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Tribune 9 novembre 2025

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« La Géorgie donne l’exemple frappant d’un recul démocratique extrêmement rapide »

Mediapart publie une lettre exclusive d’Elene Khoshtaria, présidente du parti d’opposition pro-européen Droa. Placée en détention provisoire depuis le 15 septembre 2025 pour avoir tagué une affiche électorale du parti au pouvoir, le Rêve géorgien, elle risque entre 7 et 15 ans de prison.

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« Ce dont nous sommes témoins en Géorgie n’est pas une simple crise nationale. C’est une crise à trois dimensions : géopolitique, autocratique et humanitaire.

Le régime en place, sous la direction du Kremlin, mène une guerre hybride afin de prendre le contrôle du pays, mettre fin à son intégration euro-atlantique et créer une zone d’instabilité dans la région du Caucase.

Pour ce faire, la Russie utilise sa machine de propagande, l’argent et la violence par le biais du régime de l’oligarque russe Ivanichvili : une dérive qui s’est intensifiée après l’invasion russe en Ukraine. [Bidzina Ivanichvili, dont la fortune est estimée à 2,7 milliards de dollars (2,28 milliards d’euros) est franco-géorgien. Il est le co-fondateur du Rêve géorgien et, selon une large majorité d’analystes, contrôle le pays en sous-main – ndlr]

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Elene Khoshtaria prend la parole devant des citoyens géorgiens rassemblés pour protester contre le Premier ministre Giorgi Gakharia à Tbilissi, le 20 septembre 2019. © Photo Davit Kachkachishvili / Anadolu via AFP

La Géorgie donne l’exemple frappant d’un recul démocratique extrêmement rapide. L’oligarque, qui a fait fortune en Russie, contrôle aujourd’hui toutes les institutions de l’État. La dernière dont il devait reprendre le contrôle était le système électoral : ce fut fait en 2024 [lors d’élections parlementaires – ndlr]. Une fois que vous contrôlez le système judiciaire, l’économie, les entreprises, et que vous avez supprimé les élections, vous pouvez alors librement recourir à l’extrême violence, exercer des pressions politiques et consolider votre pouvoir.

Cet objectif atteint, le soi-disant Premier ministre [Irakli Kobakhidzé – ndlr] a annoncé [en novembre 2024] qu’il mettait fin à toute intégration de la Géorgie à l’UE. Cela n’aurait pas été possible sans avoir au préalable un contrôle total, tant cette décision est contraire à la volonté de 80 % de la population.

« Notre stratégie consiste à ne pas reconnaître le régime, à désobéir, à délégitimer le système »

Au cours de la dernière année, des centaines de personnes ont été sévèrement agressées et blessées. Il y a plus d’une centaine de prisonniers politiques - parmi lesquel·les des étudiant·es, des enseignant·es, des journalistes, des artistes et des responsables politiques issu·es de tous les partis pro-occidentaux. Des lois répressives et anticonstitutionnelles ont été adoptées, interdisant la liberté d’expression, les ONG et les partis politiques.

Dans le même temps, cette année a été marquée par une résistance constante, forte, obstinée et implacable. Les responsables politiques, les ONG et les citoyen·nes géorgien·nes se sont engagé·es dans une lutte pacifique pour sauver le pays.

Cela fait près d’un an que le peuple géorgien manifeste chaque jour. Aucun des prisonniers politiques n’a cédé aux pressions du système. Notre stratégie consiste à ne pas reconnaître le régime, à désobéir, à délégitimer le système et à organiser des manifestations partout sur le territoire : nous continuerons aussi longtemps qu’il le faudra.

Comme nous pensons que l’intrusion de la Russie est un défi non seulement pour la Géorgie, mais aussi pour [le Caucase] et l’Europe dans son ensemble, nous estimons qu’il est temps que l’UE agisse de manière stratégique. Le régime est vulnérable aux pressions financières. Les interdictions de voyager sont aussi efficaces, en particulier pour les fonctionnaires subalternes qui se livrent à des actes de violence et des malversations.

Celles et ceux qui participent à la lutte en Géorgie s’attendent à être injustement arrêtés, donc j’étais tout à fait prête.

Je n’ai pas eu de choc émotionnel à cet égard. Je ressens de la fierté et un privilège de pouvoir sacrifier mon confort pour mon pays et pour l’avenir de l’Europe.

Mon grand-père a été tué par les communistes en 1938. Mon père [Giorgi Khoshtaria – ndlr] a aussi été arrêté, puis il s’est battu pour l’indépendance de la Géorgie, devenant le premier ministre des affaires étrangères de la Géorgie indépendante [en 1990 – ndlr]. J’ai grandi avec un sentiment de responsabilité de protéger la Géorgie de la Russie, ce cancer du XXIe siècle.

Je passe la plupart de mes journées à lire ou à écrire. Je lis plusieurs livres à la fois. En ce moment, je suis sur La République de Platon ; De la liberté de Timothy Snyder ; Comment fonctionne l’esprit, de Steven Pinker ; Le Pouvoir des sans-pouvoir, de Václav Havel ; et Albert Camus, que j’aime tant !

Depuis ma dernière incarcération, je n’ai pas subi de violence. La dernière fois que j’avais été arrêtée [en mars 2025 – ndlr], on m’avait violemment déshabillée pour m’humilier. Cette fois, et jusque-là, je n’ai pas de récrimination.

Elene Khoshtaria

Prison de Rustavi

Aile N5, Cellule 21 »

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Lettre obtenue et traduite par Théo Bourgery Gonse