Au tout début de son réquisitoire devant la Cour de Justice de la République, le procureur général François Molins a tenu à saluer le rôle des victimes de l’attentat de Karachi dans la mise au jour du financement illégal de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur grâce à la mise en place d’un circuit de rétrocommissions sur les ventes d’armement.
Face au banc vide des prévenus, qui n’ont pas jugé utile de se rendre au tribunal, se tenait le banc vide des parties civiles, puisque la Cour de Justice de la République interdit à tout justiciable de se constituer partie civile devant elle. Elle l’interdit même à ceux sans qui ces faits gravissimes n’auraient jamais été jugés et qui demeurent les principales victimes de ce système de rétrocommissions illégales ; nous. Nous nous sommes battus pour porter cette affaire devant la justice parce que nous savons, et plus encore aujourd’hui qu’hier, que la mise en place de ce réseau d’intermédiaires dit réseau K sur les contrats d’armement avec le Pakistan et l’Arabie saoudite est responsable de l’attentat qui a blessé nos chairs et tué nos collègues, nos époux, nos frères, nos fils. Pourtant, nous n’avons pas eu droit à la parole dans ce procès.
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, nous étions présents et représentés au procès de ceux qui ont mis en place ce système de rétrocommissions, condamnés pour la grande majorité d’entre eux à des peines d’emprisonnement ferme, mais absents à celui des principaux bénéficiaires dudit système contre lesquels de simples peines d’emprisonnement ont été requises. Car les réquisitions de Monsieur François Molins à l’encontre de Messieurs Balladur et Léotard ont été sans commune mesure avec celles requises par le parquet contre Messieurs Bazire, Takieddine, Gaubert et consorts devant le tribunal correctionnel, allant jusqu’à 7 ans d’emprisonnement.
Cette disparité ne peut s’expliquer que par la survivance de cette juridiction politique qu’est la Cour de Justice de la République. Les ministres sont jugés par leurs pairs, et les citoyens par des magistrats : comment une telle violation de l’égalité des citoyens face à la loi est-elle encore supportable au 21ème siècle ? Nous avions été reçus par Monsieur François Hollande, au tout début de son mandat, qui nous avait assuré qu’il allait porter le projet de révision constitutionnelle pour que disparaisse la CJR.
Il n’en a finalement jamais été question. Emmanuel Macron avait lui aussi promis cette suppression en 2018, avant d’y renoncer. Mais nous sommes habitués aux promesses non tenues : voilà des années désormais, depuis le départ de Monsieur Marc Trevidic en 2015, que l’information judiciaire consacrée à l’attentat de Karachi est au point mort. Plus aucun acte, plus aucune commission rogatoire, plus aucune investigation depuis 6 ans : la justice politique nous a écartés, et la justice antiterroriste nous délaisse. Nous restons les témoins vivants de ce que la justice peut charrier de pire : l’abandon et le mépris des victimes.
Signataires :
Cécile Delavie,
Virginie Martin,
Claude Etasse,
Jérôme Eustache,
Frédéric Labat,
Christophe Polidor,
Gilles Sanson, victimes de l’attentat de Karachi.