Le 31 mars 2025 fera certainement date dans l’histoire de notre pays pour avoir été le point de basculement de notre régime politique et de ses fondamentaux d’égalité et de justice hérités de l’après-guerre. La lecture du verdict dans le procès des assistants parlementaires du Rassemblement National a d’abord provoqué une véritable onde de choc dans la classe politique française et internationale, avant de déclencher un tsunami médiatique d’attaques, d’invectives envers les juges, suivi d’un déferlement d’insultes et de menaces de mort sur les réseaux sociaux.
Les saillies vengeresses, la sémantique guerrière des caciques du RN ont atteint un niveau inégalé sur les plateaux télé et radio au point que nombre de ces outrances auraient pu et auraient dû faire l’objet de poursuites pénales dès lors qu’elles n’avaient pas pour but de commenter techniquement le jugement du tribunal correctionnel de Paris, mais simplement de jeter le discrédit public sur cette décision, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance.
À vrai dire, nous avons assisté tout au long de cette folle semaine, à l’expression de la haine des juges, de la procédure, du droit par des responsables politiques de différents bords et certains représentants du peuple alors même que ce dernier approuvait en majorité dans les sondages cette répression d’une atteinte majeure à la probité.
Dans le triptyque subtil de la démocratie « peuple-pouvoir-droit », les multiples aspirants au pouvoir ont indiqué sans ambages vouloir s'affranchir du droit en réduisant la démocratie à la seule organisation du pouvoir par le vote. Or notre démocratie est aussi et surtout la soumission du pouvoir au droit, la rencontre de la légitimité populaire et de la légitimité juridique et non pas la souveraineté inconditionnelle de la première à l’exclusion de la seconde.
L’actuel premier parti de France et son leader, Marine Le Pen, ont été lourdement condamnés, pénalement et financièrement, pour avoir détourné plusieurs millions d’euros de fonds européens. Et pas seulement au préjudice de l’Europe. Au préjudice aussi de tous les Français en tant que contributeurs à l’impôt européen.
La députée s’est vue infligée à titre complémentaire une peine d’inéligibilité de cinq ans.
Cette dernière sanction est sans conteste une limite au pouvoir d’élection du peuple, restreint dans le choix de son représentant mais elle a été imposée par le législateur lorsque le responsable public a trahi la confiance du citoyen en trichant avec les deniers publics. La loi prévoit d’ailleurs que l’infraction est consommée même sans enrichissement personnel de l’auteur, argument sans cesse prêché par les démagogues de la délinquance politico-financière tel un concept écran de fumée pour détourner l’attention de l’électeur crédule.
Les juges ont de surcroît ordonné la mesure d’exécution provisoire prévue par la loi en la motivant précisément eu égard aux circonstances des faits, commis durant douze ans à la faveur d’un « système » et pas d’un simple moment d’égarement, et à la personnalité de leur auteur déniant absolument à l’autorité judiciaire le pouvoir de contrôler le travail de ses assistants.
Les juges ont surtout respecté la décision du contrôleur suprême en matière électorale, le Conseil constitutionnel, qui avait affirmé dans sa décision du 28 mars 2025 que l’exécution provisoire contribuait à « renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants », et qu'elle répondait à « l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ».
Il est à noter que cette peine, à conséquence certes politique mais de pur droit, ne doit pas faire paravent à la peine d’emprisonnement ferme prononcée à titre principal témoignant de la gravité de l’atteinte à la probité et aux intérêts des parties civiles portée dans cette emblématique affaire. Elle ne doit pas faire taire non plus l’aménagement pourtant non automatique de cette peine, évitant la case prison à l’impétrante à la présidentielle. Cette mesure ne rime pas vraiment avec un acharnement judiciaire. Pas sûr que tous les justiciables n’aient pas eu à s’en plaindre en pareille situation.
Le procès de nouveau fait à la justice d'interférer dans le processus électoral est injuste même s'il peut faire débat. Les représentants du peuple, au premier rang desquels l’actuel premier ministre, troublé par la situation, ont été les fers de lance de la construction d’un arsenal répressif destiné à obtenir l’exemplarité institutionnelle des élus. Ils ont beau jeu aujourd’hui de se défausser sur les juges et d’hésiter à revenir sur l’inéligibilité obligatoire des délinquants à la probité, au nom de considérations électoralistes et sous la pression médiatique, sans relâche, d’un mouvement anti-justice déclenché à l’époque par un certain Nicolas Sarkozy.
Les magistrats français doivent s’inquiéter de ce saccage de l’État de droit et des principes de notre loi fondamentale que sont : l’égalité de tous devant la loi et l’indépendance de l’autorité judiciaire. Ils sont néanmoins bien seuls face à l’entreprise organisée de leur discrédit dans les médias et l’opinion.
Ce ne sont malheureusement pas l’expression timide lors du conseil des ministres de leur protecteur constitutionnel ou le communiqué obligatoirement polissé du Conseil Supérieur de la Magistrature, soucieux du respect des institutions, qui vont rétablir l’équilibre.
Une seule vertu peut désormais les sauver des attaques à leur honneur, leur rôle et dorénavant, à leur intégrité physique et leur vie : le courage. Or le courage est un choix, difficile à opérer à l’ère de la post-vérité et de la concentration des médias, où le narratif officiel veut que le juge soit mutique.
L’association A.M.O.U.R de la Justice a fait son choix devant les insultes, les menaces de mort à l’encontre de la présidente du Tribunal correctionnel de Paris, le commentaire de son CV et l’affichage de sa photo en prime time sur une chaîne d’information continue. Autant de procédés ignobles et douteux d’un point de vue déontologique.
Notre voix produira désormais de l'écho dans la cité et aux oreilles de celles et ceux qui bafoueront les principes fondamentaux de notre État de droit.
Tribune co-écrite par :
Jérôme Pauzat, Marie Bougnoux, Laurent Sebag et Jean-Philippe Rey, magistrats ;
Karima Saïd, Jérôme Karsenti, Benjamin Cabagno, Dali Matiyeva, Jérôme Pagani, Florian Cini-Harris et Christophe Macone, avocats ;
Frédéric Lauféron, directeur de l’UDAF (Union départementale des associations familiales) 74,
Ingrid Lavallée, greffière,
Sylvie Torcol, maîtresse de conférences-constitutionnaliste,
Caroline Groizeleau, journaliste,
membres de de l’association A.M.O.U.R de la Justice,
et
Serge Tavitian, avocat au Barreau de Marseille.