Le Défenseur des Droits est-t-il à la place que lui assignent la Constitution (art 71-1) et la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 en intervenant dans le débat parlementaire sur l’orientation fondamentale de la proposition de loi abolitionniste sur la prostitution ?
Etait-il opportun que par la voie de l’Avis que lui ouvre l’article 32 de la loi organique il émette des recommandations sur un texte en discussion, pesant ainsi de toute son autorité constitutionnelle "indépendante" sur les votes à venir ?
Ne doit-il pas observer en sa qualité de Défenseur des Droits davantage de réserve dans le processus d’élaboration de la loi qui a été déjà examiné par les deux assemblées et la commission mixte paritaire avant de revenir en discussion pour son admission définitive ?
Rappelons que ce texte a pour ambition première de marquer, enfin et d’abord, la proclamation par le Parlement de la République Française de l’abolition de l’esclavage sexuel. L’abolition proclamée ne supprimera pas le phénomène, nous n’avons pas la naïveté de le penser, tout comme l’abolition de l’esclavage, avancée considérable en son temps, n’a pas mis un terme définitif à l'esclavage dans le monde.
La prostitution repose à 90% sur le trafic des êtres humains et l’exploitation d’individus, hommes ou femmes, en situation de détresse et de grande vulnérabilité : les réseaux criminels qui l’alimentent en ont parfaitement conscience pour rabattre leur proies et trouvent leur intérêt dans une activité qui dégage en France un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 3,2 milliards d’euros, leur assurant des profits voisinant avec ceux des trafics d’armes ou de stupéfiants, avec en prime des risques judiciaires infiniment moindres.
Le Défenseur des Droits dont la mission (art 4, 1°/ de la loi organique) principale est de « Défendre les droits et les libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes investis d’une mission de service public », mais aussi de veiller à la protection des droits de l’enfant, est-il fondé à prendre une position publique aussi surprenante qu’inopportune sur une tel sujet.
En quoi ses missions l’autorisent-elles à peser sur un débat aussi fondamental au regard des droits de l’homme en reprenant des propositions bien connues du lobby pro-prostitution qui dénoncent la pénalisation de la demande de services sexuels et vantent la reconnaissance du travail du sexe comme une avancée des droits de l’homme.
Sait-il seulement, en sa qualité de Défenseur des Droits de l’enfant, que les mineurs de 13 à 18 ans constituent la première cohorte du contingent de la population prostituée ?
La pénalisation de la demande de services sexuels, c’est-à-dire du client, viendrait compromettre, selon lui, la sécurité des prostitué(e)s tout en les exposant à des risques sanitaires plus élevés de contamination.
Il faudrait donc garantir la tranquillité pénale du client-prostitueur pour éviter la contrainte d’une plus grande clandestinité qui exposerait les personnes prostituées à la violence des clients... ou à leurs pratiques dangereuses moins encadrées porteuses de risques graves pour la santé.
Nous restons avec de telles propositions sur le terrain des poncifs, sauf à admettre que la pénalisation actuelle des personnes prostituées et la franchise pénale de la clientèle permettraient de mieux assurer leur sécurité physique et sanitaire grâce à la vigilance de leurs protecteurs et à la proximité de la police prête à verbaliser !
Quant aux missions de la police qui se verraient « compliquées » par la pénalisation des clients dans leur lutte contre le proxénétisme et les trafics des êtres humains, nous cherchons à comprendre en quoi cette pénalisation entraverait l’initiative et l’action de la police.
Faut-il comprendre que les services de police ne se sentent pas véritablement concernés par la problématique de la demande de prestations sexuelles tarifées, alors que celle-ci est déjà pénalement sanctionnée lorsque la personne prostituée est mineure (art 225-12-1 du code pénal).
Ou, plus grave, le maintien du statut actuel des personnes prostituées et de l’immunité du client-prostitueur permettrait-il en fait plus facilement aux services de police de disposer d’un moyen d’information et de pénétration du milieu par la menace de poursuite pour racolage avec le concours éventuel du consommateur !
La proposition du Défenseur des Droits, à la fois déplacée et, disons-le, choquante, témoigne d’une connaissance imparfaite ou erronée de la réalité de la prostitution et des réseaux qui l’alimentent.
L’échec invoqué des politiques abolitionnistes dans les pays du nord est démenti par le constat (en Suède notamment) de la diminution des violences et des viols, le signalement plus facile des crimes dont les personnes prostituées sont victimes, la baisse de la demande de prestations sexuelles tarifées, la réduction notable de la prostitution de rue, et le soutien massif (70%) de la population à la législation abolitionniste.
La Fondation Scelles est à la disposition du Défenseur des Droits pour lui donner toutes les informations nationales et internationales qui lui permettront d'échapper aux stéréotypes trompeurs qui affectent la crédibilité de son avis.
Bien identifier la place de chaque acteur dans le fléau de la prostitution est un devoir pour le Parlement, qui s’y emploie : à côtés des proxénètes et des clients stigmatisés clairement comme prostitueurs, il s’agira de donner aux personnes prostituées qui le souhaitent dans leur grande majorité la possibilité de sortir de leur condition en leur accordant un véritable statut de victime et en mettant en place à leur profit des politiques publiques d’accueil (85% de migrants), de reconstruction et d’insertion.
Alors l’abolition de l’esclavage sexuel constituera une véritable conquête pour les femmes et les hommes victimes de la prostitution qui retrouveront seulement à ce prix leur dignité perdue. L’honneur de nos institutions en sortira grandi.
La France rejoindra ainsi les nombreux Etats abolitionnistes (Canada, Suède, Norvège, Irlande du Nord, Islande) suivant les recommandations du Parlement européen et du Conseil de l’Europe, pour mieux lutter contre le trafic des êtres humains, avec la contribution des victimes enfin protégées par la loi.
Le président et le conseil d’administration de la Fondation Scelles