À la veille du deuxième congrès national de Podemos les 11 et 12 février à Madrid, les débats sont vifs sur les orientations futures du parti, tant en termes de stratégie politique que de fonctionnement interne. Les avis divergent sur la nouvelle feuille de route que doit suivre Podemos face à un contexte politique qui a changé : alors que le congrès fondateur de Vistalegre en octobre 2014 avait débouché sur la mise en place d’une « machine de guerre électorale » pour remporter les élections municipales, régionales et surtout législatives de 2015, ce cycle électoral s’est aujourd’hui refermé. Certes, la jeune formation anti-austérité, lancée en janvier 2014, n’a pas réussi son pari de « prendre d’assaut » le pouvoir à l’échelle nationale. Elle a toutefois fait son entrée dans de nombreuses institutions, en remportant les grandes villes du pays dans le cadre de coalitions d’unité populaire plus larges, comme Barcelona en Comú, et en formant l’une des principales forces d’opposition au Congrès des députés et dans les Parlements régionaux. Cette percée électorale de Podemos, en bousculant le bipartisme, constitue un changement majeur dans le système de partis espagnol issu de la transition démocratique à la fin des années 1970.
Pour interroger le processus de changement social et politique que connaît l’Espagne depuis le mouvement des Indignés en mai 2011 (dit « 15M »), une table-ronde a été organisée le 27 janvier au colloque du GIS « Démocratie et participation » sur les expérimentations démocratiques aujourd’hui. Elle a croisé les regards et expériences de trois acteurs du changement : Leticia Sánchez (28 ans) est secrétaire générale de Podemos Parla et membre du conseil citoyen régional de Podemos, Alfredo Ramos (38 ans) est assistant parlementaire de Podemos au Parlement régional de Madrid, et Joan Subirats (65 ans) est professeur de science politique à l’Université autonome de Barcelone et membre actif de Barcelona en Comú. Si Barcelone et Madrid font partie des « mairies du changement » depuis juin 2015, Podemos se trouve dans l’opposition dans la région de Madrid et à Parla, une ville de la banlieue populaire au Sud de la capitale. Le débat, que nous avons animé avec Joan Font, a porté sur les liens entre les Indignés et Podemos ou Barcelona en Comú, et a interrogé les pratiques démocratiques mises en place au sein des administrations publiques et de ces nouvelles formations politiques.
On présente souvent les nouveaux partis comme Podemos ou Barcelona en Comú comme une traduction électorale du 15M. Pourtant, cette mobilisation n’a pas tout de suite eu un débouché institutionnel. Les Indignés étaient même très critiques à l’égard des partis. Comment voyez-vous ces liens entre le 15M et les nouvelles formations politiques ?
Alfredo Ramos : On peut distinguer trois principaux éléments de continuité entre le 15M et Podemos. Le premier concerne l’innovation et l’imagination démocratique. Le 15M signifie une rupture fondamentale dans la manière de concevoir la politique en Espagne. On pense autrement ce qu’est et ce que peut être la démocratie, comment élargir les frontières du politique. Un nouvel imaginaire démocratique émerge avec les Indignés, que reprend ensuite Podemos. Un deuxième élément est lié à la lutte contre un régime qui entre en crise. Le 15M n’est pas seulement une réponse à la crise économique de 2008, il met aussi en évidence la crise du régime politique et des partis qui prévaut depuis le retour à la démocratie en Espagne. Podemos s’inscrit dans cette brèche ouverte par les Indignés. Le troisième élément de continuité est la possibilité d’agir autour de nouvelles identités politiques. Le 15M dépasse les clivages classiques entre la gauche et la droite, et montre qu’il est possible de construire une majorité au-delà des gauches classiques. Ce sera le projet de Podemos. Mais ce parti représente aussi une grande rupture par rapport aux Indignés, en cherchant à conquérir le pouvoir institutionnel. Le choix fait lors du congrès fondateur de Vistalegre est de mettre en place ce qu’on a appelé la machine de guerre électorale. On a souvent vu ce moment comme une trahison symbolique du 15M. Il y a effectivement eu une fermeture bureaucratique, en optant pour une nouvelle manière de s’organiser qui n’était pas aussi démocratique qu’on l’aurait voulu. Cette stratégie peut être critiquée, mais un fait incontestable est que ce type d’organisation a permis un succès électoral historique des partis du changement à l’échelle nationale. C’est aussi lié à un nouvel élément qu’apporte Podemos par rapport au 15M et aux gauches alternatives : la possibilité de gagner, de situer tout ce champ d’expérimentations démocratiques au centre des institutions.
Leticia Sánchez : Le 15M exprime un fort mécontentement vis-à-vis des politiques d’austérité menées par les deux partis qui alternent au pouvoir depuis la fin de la dictature, le Parti socialiste et le Parti populaire. Le message des Indignés est à la fois très puissant et très simple, en disant « Ils ne nous représentent pas » ou « Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des banquiers ». Surtout, le 15M montre que les problèmes ne sont pas individuels mais qu’ils sont partagés : si on m’expulse de mon logement, ce n’est pas moi qui suis responsable, mais ceux qui gouvernent pour une minorité. Même si un collectif de jeunes impulse le mouvement, la nouveauté du 15M est de réunir des gens très différents, d’âges variés et qui, comme moi, n’avaient pas forcément milité auparavant dans un parti politique. Ce n’est pas un mouvement traditionnel de militants, mais de gens qui voulons simplement une vie digne et que nos droits soient respectés. Dans une assemblée du 15M, peu importe d’où tu viens ou pour qui tu as voté, ce qui compte est d’être d’accord sur l’essentiel : comme nos droits sont remis en cause, nous allons les défendre ensemble. On ne s’identifie donc plus à partir des étiquettes traditionnelles, comme la gauche et la droite, mais on commence à définir un sujet commun à partir d’autres clivages qui nous rassemblent, en opposant ceux d’en haut et ceux d’en bas. Cela permet de créer une majorité sociale disposée à lutter pour ses droits. Le changement nous semble possible, parce qu’on est nombreux. Les revendications sont concrètes, il nous manque seulement une organisation. À partir du 15M, les gens commencent à se structurer en associations, en collectifs, en mouvements d’habitants. Un autre outil émerge pour porter toutes ces demandes des places vers les institutions : Podemos. La vague d’espoir se traduit ensuite dans les villes avec ces candidatures d’unité populaire qui sont très diverses, mais qui reprennent la même idée que le 15M : peu importe d’où nous venons, l’essentiel est ce que nous avons en commun. Nous devons faire en sorte que la politique soit pour les citoyens et pas pour les élites.
Joan Subirats : Je vais parler de l’expérience de Barcelone, et donc de la relation entre le 15M à Barcelone et la construction de ce mouvement politique qu’on a d’abord appelé Guanyem, qui prendra ensuite le nom de Barcelona en Comú et qui gouverne aujourd’hui la ville de Barcelone. Il est évident que Barcelona en Comú n’existerait pas sans le 15M, mais le 15M à Barcelone est beaucoup plus large que Barcelona en Comú. Cette distinction est importante : on ne pourrait pas expliquer l’existence de Guanyem, de Barcelona en Comú et d’Ada Colau comme maire de Barcelone sans le 15M, mais personne ne dira que c’est la même chose. Le lendemain du 15 mai 2011, un dirigeant socialiste catalan très connu m’appelle pour me demander « toi qui connais ces gens, qui sont-ils, comment nous pouvons les intégrer et avec qui je dois parler ? ». Trois questions absurdes : ils ne savent pas encore ce qu’ils veulent, tu ne peux parler à personne parce qu’il n’y a pas de représentant, et tu ne pourras jamais les intégrer. Le 15M a ainsi signifié un débordement de la situation politique qui était contrôlée par les partis traditionnels. Ce débordement n’est pas seulement numérique, avec les rassemblements massifs sur les places. Il touche aussi l’agenda politique, qui n’est plus capturé par la classe politique professionnelle. Un nouvel agenda politique émerge, lié à l’avenir des jeunes, au quotidien, à l’idée que faire attention aux autres fait aussi partie de la politique. Il y a également un rejet de l’association entre représentation et substitution : ils ne nous représentent pas parce qu’ils ne font pas ce qu’ils disent et ne vivent pas les problèmes que nous vivons. La qualité démocratique du système est interpellée, une nouvelle éthique politique est exigée.
L’une des revendications du 15M était une « démocratie réelle ». Elle a eu un impact sur les pratiques de démocratie interne des Indignés, au sein des assemblées. Elle s’est aussi traduite par la demande de mécanismes de participation citoyenne dans les institutions. Quelles pratiques participatives ont été mises en place dans les administrations où vous vous trouvez ?
Joan Subirats : À Barcelone, malgré l’existence de 500 conseils participatifs sectoriels, la sensation était que la mairie faisait ce qu’elle voulait. Il ne faut pas confondre la participation dans les politiques publiques et l’existence de conseils participatifs formels, qui se sont accumulés dans le temps et n’ont aucune autonomie. À Barcelona en Comú, nous revendiquons une coproduction des politiques publiques, qui associe les citoyens au diagnostic du problème. En général, on fait appel à la participation quand le problème est déjà défini, les alternatives sont déjà élaborées et la décision est déjà prise. Qu’est-ce qui a été fait en ce sens depuis que nous avons remporté la mairie ? Je vais mettre en avant deux dispositifs. Le premier est une plateforme en ligne, qui a aussi été mise en place à Madrid (Madrid decide) et qui s’appelle ici Decidim Barcelona. Ce site conçu avec un logiciel libre permet aux citoyens de faire des propositions sur les politiques locales et de voter pour qu’elles fassent l’objet d’un débat et d’un référendum décisionnel (à partir du moment où 1% de la population les soutient). On a repris du 15M l’usage d’Internet comme facteur de politisation pour que tout le monde puisse participer, pas seulement par le biais des associations mais aussi de manière individuelle. C’est ainsi qu’a été élaboré le plan d’action municipale, qui définit les interventions de la municipalité pour les quatre ans du mandat, ou des projets concrets de transformations dans les quartiers. Au-delà de ces dispositifs participatifs, il est important de maintenir la tension entre l’intérieur et l’extérieur, sans penser le changement seulement depuis l’institution. Comme le dit le maire de La Corogne, une autre municipalité du changement, « le jour où l’institution ne nous verra plus comme des intrus, nous aurons perdu notre raison d’être ». Face à des expulsions de logement par exemple, certains conseillers municipaux écrivent un tweet pour dire « il va y avoir une expulsion ce matin dans telle rue, nous vous demandons d’y aller parce que nous ne pouvons par l’arrêter sans votre aide ». C’est sans précédent que l’institution appelle ainsi à la mobilisation.
Leticia Sánchez : À Parla, la situation est différente parce que nous sommes dans l’opposition. C’est le Parti populaire qui gouverne à l’échelle municipale, alors que Podemos est arrivé en première position aux élections législatives. Le Parti socialiste a été sanctionné dans les urnes, car il est responsable de la situation dramatique dans laquelle se trouve la ville, avec 600 millions d’euros de dette. Un ancien maire a été détenu. Parla est donc emblématique de la gestion de ces partis, en termes de corruption et d’inégalités. Que faisons-nous depuis l’opposition pour promouvoir les pratiques participatives dans la ville ? D’abord, on dénonce la politique du Parti populaire qui empêche des collectifs de se réunir dans des espaces publics, sous prétexte qu’ils n’ont pas de statut associatif. Nous demandons aussi que les gens puissent s’impliquer dans l’économie de la ville et les budgets. Parla est en situation de faillite et si nous ne savons pas où est l’argent qui est dû, où il a été investi, qui a pris ces décisions, et ce que nous voulons faire avec le peu que nous avons, nous ne pourrons pas sortir de cette situation. Nous avons élaboré un règlement de participation citoyenne alternatif à celui du Parti populaire, en collaboration avec les cercles de Podemos, qui sont l’organisation de base du parti. Les associations et les collectifs doivent pouvoir donner leur avis sur une série de questions, mais aussi les gens qui ne sont pas organisés. Les conseils participatifs sectoriels, qui regroupent les associations et collectifs sur certaines thématiques, doivent dépasser le stade de l’information et de la consultation pour prendre des décisions. Il nous semble également important que les citoyens puissent prendre la parole lors des conseils municipaux. Une dernière initiative impulsée par Podemos est celle des projets « Hacemos » (« Nous faisons »). Ce sont des projets sociaux proposés par des collectifs et financés avec les excédents des indemnités des députés du parti. À Parla, nous voulons créer une plateforme en ligne pour que toutes les associations puissent partager des informations sur leurs activités et se rencontrer. Voilà les initiatives que Podemos met en place depuis l’opposition, en espérant qu’on puisse faire plus de choses lors de la prochaine mandature.
Alfredo Ramos : À Madrid, on peut distinguer les processus participatifs mis en place par la municipalité, gouvernée depuis 2015 par la coalition d’unité populaire Ahora Madrid, et ceux impulsés depuis l’opposition au Parlement régional. À l’échelle de la ville, plusieurs dispositifs ont été introduits, comme le budget participatif, les forums locaux dans les quartiers, une série de consultations sur des projets urbains et la plateforme en ligne où les citoyens peuvent soumettre et voter des propositions. Ce sont des processus novateurs par rapport à tout ce qui se faisait en termes de démocratie participative en Espagne, avec une utilisation intensive d’Internet. Ce changement de culture politique doit beaucoup à deux élus : Pablo Soto, un développeur informatique qui a été très actif avec les Indignés et est aujourd’hui élu à la participation citoyenne, et Nacho Murgui, un militant associatif de quartier devenu élu à la coordination territoriale et aux associations.
Au Parlement régional, Podemos est dans l’opposition mais nous pouvons quand même faire des choses, car le Parti populaire n’a pas la majorité. Nous avons, par exemple, impulsé une des lois sur l’identité sexuelle les plus progressistes du pays, voté une très bonne loi contre l’homophobie, arrêté certains projets urbanistiques, et nous sommes sur le point de faire passer une loi contre la pauvreté énergétique. On peut donc déjà penser la participation dans ce cadre. Il y a ensuite l’organisation interne du travail des députés de Podemos, qui est pensée de manière sectorielle (par exemple, je suis député en charge de la santé pour toute la région) et territoriale (je suis le député de la ville de Parla ou d’un quartier de Madrid, et je m’intéresse à différents thèmes sur ce territoire). Cette dimension territoriale pouvait paraître la plus évidente pour mettre en place des dispositifs de participation. Ce n’est pas forcément le cas, car d’autres acteurs se considèrent comme les représentants légitimes de la population et d’autres processus participatifs existent déjà. Il a été finalement beaucoup plus facile de mettre en place des dynamiques participatives sur certaines thématiques. J’aimerais pouvoir parler aussi de coproduction de politiques, mais ce sont plus des espaces de dialogue ouvert avec la société civile. Pour élaborer nos propositions de lois, on organise des rencontres et des débats avec différents acteurs. Il ne s’agit plus seulement de maintenir la tension entre l’intérieur et l’extérieur, mais d’ouvrir l’intérieur à de nombreuses occasions pour que l’extérieur entre dans les institutions. Par exemple, l’une des quatre questions de contrôle parlementaire que nous avons chaque semaine est définie et votée par les citoyens sur une plateforme en ligne. La ou les personnes qui l’ont proposée viennent ensuite la présenter au Parlement régional. Cela nous permet d’introduire une partie de cet extérieur dans le travail parlementaire.
La question de la participation se pose aussi au sein des nouveaux partis politiques. En abordant les relations entre le 15M et Podemos, on a bien vu des contradictions entre le mouvement social qui revendiquait une démocratie réelle et une organisation politique qui est devenue, à l’échelle nationale, cette « machine de guerre électorale ». Quels sont les débats, au sein de vos formations, sur la démocratie en interne ?
Alfredo Ramos : J’étais personnellement favorable à la machine de guerre électorale quand ce schéma a été proposé au congrès fondateur de Podemos à Vistalegre. Mais il faut maintenant sortir de ce cadre pour démocratiser le parti. Podemos est devenu un modèle de césarisme plébiscitaire assez éloigné des idéaux démocratiques du 15M. Il faudrait revoir les formes de participation individuelle comme les consultations, qui se résument souvent à des référendums sur certaines questions, parce qu’elles renforcent la centralisation du pouvoir et le leadership. Plusieurs propositions ont été faites dans ce sens[1]. Une première vise à améliorer les procédures pour que les inscrits de Podemos puissent faire remonter des initiatives et s’investir autrement dans les consultations. Une deuxième proposition consiste à sortir de ces dispositifs de participation individuelle pour construire des espaces plus collectifs et délibératifs, en ayant recours au tirage au sort, sur les grandes décisions que Podemos doit prendre. Le troisième élément prévoit d’ouvrir et d’élargir les conseils citoyens, qui sont les organes de direction du parti aux échelles municipale, régionale et nationale. Il s’agirait d’instaurer un siège supplémentaire de conseiller, pour que tout un chacun puisse faire des propositions à la direction du parti. On parle aussi de laboratoires d’innovation politique sur des questions très concrètes pour résoudre des problèmes ou élaborer des politiques, en ouvrant des espaces de débat avec des personnes extérieures. La démocratisation de l’organisation est finalement liée à l’ancrage territorial, ce qui veut dire donner aux cercles les outils et les possibilités d’intervenir sur le territoire.
Leticia Sánchez : J’ai également défendu, à un moment donné, la nécessité de mettre en place la machine de guerre électorale, qui nous permet d’être aussi bien positionnés à l’issue de ce cycle électoral. On devait affronter trois élections en quelques mois, il n’y avait pas le temps de construire une organisation. Mais je crois, et c’est assez consensuel à Podemos, que nous sommes aujourd’hui devant un cycle différent qui nécessite d’autres paris. Nous sommes conscients d’avoir perdu de la démocratie en route et qu’il est aujourd’hui nécessaire de remettre la participation au centre de l’organisation. Dans cette nouvelle étape qui s’ouvre, il s’agit de renforcer le pouvoir d’agir des gens en construisant un mouvement populaire, qui passe plus par le travail des cercles que par les manifestations de rue : ceux qui ont participé à Podemos de manière ponctuelle ou permanente doivent pouvoir faire des choses utiles pour améliorer la vie des gens dans leur quartier. Il faut donc mettre des outils concrets au service des cercles, à commencer par une autonomie financière. Les cercles doivent pouvoir décider de l’utilisation de leurs ressources, pour ouvrir par exemple des lieux qui ne soient pas des sièges de Podemos mais ce que nous appelons des « moradas » : un espace ouvert permettant d’organiser de multiples activités, notamment culturelles, pour que les gens se rencontrent et échangent. Les municipalités auront aussi un rôle central à jouer dans cette nouvelle étape, en faisant notamment des choix pour les prochaines élections locales. La décentralisation du parti doit donc se faire au niveau des ressources et de la prise de décision dans l’organisation. On doit changer de modèle organisationnel. On ne peut plus se limiter aux consultations, à faire des plébiscites, il faut vraiment ouvrir la prise de décision et lancer la décentralisation territoriale.
Joan Subirats : La situation à Barcelone et en Catalogne est là aussi différente. Barcelona en Comú est une organisation qui accepte la multi-appartenance. Elle résulte d’un processus de convergence entre différentes organisations politiques et des gens qui n’étaient pas organisés. Il y a donc une grande diversité interne, la structure est assez complexe. Les partis ont disparu à l’échelle de Barcelone, parce qu’ils sont tous ensemble au sein de Barcelona en Comú, mais ils continuent à exister ailleurs en Catalogne. Il y a actuellement un processus de convergence politique à l’échelle régionale pour créer une autre organisation qui s’appellera sûrement Catalunya en Comú. On a toujours voulu éviter la coalition de partis qui s’unissent au sein d’un nouveau parti. Ce sont donc des citoyens qui se regroupent, certains étant déjà organisés et d’autres non, en créant une organisation d’en bas, à partir d’un débat autour d’un programme. Le processus à l’échelle régionale imite celui qui a été suivi pour la création de Guanyem et Barcelona en Comú. C’est une structure très horizontale où l’utilisation des réseaux sociaux est intensive. Barcelona en Comú ne fonctionnerait pas sans Telegram ou WhatsApp, ce qui implique une organisation beaucoup plus horizontale que les structures hiérarchiques traditionnelles, pour le meilleur et pour le pire ! Malgré tout, Barcelona en Comú a une leader indiscutable qui est Ada Colau. D’autres leaders émergent comme Xavier Domènech, mais on a quand même la sensation qu’il faudrait élargir et promouvoir de nouveaux leaderships. Un autre aspect clé est la féminisation de la politique. Dans nos réunions, il y a toujours quelqu’un qui compte le nombre de femmes qui prennent la parole et le temps de leur intervention. À la fin de la réunion, on indique combien de femmes et d’hommes ont parlé, pendant combien de temps, et c’est seulement à la dernière réunion que les femmes ont gagné ! On insiste beaucoup sur la féminisation de la politique pour rompre avec une tradition hiérarchique, autoritaire et verticale du pouvoir.
Ces échanges témoignent de la diversité de situations dans lesquelles se trouvent les nouveaux partis espagnols au sein des institutions, avec plus ou moins de possibilités de transformations des politiques publiques et de la culture politique. Toutes les questions abordées dans ce débat – les relations entre ces partis et les mouvements sociaux, les manières d’associer les citoyens à l’élaboration des politiques et la place de la démocratie au sein des organisations – constituent des points de tension forts qui seront au centre des discussions lors du congrès national de Podemos ce week-end.
[1]En vue du deuxième congrès national de Podemos, Alfredo Ramos a pris part à l’élaboration du document sur l’organisation du parti porté par l’équipe d’Iñigo Errejón. Leticia Sánchez soutient également ce projet qui propose une démocratisation du parti plus poussée que l’équipe de Pablo Iglesias.