ECMO pour aider les équipes médicales à mieux mutualiser le matérielsur le plan national et européen. Sur initiatives individuelles, des collaborations européennes ont déjà eu lieu avec des centres allemands et autrichiens qui ont acheminés en urgences des ECMO en Ile de France. De plus, à l’instar de ce qui a été fait pour les respirateurs, il serait nécessaire d’avoir une mobilisation des industriels français, européens et internationaux pour fabriquer en urgence des ECMO qui sont aujourd’hui en rupture de stock partout dans le monde.  

Par ailleurs, afin d’encourager les structures à développer ces activités vitaleset lorsque la situation sera stabilisée, il sera nécessaire de revaloriser la prise en charge des malades sous ECMO. En effet, les actes d’implantations d’ECMO par les unités mobiles d’assistances circulatoires s’effectuent aujourd’hui à perte pour les hôpitaux en l’absence de cotations spécifiques. De même, les séjours de plusieurs semaines en réanimation pour les patients sous ECMO, ne sont pas financés à la hauteur de la lourdeur des soins. Par ailleurs, des financements spécifiques de recherche clinique devront être débloqués pour évaluer à distance le devenir de tous ces patients.

Enfin, alors que l’Agence Régionale de Santé a demandé la semaine dernière à l’ensemble des centres d’Ile de France de re-valider un accès restreint à l’ECMO, nous considérons qu’il est de notre responsabilité de donner l’alerte sur cette pénurie afin que, conformément à notre obligation de moyen, nous puissions traiter le plus rapidement possible tous les patients qui en ont besoin et ainsi réduire au maximum la mortalité de cette pandémie. 

Signataires :

Alexandre Azmoun, chirurgien
Mathieu Debauchez, chirurgien, chef de service
Nizar Khelil, chirurgien
Emmanuel Lansac, chirurgien
Konstantinos Zannis, chirurgien
Service de chirurgie cardiaque de l’Institut Mutualiste Montsouris, Paris