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Tribune 11 décembre 2023

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Forum mondial sur les réfugiés - La France doit assumer ses responsabilités

Du 13 au 15 décembre 2023, se tient à Genève, au siège des Nations Unies, le deuxième Forum mondial sur les réfugiés, co-organisé par la France, le HCR, la Suisse, et 5 autres États. « Alors qu'à Genève on parlera d’accueil et d’inclusion, à Paris le débat se cristallise sur le rejet et le déni » s'insurgent de nombreuses personnalités socialistes signataires de cette tribune. Elles demandent que ce « déni » cesse et à la France « de prendre sa part à l’accueil des personnes déplacées dans le monde. »

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Du 13 au 15 décembre 2023, se tient à Genève, au siège des Nations Unies, le deuxième Forum mondial sur les réfugiés. Cette initiative du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) de l’ONU fait suite au Pacte mondial sur les réfugiés adopté en 2018, un accord non contraignant par lequel les États s’engagent à travailler de concert pour trouver des solutions à la crise de l’exil que connaît la communauté humaine.

Cette crise trouve ses racines dans les changements démographiques et climatiques de ce début de 21eme siècle, mais également dans les profondes inégalités dont souffre notre monde. Le HCR fut créé par la convention de Genève sur les réfugiés en 1951. Signée par 149 pays et complétée par un protocole additionnel en 1967, la convention demeure le document de référence permettant aux populations entrant en France sans titre de séjour d’accéder à une procédure de demande d’asile, au motif que leur vie est menacée dans leur pays d’origine, ou qu’il leur est impossible d’y retourner. Cette démarche est légale, même si les pays européens accumulent les mesures barrières visant à rendre les frontières imperméables.

Si cette stratégie de la « forteresse Europe » va à l’encontre du droit international, elle relève également d’un déni. L’écrasante majorité des 108 millions de personnes déplacées de force dans le monde (chiffres du HCR pour 2023) réside soit dans leur pays d’origine, soit dans un pays voisin immédiat du leur. Alors que ce chiffre a doublé en 10 ans, la demande d’asile en Europe reste limitée à moins d’un million de personnes par an. En France, les réfugiés et demandeurs d’asile comptent pour moins de 1% de la population. Le Liban et la Jordanie, malgré des problèmes économiques et environnementaux bien plus importants, accueillent respectivement 25% et 30% de réfugiés sur leur territoire.

Certains diront qu’un pourcent est déjà trop, que l’accueil des réfugiés coûte cher, et que la France devrait n’être peuplée que de Français. Cela va à l’encontre de la réalité historique et des valeurs de notre pays, ainsi que du simple bon sens : dans une société mondialisée, la diversité de notre population assure son dynamisme et sa pérennité. La France a beaucoup changé tout au long de son histoire, et elle continuera à s’adapter aux évolutions du monde ; son ouverture fait sa force et sa résilience. De surcroît, le droit à l’asile fait partie des droits humains, dont la démocratie dépend autant qu’elle en est le fondement. La mobilité permet de rechercher un lieu d’accueil sûr, mais aussi des opportunités économiques, le regroupement familial, des études, ou un travail humanitaire et associatif : tous fondements de la solidarité humaine et de la coopération internationale, qui sont indispensables au fonctionnement de nos sociétés. A ce titre, la mobilité est un bien public.

Le Pacte mondial sur les réfugiés intègre cet élément de richesse commune de l’humanité en rappelant le caractère fondamental du droit à la sécurité, et prenant la mesure de l’urgence humanitaire et environnementale qui exige aujourd’hui une évolution du régime de l’asile. Pour soutenir cet objectif, le Forum mondial sur les réfugiés réunit tous les quatre ans les acteurs de la coopération internationale, afin de soutenir un effort collectif pour que les personnes déplacées trouvent un chemin d’inclusion dans le monde d’aujourd’hui. À l’heure actuelle, une personne déplacée de force le reste 20 ans en moyenne, et les retours sont parfois impossible, en raison de la violence qui sévit dans certaines régions. Dès lors, il est essentiel de maintenir un soutien à l’accueil durable des réfugiés dans les pays de premier accueil, mais aussi de partager les responsabilités de l’inclusion au-delà de cette première étape, vers les opportunités qu’offre la mondialisation. Les pays les plus favorisés portent une lourde responsabilité : notamment celle d’offrir des places de réinstallation, qui permettent aux réfugiés déjà résidents hors de leur pays d’origine de voyager vers un deuxième pays d’accueil.

Le Forum va plus loin : il propose à chaque gouvernement, entreprise, ONG, ou toute organisation publique ou privée de former des engagements mesurables pour le financement ou la mise en œuvre d’initiatives venant appuyer les objectifs du Pacte. Les besoins sont considérables : de l’accueil d’urgence (logement, nourriture, sécurité), à des objectifs à moyens terme (emploi, éducation, santé), et des perspectives durables (accès aux droits civiques, assistance juridique, formation professionnelle, etc.).

L’Europe manque cruellement à ses engagements en matière de réinstallation[1], et n’a pour l’instant aucune vision globale en réponse à cette crise mondiale : pour le partage des responsabilités entre États, pour la participation du secteur privé et associatif, pour les perspectives de développement et de paix dans le voisinage européen, ou à l’échelle de la communauté humaine. La seule réponse de l’UE reste sécuritaire, par le biais notamment du pacte européen sur la migration et l’asile : renforcement des contrôles aux frontières, demandes d’asile accélérées, facilitation des retours dès l’arrivée à la frontière sur la base de la nationalité. Ceci s’accompagne d’une politique d’accords d’externalisation de la protection des frontières avec les pays du voisinage européen, dont plusieurs régimes autoritaires. En France, la loi Darmanin, dont l’examen à l’assemblée, par ironie cruelle, se tient au moment du Forum, relève de la même logique. Alors qu'à Genève on parlera d’accueil et d’inclusion, à Paris le débat se cristallise sur le rejet et le déni.

Ces méthodes bafouent le droit international et les valeurs de l’Union européenne, et se révèlent inefficaces à traiter la réalité des causes de la crise migratoire. Par cette approche, l’UE échoue à prendre la mesure de la crise. L’impact sur le continent est profondément délétère, avec un accroissement des risques sécuritaires dans son voisinage, et de la souffrance humaine à ses frontières.

L’UE doit proposer une réponse structurée aux enjeux migratoires, dans un contexte de grandes vulnérabilités liées aux changements climatiques et démographiques, et d’augmentation continue du nombre de personnes déplacées dans le monde. Les pays membres doivent prendre des engagements dans le contexte du Forum mondial sur les réfugiés, notamment à ouvrir des places de réinstallation et à faciliter l’inclusion des réfugiés dans les structures éducatives, sociales, et professionnelles des pays d’accueil, en Europe et au-delà.

La France, co-organisatrice du Forum 2023, avec le HCR, la Suisse, et 5 autres États, doit être motrice dans cet effort, et soutenir des engagements à la hauteur de ses capacités ainsi que des défis qui se présentent à la communauté humaine. Les engagements actuels de la France ne le sont pas, alors même que de nouvelles restrictions au droit d’asile sont prévues dans le cadre de la loi Darmanin.

Ce déni doit cesser : la France doit assumer ses responsabilités, prendre sa part à l’accueil des personnes déplacées dans le monde, et se poser en rempart des droits humains et du droit international.

 Signataires :

Sylvie Guillaume, députée européenne, secrétaire nationale aux migrations du Parti socialiste

Dietmar Köster, député européen, SPD allemand, membre du comité des affaires étrangères

Olivier Faure, député de Seine et Marne

Christophe Clergeau, député européen

Anna Pic, députée de la Manche 

Dylan Boutiflat, secrétaire national aux relations internationales du Parti socialiste

Cécilia Gondard, secrétaire nationale adjointe au développement humain et aux droits humains

Halima Delimi, Cercle International du Parti Socialiste, Migrations et droits humains

João Martins Pereira, Vice-Président des Jeunes Socialistes Européens, Secrétaire National des Jeunes Socialistes français à l’Europe et international

Luc Lebon, adjoint au maire du 11e arrondissement de Paris

Genevieve Garrigos, conseillère de Paris

Estelle Picard, membre du Conseil national du PS pour les Deux Sèvres

Thomas Fagart, militant PS, secrétaire fédéral des Hauts de Seine

Mireille Murawski, Déléguée Générale de l’ONG ACAD

Paul Cruz, chercheur au centre Emile Durkheim 

Lorna Malossane, étudiante à Sciences Po Grenoble 

Jean-Philippe Berteau, professeur des Universités, New-York

Romain Tardif Benetollo, étudiant, secrétaire de la section de Mennecy

Brigitte Marciniak, militante PS, enseignante retraitée

Yann Moreau, militant PS, chercheur en aquaculture à la retraite

Jean-Christophe BEJANNIN militant PS Paris, agroéconomiste

Alain Schneider, militant PS, fonctionnaire retraité

[1] Seuls quelques États de l’UE offrent des places de réinstallation, et l’UE ne compte que 5% des places de réinstallation dans le monde.