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Tribune 12 mars 2020

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Nous, militantes féministes et juives, accusons aussi Polanski

Les militantes féministes dénonçant l’impunité de Polanski sont aujourd’hui accusées de dissimuler leur pensée antisémite sous couvert de lutte contre les violences sexuelles. Des féministes juives s'indignent de cette tentative « malhonnête » de réduire au silence des activistes dans leur lutte contre la pédocriminalité.

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Depuis des années, l’affaire Polanski polarise la société civile, entre défenseurs de la suprématie de l’Art et de la liberté de créer envers et contre tout(es), et militantes féministes dénonçant l’impunité des violeurs et pédocriminels dans les industries médiatiques et plus spécifiquement dans celle du cinéma. Ce déchirement ne date pas d’hier, mais nous avons assisté à un tournant symbolique ces dernières semaines dans le cadre de la 45ème Cérémonie des César.

En novembre 2019, à la veille de la sortie de « J’accuse », nouveau témoignage d’un viol extrêmement brutal subi par Valentine Monnier, alors âgée de 18 ans. Quelques jours plus tard, le couperet tombe : Roman Polanski est nommé 12 fois, premier « crachat au visage de toutes les victimes » et miroir insoutenable des 12 accusations de viols et d’agressions dont il fait l’objet. Vient ensuite le coup de grâce : il reçoit le prix de la Meilleure Réalisation, une récompense significative puisqu’elle le consacre en tant qu’individu.

La soirée - très attendue - du 28 février a ainsi été le théâtre culminant de cette opposition hautement symbolique entre l’ancien monde, dont les rênes sont tenues par des hommes, patrons d’un système qui ne laisse nulle place à la parole des victimes, et le nouveau, une marée de femmes criant leur colère immense face au tapis rouge immaculé, nassées par les policiers et bombardées de lacrymogènes. Sourire amer à la lecture du tweet de Laura Wojcik qui, de l’intérieur de Pleyel, explique que « ça pique aussi un peu les yeux ici », comme une image de la porosité grandissante entre ces deux mondes qui s’affrontent.

D’aucuns aimeraient faire croire que ce débat est d’ordre purement philosophique et éthique. En somme, un simple questionnement sur la séparation entre l’homme et l’artiste. « Une moralisation de l’expression artistique », comme l’explique Nicolas Bedos. Il n’en est rien. Ce que nous voyons, en tant que militantes, ce sont les victimes. Leurs traumatismes, leur intégrité physique pulvérisée, leur chair jetée en pâture sur la place publique. Leur voix questionnée, minimisée, moquée. Ce n’est pas un combat d’idées, ce n’est pas une question de morale. Nous faisons de la politique. Nous voulons faire reculer les agressions sexuelles en commençant par combattre les agresseurs eux-mêmes et les instances qui favorisent et encouragent leur impunité.

Or depuis peu, les militantes féministes luttant contre ces violences font de plus en plus l’objet d’une accusation surréaliste : celle d’utiliser leur combat comme l’écran de fumée de leur antisémitisme latent, lequel serait le cœur véritable et inassumé de leur colère. Quelle immonde et douloureuse ironie que d’accuser des femmes ayant dédié leur existence à la défense des groupes oppressés et minorisés de vouloir reproduire ces systèmes de domination en leur propre sein. La « meute de hyènes en roue libre » qui aurait oublié l’Histoire. Audace suprême, Beigbeder ajoute que si l’on veut « défendre la cause des femmes violées, des centaines de milliers, voire de millions de femmes [qui] ont été violées dans les camps, c’est le sujet de “J’accuse” et du “Pianiste” donc (...) ce cinéaste est celui qui a fait les plus grands films là-dessus ». Polanski grand précepteur et didacticien des violences sexuelles : nous n’osons imaginer l’effet retentissant de ce genre de déclaration sur les femmes et les enfants victimes du réalisateur. Nous ajoutons qu'en tant que femmes juives dont certaines ont eu des membres de leur famille victimes de l'horreur de la Shoah, une telle instrumentalisation est insupportable.

Comme si cela n’était pas suffisant, les propos maladroits de certaines tribunes ont été récupérés par les sphères fascistes et antisémites, ce qui représente pour nous un signal d’alarme et nous oblige à une vigilance extrême. Nous ne pouvons pas de façon responsable parler de « collaboration » concernant les soutiens de Polanski, ou encore faire un lien direct entre lui et le pouvoir médiatico-financier. Trope antisémite s'il en est. Il est de notre responsabilité de militantes féministes de veiller à ne pas donner de grain à moudre aux antisémites de tous bords, prompts à instrumentaliser notre parole.

Mais alors que la sacro-sainte séparation entre homme et artiste est admise sans grande difficulté par les intellectuels de tous bords nous sommant de ne pas tout mélanger, nous nous demandons pourquoi ces derniers sont aussi frileux à l’idée d’appliquer ce même raisonnement à la séparation entre l’homme et la religion. Ne devraient-ils pas être en mesure de comprendre aisément que nous accusons un pédocriminel multirécidiviste non pas pour sa confession, mais pour les crimes qu’il a commis ? Non sans sarcasme, nous nous permettons de suggérer à notre tour que l’affaire soit perçue avec discernement.

Il s’agit, ici, de ne pas séparer l’homme de ses actes. Les œuvres sont les œuvres : il n’appartient à personne de dicter aux gens si elles doivent être appréciées ou non. Le seul enjeu ici est de faire entendre une voix, pleine de rage et qui peine pourtant à trouver un écho, celle des femmes et enfants abusés et violés, aux instances qui font d’un homme violeur un artiste intouchable. Cela au nom de la beauté de ses œuvres et de la vénération de son (indiscutable) talent. En d’autres termes : peut on aimer Tess ou Rosemary’s Baby ? Assurément. Mais ne couronnons pas ces films le jour où la société commence à peine, et avec douleur, à prendre au sérieux la voix des femmes et enfants victimes de violences sexuelles. Là est le cœur de notre lutte.

Nous, féministes juives, n’accusons pas Polanski parce qu’il est juif : nous accusons Polanski parce qu’il a abusé et violé des femmes et des enfants.

Nous, féministes juives, sommes révoltées devant l’immonde récupération du climat ambiant antisémite pour minimiser la gravité des violences sexuelles.

Nous, féministes juives, sommes puissamment effarées de voir certaines personnes nous accuser d’antisémitisme pour discréditer notre discours et notre lutte contre la pédocriminalité. 

Nous, féministes juives, trouvons indécent et extrêmement violent d’excuser des faits de pédocriminalité sous couvert de passé de guerre traumatique. Dans sa tribune publiée dans Le Point, Pascal Bruckner décrit « un petit juif polonais, citoyen français, qui a échappé à toutes les persécutions, celles des nazis, des staliniens, de la droite morale américaine après l'assassinat de son épouse Sharon Tate mais qui pourrait bien succomber à la vindicte de « féministes » qu'il faudrait appeler plutôt des purificatrices médiévales »

Cette obsession pour la judéité de Polanski, sous couvert de jeter un pavé dans la mare de l’antisémitisme rampant des activistes, n’est ni plus ni moins que de la fétichisation des personnes juives, et cette fétichisation porte un nom : celui d’antisémitisme.

Nous l’affirmons aujourd’hui et le réaffirmerons chaque jour s’il le faut : la judéité de Polanski n’a aucune valeur dans notre pensée militante, Polanski n’est que le drapeau de l’ancien monde, prêt à tout pour conserver son impunité et ses privilèges. Il est le symbole du mépris pour la justice, lui qui a été condamné aux États-Unis et qui a fui malgré un mandat d’arrêt international déposé à son encontre. Il est l’incarnation de la manière dont la notoriété et un certain statut professionnel et social permettent l’impunité et le maintien d’une réputation. Ce sont pour toutes ces raisons et uniquement ces raisons que nous l’accusons - en tant qu’individu pédocriminel et violeur, et en tant qu’étendard métaphorique de la puissance du patriarcat, ce colosse drapé de gloire, mais suffoquant et aux pieds d’argile.

Les Signataires :

Une tribune à l’initiative de Chloé Madesta, Collages Féminicides Paris, avec l’aide d’Illana Weizman, Collectif #MonPostPartum et Clémentine Dreyfus, Collages Féminicides Paris ;

Agathe Weil, Collages Féminicides Paris

Anna Ouhayoun, Étudiante militante

Aurélia Attali, Étudiante militante

Barbara Gozlan, Étudiante militante

Bellity Lauren, Etudiante comédienne et militante

Blanche Sabbah, Collages Féminicides Paris

Camille Tournay, Militante

Célia Lévy, Collages Féminicides Paris

Clara Achour, Collages Féminicides Paris

Clara Muller, Collages Féminicides Paris

Clara Zucman-Rossi, Etudiante militante

Clémentine Dreyfus, Collages Féminicides Paris

Déborah Dahan, Collectif NousToutes

Deborah Lahmi, Étudiante militante

Deborah Lucas, Étudiante militante

Diane Laloum, Militante

Emily Albert, Facilitate Equity Toronto

Esther Cachia, Étudiante militante

Esther Haddad, Étudiante militante

Eva Mazal Serraf, Étudiante militant

G. Cohen, Collages Féministes Nantes

Gabriel. le R., Étudiant.e militant.e

Hanna Aknin, Monteuse Vidéo et Militante

Indiana Benhaim Carsin, Militante

Ines Guedj, Collages Féminicides Lille

Inès S., Étudiante militante

Isabelle Chidiac-Amine, Militante

Joséphine Amozigh, Étudiante militante

Judith Rousseau-Grynberg, Militante

Julie Rabouan, Collages Féminicides Paris

Julie V., Collages Féminicides Paris

Juliette Naiditch, Collages Féminicides Paris

Kelly Dassault, Photographe et Entrepreneuse

Léa Assouline, Militante

Léa Lelièvre, Collages Féminicides Paris

Léna Bokobza, Collages Féminicides Paris

Linda Beddiar, Collages Féminicides Paris

Lucie Ortega, Collages Féminicides Paris

Lucie Pellet, Intermittente du spectacle

Maia Hoibian, Collages Féminicides Paris

Manon Barbedette, Collages Féminicides Nîmes

Margot Koskas, Militante

Marion Camus, Collages Féminicides Paris

Mélanie Meimoun, Étudiante militante

Mona Bismuth, Éditrice

Morgane Koresh, Collectif #MonPostPartum

Noa Tarragano, Collages Féminicides Paris

Odelia Charbit, Étudiante militante

Pauline Roujeau, Étudiante militante

Rachel Bouëdec, militante

Rachel Levy, Étudiante militante

Samia Mellouki, Cadre du privé et Militante

Sarah Le Cabellec, Collages Féminicides Paris

Valérie Dray, Photographe

Victoire Vager, Militante

Victoria G., Collages Féminicides Paris

Victoria Servan-Schreiber, Étudiante militante

Yaël Elbaz, Correctrice