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Tribune 12 mai 2025

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(Se) Soigner ou (se) suicider ?

Le projet de loi relative à l’aide à mourir sera débattu le 12 mai 2025 à l’Assemblée Nationale. Le docteur Mathieu Bellahsen et André Bitton alertent sur ce projet qui « invisibilise la pénurie de services publics et évite de remettre en question la carence de soins psychiatriques dignes, universels et accessibles, en France. »

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Le projet de loi relative à l’aide à mourir sera débattu le 12 mai 2025 à l’Assemblée Nationale. L’article 4 ouvre ce cadre aux personnes ayant des troubles psychiatriques. Pour cette année « santé mentale, grande cause nationale » s’agit-il d’une nouvelle pierre à l’édifice de la déstigmatisation ? 

À l’instar du cancer et du diabète, les maladies mentales sont envisagées de façon trompeuse comme des maladies chroniques « comme les autres ». Vu de loin, cela sonne comme une nouvelle émancipation : les personnes avec des troubles psychiatriques seraient désormais traitées de façon égale aux autres malades. 

Ici, elles bénéficieraient, comme les autres, de ladite « aide active à mourir », que ce soit pour une pathologie somatique associée à leur trouble psychiatrique ou pour leur trouble psychiatrique. Cet amalgame faussement déstigmatisant nie les spécificités des troubles psychiques.

Aux Pays-Bas, en Suisse, en Belgique, où l’euthanasie a été légalisée, l’extension de ses indications s’est portée sur les malades mentaux, enfants, adultes, personnes âgées étiquetées dans certains pays comme incurables. Déjà, certaines schizophrénies et dépressions sont considérées comme résistantes. De la résistance à l’incurabilité, la ligne rouge peut être vite franchie. Auparavant la lobotomie, désormais l’euthanasie ?

Depuis la loi du 5 juillet 2011 qui a légalisé la contrainte aux soins en ambulatoire, la logique de l'intériorisation de la contrainte aux « soins » se couple aux discours médiatiques qui véhiculent un amalgame entre pathologie mentale - dangerosité - indignité personnelle et sociale. Les personnes suivies pour pathologie mentale sont conduites à intérioriser cet amalgame et à se considérer elles-mêmes comme indignes de continuer à vivre.

Le seul garde-fou qui subsiste au sein du projet de loi est la nécessité d’une demande « libre et éclairé ». Cela suffira-t-il devant les politiques de mises à l’écart des plus fragiles d’entre nous ? L’organisation de déserts médicaux et psychiatriques, créés par les pouvoirs publics, institue sans que la population s’en aperçoive un nihilisme thérapeutique collectif. Tout espoir de soin, de rétablissement, de guérison se trouve bien souvent enterré.

Aujourd’hui, nous alertons sur ce projet de loi, car il invisibilise la pénurie de services publics et évite de remettre en question la carence de soins psychiatriques dignes, universels et accessibles, en France.

En effet, la campagne de communication « Santé mentale, grande cause nationale » ne suffira pas à masquer la terrible réalité vécue au quotidien ; un manque de soins psychiatriques de proximité, la fermeture des lieux de secteurs publics gratuits. Et ce ne sont pas la création de dispositifs tels les centres experts, plateformes de diagnostics, d’évaluation et d’orientation qui résoudront le problème. Ces dispositifs non seulement ne soignent pas mais, plus grave, ils masquent les pénuries en se contentant souvent d’orienter les personnes vers des structures et des professionnels du secteur privés qui n’existent pas ou plus. 

Les institutions publiques encore existantes sont débordées. Il s’y manifeste de plus en plus des contre-attitudes chez les soignants, créant de la maltraitance institutionnelle : des patients en décompensation renvoyés chez eux faute de place, des services d’urgence débordés avec recours importants aux contentions… Des contraintes physiques, chimiques et légales qui se font passer pour des soins. Des droits fondamentaux régulièrement bafoués, des pratiques maltraitantes banalisées. La rue et la prison regorgent de personnes malades psychiques. Faut-il les euthanasier ?

Comble du malheur, le refus de soin institué par les pouvoirs publics concourt à des drames comme dans les Ardennes en août 2024 où une personne nécessitant des soins a été tuée par des forces de l’ordre dépassées.

Face à ce constat, faut-il se résigner à ce que le recours au suicide assisté soit la dernière planche de salut ? Que la dignité à mourir éclipse l’actuelle indignité de la vie proposée aux personnes avec des troubles psychiatriques ? Doit-on supporter que des normes utilitaristes, validistes et psychophobes dictent quelles vies valent et quelles autres non ? Cette proposition d’euthanasie ouverte aux troubles psychiatriques s’inscrit dans un décharnement thérapeutique, un acharnement anti-thérapeutique.

Les traitements à mettre en place sont connus. Avoir des lieux d’hospitalité et d’accueil accessibles - le temps qu’il faut - , des lieux de répit, des pratiques de soins et d’accompagnement diverses et hétérogènes, une réinsertion dans la cité qui ne se limite pas aux destigmatisations de façade ou aux politiques inclusives centrées uniquement sur la reprise du travail ; limiter les abus et la répétition des traumas dans nos familles, dans nos institutions, dans notre société.

Commençons par prendre en charge correctement les enfants, les adolescents, les adultes et les personnes âgées en souffrance psychique afin de construire collectivement de la vie vivante, de la solidarité, de l’hospitalité. Soigner plutôt que suicider, se soigner plutôt que se suicider.

Signatures :

Dr Mathieu Bellahsen, psychiatre lanceur d’alerte et auteur de Abolir la contention. Sortir de la culture de l’entrave, Libertalia, 2023

André Bitton, président du CRPA (Cercle de Réflexion et de Proposition d'Actions sur la psychiatrie) et ancien Président du Groupe Information Asiles (GIA)