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Billet de blog 4 décembre 2023

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Comment financer un hôpital ? Quelle place pour la tarification à l’activité (T2A) ? Quelle régulation ?

André Grimaldi, François Bourdillon, Michel Canis et Michek Naiditch, quatre médecins du Collectif de Professionnels et de Patients pour la Refondation de la Santé (CPPRS) expliquent ici de façon très pédagogique comment « placer la santé hors des lois du marché », en remplaçant la régulation comptable par une régulation médicale.

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La première question que l’on doit se poser dans le cadre de la planification de la dépense publique de santé est : « quelles dépenses la société souhaite consacrer à la santé : aux soins et à la prévention ?  ». Et « quelles recettes en conséquence mobiliser ? ».

L’écart entre les dépenses et les recettes est à l’origine de la création du fameux « trou de la Sécu » a été utilisé politiquement pour limiter la dépense publique. Les exonérations de cotisations sociales en général motivées au nom de l’emploi, non compensées par l’État depuis l’abrogation en 2019 de la loi Veil de 1994, ont aggravé la situation.

Et la Sécu a donc été obligée pour combler son trou, d’emprunter sur les marchés par l’intermédiaire de la CADES… et nous n’en finissons pas de rembourser le principal et les intérêts

La régulation comptable

Depuis le plan Juppé de 1996, le Parlement vote chaque année un objectif national des dépenses de l’Assurance maladie (ONDAM). Pendant des années cet objectif fut régulièrement dépassé. La tentative d’Alain Juppé d’instaurer une régulation comptable des dépenses de la médecine de ville en instaurant une pénalité collective des médecins libéraux en cas de dépassement des dépenses provoqua la mobilisation de la profession obtenant le retrait de la mesure.

Depuis, aucun gouvernement ne s’est hasardé à tenter d’instaurer une régulation comptable de la médecine libérale. Après la crise économique de 2010, suivant la crise financière de 2008, le gouvernement a mis en place une régulation comptable de l’ONDAM transformant ce qui n’était qu’un objectif en un budget contraint indépassable.

Pour ce faire, il a fait porter la contrainte sur l’hôpital en utilisant deux mesures : la première consiste en  une mise en réserve dite « prudentielle » de plusieurs centaines de millions d’euros qui jusqu’en 2018 ne furent pas rendues en fin d’exercice aux hôpitaux mais furent utilisées pour combler le dépassement des dépenses par la médecine de ville ; la deuxième mesure, a été de créer une relation inverse entre le volume de l’activité et le montant des tarifs de la T2A : lorsque l’activité augmente, les tarifs payés aux hôpitaux par la Sécurité sociale baissent. Ce coup de rabot est appliqué de façon aveugle car n’interrogeant jamais la pertinence de l’activité.

Le déficit des hôpitaux

Cette double régulation comptable appliquée a priori a entraîné le déficit chronique des hôpitaux et abouti en 2017 à une baisse d’activité. Malgré la gravité de la crise hospitalière, le gouvernement n’a accepté de rehausser modestement les tarifs de 0.2% qu’en 2019 après les avoir encore baissés en 2018 de 0.5%.

Après la parenthèse de la pandémie du Covid 19, qui avait suspendue la régulation de l’ONDAM, le gouvernement, contrairement à ses déclarations durant la crise a repris la même politique de régulation des dépenses, en diminuant les remboursements des soins dentaires, en envisageant un doublement des franchises médicales (décision pour le moment reportée) et surtout en continuant à voter un budget dont la progression de 3.2% est délibérément en deçà de l’augmentation naturelle évaluée par la direction de la Sécurité sociale à 4.6% (compte tenu de l’augmentation des salaires, de l’envolée du coût de l’énergie et de l’inflation).

Quel financement pour l’hôpital ?

En matière de financement des établissements de santé, il convient d’abord de séparer le financement des soins du financement du bâti et de la logistique et de leur entretien ainsi que des investissements.  Rien de commun entre un hôpital monobloc et un hôpital comme la Pitié Salpêtrière comportant 90 bâtiments répartis sur 33 hectares et nécessitant un service d’ambulances intérieures.

Ceci dit, il existe fondamentalement trois modes de financement de l’activité de soins. Il peut se faire :

  • soit à la journée comme à l’hôtel,
  • soit par une dotation annuelle comme l’armée étant entendu que la dotation doit être abondée en cas de guerre ; ou comme l’éducation nationale étant entendu que la dotation doit être adaptée d’une année sur l’autre au nombre d’élèves,
  • soit enfin à l’activité comme le paiement (forfaitaire) à la consultation, à la séance, au séjour ou à la période de soins.

La France a connu ces trois modes successivement : le prix de journée de 1945 à 1983, la dotation globale annuelle de 1983 à 2008 puis la tarification à l’activité. Chacun de ses modes de financement a des avantages et des inconvénients : le paiement à la journée tend à augmenter abusivement la durée de séjour, le paiement à la dotation n’incite pas au développement de l’activité contrairement à la tarification à l’activité qui en retour n’incite pas à la pertinence.

Chaque mode de financement doit donc être l’objet d’une « régulation spécifique » portant sur la durée moyenne de séjour pour le prix de journée, sur l’activité pour la dotation globale annuelle et sur la pertinence des soins pour la T2A.

La logique voudrait donc qu’on choisisse un mode mixte de financement pour payer les différents types d’activité de l’hôpital. Par exemple :

  • Les soins palliatifs de fin de vie devraient être payés par un prix de journée et non par la T2A qui introduit de façon choquante la recherche de rentabilité.
  • Inversement la T2A est le mode le plus adapté pour financer les activités programmées, standardisées, normées comme la chirurgie ambulatoire, la dialyse rénale, la médecine interventionnelle “ froide ” comme la pose de stents coronariens ou la coloscopie. Toutefois, la volonté du régulateur d’instaurer une régulation prix/volume via la T2A ( quand l’activité augmente les tarifs baissent automatiquement) et de réorienter l’ activité en récompensant certaines activités comme la chirurgie ambulatoire au détriment d’autres activités, a conduit à décorréler les coûts réels des tarifs remboursés.
  • Par ailleurs le dispositif de financement des hôpitaux ou les regroupements hospitaliers ayant des services d’accueil des urgences ou de réanimation doivent intégrer le surcout lié à la nécessité de disposer d’un quota de lits libres avec les personnels formés correspondant pour faire face aux fluctuations annuelles de leur activité. Pour les services de réanimation, le prix de journée pourrait être le plus approprié, en prenant en compte, comme nous l’avons dit, la nécessité de disposer de lits vides mobilisables immédiatement.
  • Quant aux maladies chroniques, elles sont caractérisées à la fois, par une grande variabilité d’un patient à l’autre liée à l’évolutivité de la maladie dans le temps avec des alternances de période stable et d’autres aigues ou intervient fortement la capacité variable des patients à s’autogérer et par des progrès thérapeutiques entraînant des modifications fréquentes des modalités de prises en charge. C’est pourquoi, cette activité devrait être financée par une dotation annuelle. Le montant de cette dotation annuelle serait initialement fixé à partir des budgets actuels, corrigés pour les établissements et les services actuellement sous financés. Elle évoluerait d’une année à l’autre en fonction de critères simples et robustes : file active, nombre de nouveaux patients, degré de gravité de 1 à 4, degré de précarité.

Une absence de politique de pertinence des soins

Toutes les enquêtes estiment que 20 à 30% des actes et des prescriptions sont injustifiées, le paiement à l’acte et à l’activité poussant à la multiplication d’actes et d’activités rentables pour le prescripteur ou l’établissement mais non pertinent pour le malade et donc inutilement coûteux pour la collectivité. Cependant force est de constater qu’il n’existe pratiquement pas dans notre pays de politique visant à améliorer la pertinence des actes et des prescriptions.

Cette politique appliquant le principe éthique du juste soin pour le patient au moindre coût pour la collectivité devrait s’appuyer sur des bases de données permettant des comparaisons de pratiques. De ce point de vue, il est urgent de disposer d’une base de données anonymisées pour la médecine de Ville à côté des bases de données de la Sécurité sociale (SNIIRAM) et de l’hôpital (PMSI) tout en améliorant le PMSI dévoyé par la T2A.

Cette politique devrait être pilotée par une commission mixte de la Sécurité sociale et de l’HAS. Elle devrait mobiliser l’ensemble des sociétés savantes, des professionnels et des représentants d’usagers en leur demandant de retenir 3 à 5 objectifs annuels par spécialités et destinées à être suivis et évalués par territoire et par établissement. Encore faut-il dans le même temps modifier les modes de rémunération des professionnels ou de financement des établissements afin qu’ils n’incitent pas à multiplier indûment les actes en augmentant la facture à la Sécurité sociale.

Le leurre du financement à la qualité

Le financement à la qualité censé contrebalancer les effets délétères du financement à la quantité encouragé par la T2A est un leurre pour la bonne raison que la qualité n’est pas en médecine un plus facultatif (« nos prix s’entendent par la qualité »). C’est une exigence auxquels tous les professionnels se sont engagés par serment (maintenir ses connaissances par une formation continue, ne pas dépasser son domaine de compétence, informer pleinement le patient, demander son accord et respecter sa décision).

La qualité doit être évaluée de façon anonyme notamment par les patients. Des indicateurs existent déjà pour mettre en évidence et réduire la disparité des résultats. Mais ils ne doivent pas servir à une pratique de bonus financier. Car qui faut-il récompenser ?

C’est inutile pour ceux qui faisant bien ne font que leur métier ; scandaleux pour ceux qui font mal ; pour ces derniers un plan d’amélioration de la qualité serait plus approprié.  D’autant que les sommes allouées à la qualité étant prélevées sur une enveloppe budgétaire globale fermée, le bonus des uns est fait du malus des autres, autrement dit pour conforter la qualité du travail des uns, on prendrait le risque de dégrader un peu plus la qualité du travail des autres.

Last but not least, le paiement à la qualité mis en place en Angleterre depuis 2004 puis aux USA n’a pas pu démontrer qu’il permettait d’améliorer durablement la qualité. Il a même montré qu’il pouvait dégrader les indicateurs ne faisant pas l’objet d’un financement supplémentaire.

Pour améliorer la qualité, financer la formation des professionnels et améliorer les conditions de travail notamment par l’embauche de personnels en s’appuyant sur la définition de ratios est la voie à suivre

La mort annoncée de la T2A était un « fake »

La T2A n’a pas été utilisée comme un simple outil technique de financement adapté à certaines activités et pas à d’autres. Elle a été utilisée au service de la politique de l’hôpital entreprise, mettant en concurrence les 3 types d’établissements : les hôpitaux publics, les établissements privés à but non lucratifs et les cliniques commerciales.

Puis elle a servi d’outil de régulation pour contenir les dépenses de santé grâce à une baisse continue des tarifs par rapport aux coûts réels. Cette « flottaison » des tarifs a amené le président de la République lors de ses vœux de 2023 au monde de la santé, à annoncer la fin de la T2A. C’était un « fake ».

Il faut remettre la T2A à sa place, recorréler les tarifs aux coûts et promouvoir des financements mixtes (prix de journée, dotation et T2A) en fonction de la nature des activités. Il faut surtout remplacer la régulation comptable mise en œuvre a priori par une régulation médicale appliquée a posteriori et fondée sur la pertinence des soins.  Bref comme avait dit un jour, pas si lointain,  le même président : « placer la santé hors des lois du marché ».

Signataires :

André Grimaldi, diabétologue, professeur émérite au CHU Pitié Salpêtrière

François Bourdillon, médecin de santé publique, ancien directeur de Santé publique France

Michel Canis, chirurgien Gynécologue CHU de Clermont-Ferrand

et Michek Naiditch, médecin de santé publique Pôle de ressource en éducation thérapeutique et accompagnement d'IdF  

pour le Collectif de Professionnels et de Patients pour la Refondation de la Santé (ici le site du CPPRS)

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