Trompés par un discours attrape-tout, certains commentateurs suggèrent parfois à tort que le programme du RN a une forte dimension sociale. Ce diagnostic ne résiste pas à l’analyse comme l’ont déjà montré, par exemple, les textes de Romaric Godin ou Lucie Castets, que nous prolongeons ici en nous concentrant sur la protection sociale. Même si le programme n’est ni très fouillé ni très précis (nous prenons pour référence le programme pour la présidentielle de 2022), les orientations politiques du RN sur le social présentent deux caractéristiques qui accélèrent la politique de déconstruction de la protection sociale et des services publics menée ces dernières années par les gouvernements successifs sous l’ère Macron : 1/ le dé-financement de la protection sociale et des services publics, 2/ la mise en œuvre d’une politique xénophobe d’exclusion des droits sociaux.

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Le dé-financement de la protection sociale
De manière chronique, les différents gouvernements depuis 2017 ont pris des décisions qui ont diminué les recettes pérennes de la protection sociale (par exemple via la prime Macron) ou celles de l’Etat en général (baisse des impôts de production, de l’impôt sur les sociétés, suppression de l’ISF, etc.). Cette baisse des recettes, à l’origine d’une partie des déficits sociaux et qui a contribué au creusement du déficit public, a régulièrement servi d’argument pour des réformes de réduction de la protection sociale (réforme des retraites en particulier).
En terme de trajectoire financière, le Rassemblement National propose de suivre la même voie : on trouve au cœur de son programme la baisse des recettes des assurances sociales (suppression massive des cotisations des entreprises notamment) et l’introduction de niches fiscales pour les plus riches (par exemple les droits de succession). Mécaniquement, de telles décisions mettent sous pression les budgets de la protection sociale et celui de l’Etat, et justifient par avance de nouvelles mesures d’austérité.
C’est d’ailleurs à cette aune qu’on peut comprendre le changement récent de position du RN sur la retraite à 64 ans : le gouvernement Borne avait pour partie mis en place la réforme des retraites pour compenser les baisses d’impôt sur les entreprises réalisées en parallèle, et le RN pourrait difficilement amplifier ces baisses d’impôt et en même temps financer le retour de l’âge minimal de la retraite à 62 ans.
De même la baisse de TVA annoncée dans le programme du RN, qui peut sembler attirante du point de vue du pouvoir d'achat (encore que rien ne garantit que sa baisse se retranscrive dans les prix...), se paye d'une facture de l'ordre de 20 Mds d'euros par an. Aucun pays ne présente un haut niveau de services publics pour tous (éducation, santé) sans un niveau élevé de recettes publiques, y compris de type TVA. Réduire la TVA sans compenser par d'autres recettes (et le RN ne propose pas, par exemple, d’augmenter les prélèvements des plus riches), c'est préparer sans le dire de nouvelles dégradations pour l'école, pour l'hôpital ou pour l'investissement public. Pour le dire simplement, si la TVA baisse un peu, mais que les ménages doivent payer plus cher leurs soins de santé, ou se tourner vers l’école privée, ce n’est ni le pouvoir d’achat ni la réduction des inégalités qui y gagneront.
La xénophobie, élément central de la politique sociale du RN
Quand on regarde le programme du RN, on ne trouve pas de grande vision de politique sociale en tant que telle (ce n’est pas une thématique centrale), mais plutôt des mesures éparses sans projet clair (voir le revirement sur les retraites) et une focalisation particulière sur le contrôle et les sanctions qui prend le pas sur la logique de protection. Le cœur du programme du RN, c’est l’exclusion des ménages étrangers de leurs droits sociaux. C’est d’ailleurs la suppression des droits sociaux des uns qui est censée (le chiffrage est plus que vague) financer les quelques mesures sociales pour les autres.
Une partie de ces mesures a d’ailleurs été reprise dans la loi immigration (votée par LREM, LR et le RN) : exclusion des familles étrangères des allocations familiales et des aides au logement. Si elles avaient été appliquées, ces mesures xénophobes auraient eu pour effet de faire bondir la pauvreté (notre note de recherche citée dans cet article), de rompre l’égalité de traitement entre enfants au sein d’une même école, ou entre salariés d’une même entreprise (voir le dossier détaillé du collectif Nos services publics sur le sujet).
Une première fois invalidée sur un motif de forme par le Conseil Constitutionnel, ces mesures ont par la suite été jugées inconstitutionnelles sur le fond lorsque les Républicains ont tenté de les réintroduire dans une nouvelle proposition de loi xénophobe.
Le programme du RN va plus loin en proposant par exemple la suppression de l’aide médicale d’Etat, qui prend en charge les soins des étrangers en situation irrégulière sous un certain plafond de ressources. Or, de telles mesures conduisent à une aggravation des pathologies des étrangers, ce qui se répercute sur les établissements de soin (notamment SAMU et urgences) et dégrade la prise en charge pour tous.
Un programme qui tourne le dos aux fondamentaux du système français de protection sociale
Plus généralement le système de protection sociale français s’est développé dans plusieurs directions incompatibles avec les orientations du RN :
1/ les droits sociaux, en particulier ceux qui relèvent des assurances sociales, issus du monde du travail et financés principalement par les salariés et les entreprises, sont indifférents à la nationalité. C’est notamment le cas des allocations familiales, qui sont une prestation de sécurité sociale et qui sont largement financées par des prélèvements sociaux sur tous les revenus des résidents (CSG) - et pas seulement des Français.
2/ l’égalité de traitement entre deux personnes dans la même situation : deux enfants dans la même classe, deux mères célibataires, deux personnes dans la même entreprise…
Cette garantie collective des droits sociaux empêche (du moins en principe…) de créer une catégorie de salariés étrangers avec des droits moindres, qui seraient particulièrement soumis à l’exploitation de leur employeur et de surcroît mis en concurrence avec les autres salariés. Les expériences passées (comme par exemple la régularisation de 1981) montrent que le monde du travail n’est pas un jeu à somme nulle : c’est en créant des droits, et non en en supprimant pour certains, que la situation s’améliore pour tous.
Signataires :
Cyprien Batut, Institut Avant-Garde
Clément Carbonnier, Université Paris 8
Elvire Guillaud, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Mathilde Viennot, Institut Avant-Garde
Michaël Zemmour, Université Lyon 2