Je m’appelle Paul Wamo Taneisi, kanak de l’île de Lifou en Nouvelle Calédonie, artiste installé depuis trois ans en France Métropolitaine et invité à jouer pour les 10 ans de votre journal le 17 mars au 104.
Je tenais à vous tenir informé avant ma venue de mon point de vue concernant un article que vous avez publié sur la consultation autour du référendum en pays mien.
Je suis fatigué de certains médias métropolitains qui tirent sur les ambulances quand ils parlent, écrivent et montrent mon pays en vue de l’échéance qui l’attend. Ainsi l’objet de ma lettre concerne l’un de vos articles de la même veine titré comme ceci : « Nouvelle Calédonie – Au bout du référendum la paix ou la discorde », le 16 février 2018, de Carine Fouteau.
Le titre « choc » que vous avez choisi pour votre article est un titre racoleur comme nombre de titres d’articles de presse métropolitaine qui parle de l’échéance qui attend mon pays. Mon pays n’est pas un spectacle pour public en manque de frissons ni un fait divers bon à vendre pour remplir sa caisse éditoriale. Autre exemple : Libération « Nouvelle Calédonie – l’année de tous les dangers », 30 novembre 2017.
L'opposition caldoche/kanak est réductrice pour parler du « vivre ensemble » ou de « destin commun » en pays mien, enjeux qui ne se limite pas qu’à la communauté « caldoche » et au peuple « kanak ». Le pays mien est plus divers et complexe que ce rapide raccourci communautaire. Vous devriez le savoir en votre qualité et métier de journaliste. Et si on se tient par ailleurs à votre credo qui célèbre vos 10 ans : « La rencontre du journalisme et de la société », votre introduction fait penser à un safari néo colonialiste avec encore là des raccourcis dignes de cartes postales pour touristes avides d’exotisme. « En roulant vers le nord, apparaissent parfois des traces de vie collective : des cases rondes en paille ou des maisonnettes en tôle sont le signe qu’une tribu est installée là. Un sentier aux formes courbes indique l’entrée. Les alentours sont soigneusement tenus : pelouse tondue à ras et feuilles balayées ».
Temps et trajet du séjour : seize jours du nord au sud et d’est en ouest de l’archipel. Un trop court séjour à mon avis pour prétendre avoir rencontré « les citoyens calédoniens appelés à se prononcer sur l’indépendance ». La Nouvelle Calédonie est un territoire qui ne se limite pas du « nord au sud et d’est en ouest ». Nous avons les Îles Loyautés, les îles Bélép ou encore l’Île des Pins; nous avons Nouméa et sa périphérie; nous avons le Grand Nouméa; nous avons l’extrême sud qui n’est pas comme vous le raccourcissez rapidement « blanche et non indépendantistes »; des espaces tout aussi intéressants à observer et à interroger car les gens, les familles qui y vivent sont tout aussi « calédoniens » que ceux du nord au sud et d’est en ouest.
Un dernier point : les kanaks ne sont pas tous indépendantistes et les caldoches ne sont pas tous anti indépendantistes, vous grossissez des schémas qui effacent toute la complexité du visage que porte le pays mien et véhiculez ainsi de vieilles postures qui ne collent pas au maintenant.
Voici donc mon point de vue concernant votre travail d’investigation en pays mien que je trouve néanmoins très précis sur certains points mais trop rapide sur d’autres. Et ces imprécisions me sautent trop aux yeux pour que je les cache ou fasse semblant de ne pas les voir. Je tenais ainsi à vous en faire part avant notre venue le 17 mars au 104 pour votre anniversaire.