Parmi les innovations de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et concernant la lutte contre le terrorisme islamiste, est apparue la création d’un fichier nominatif confié au casier judiciaire national, le FIJAIT (Fichier national automatisé des auteurs d’infractions terroristes). Ce fichier, assez comparable dans son fonctionnement au fichier automatisé des auteurs d'infractions sexuelles (le FIJAIS), est désormais inscrit dans le code de procédure pénale (art 706-25-3 et s) et prévoit l’inscription de tous les auteurs d’actes terroristes, les obligeant à préciser leur domiciliation, de justifier trimestriellement de leur adresse, d’alerter les services de police de tout déplacement à l’étranger ainsi que d’informer d’un déplacement en France pour tout étranger présent dans ce fichier. Il est à noter que le non respect de ces obligations constitue un délit et est passible de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Fortement répressif, le FIJAIT jette également l’opprobre sur ceux qui s’y trouvent alors même que leur activité peut s’avérer très éloignée de l’esprit martial qui a commandé la mise en place de ce système de surveillance. C’est évidemment le cas des nombreux militants nationalistes basques mais aussi corses soumis à l’obligation d’inscription à un fichier qui a été pensé et réalisé dans le cadre de la lutte contre la menace jihadiste en France.
Cette mise en parallèle des luttes à travers une homogénéisation des processus de prévention de la violence politique n’est pas sans poser question. Concernant une organisation comme ETA qui a cessé totalement ses activités violentes depuis plus de 5 ans, l’inscription au fichier de militants basques est surprenante et fortement dérogatoire à l’esprit du droit. Surprenante parce qu’elle vise un mouvement politique violent mais qui n’a plus d'activité armée aujourd’hui et vient ainsi handicaper les efforts de mise en place d’une solution politique et pacifique à l’identitarisme basque au sein des Etats-nations français et espagnol. Dérogatoire à l’esprit du droit puisque cette mesure semble rétroactive, visant des combattants qui n’en sont plus et ont accepté le processus de paix en cours voire y prennent part. L’usage de ce fichier participe de ce que le juriste Günther Jakobs a dénommé le processus de « dépersonnalisation du terroriste » qui, ayant rompu avec la société politique en usant de la violence à son encontre, serait soumis, selon le mot du pénaliste Olivier Cahn, à une « procédure moins garantiste ». Il ne s’agit pas ici seulement d’insister sur la portée symbolique de ce fichier mais également sur ses conséquences pratiques pour des habitants des Pyrénées atlantiques, frontaliers et souvent amenés à passer la frontière dans les deux sens.
Alors que le FIJAIT a été conçu dans le cadre de la lutte contre l’Islamisme radical, sa mise en œuvre à l’encontre de militants de luttes politiques sans aucun lien avec le jihadisme pose là aussi question. Ce n’est pas seulement l’anachronisme historique qui interroge ici l’observateur mais la légèreté sociologique consistant à marier des causes et figer des pratiques politiques sous le vocable utile de « terrorisme » sans en mesurer les disparités. Si certains combats ont pu utiliser la violence politique, tous n’ont pas usé de pratiques de terrorisation des masses à l’instar des attentats jihadistes. Fondre sous un même fichier et donc sous un même label fortement stigmatisant (celui de terroriste), au cœur d’une actualité centrée sur la menace islamiste, jihadistes et militants nationalistes, relève d’une curieuse conception de la lutte anti-terroriste comme de la perception de l’acuité de la menace ! Le refus récurrent des juridictions d’autoriser l’effacement au fichier FIJAIT de nombreux acteurs basque ou corse, non incarcérés et totalement intégrés à leur communauté de vie, interroge sur la volonté d’inscrire le stigmate de l’ultra-violence sur des identités désormais pacifiées.
Lutter contre une réalité de terrorisation à travers des outils d’identification toujours plus perfectionnés peut se comprendre ; vouloir punir plus que prévenir des militants politiques pour des actes clos, aboutissant à réifier un combat désormais pacifié sous le stigmate encombrant de l’ombre jihadiste, affaiblit inutilement les efforts en cours pour favoriser un processus de paix.
Les signataires:
Commission des juristes et universitaires pour le processus de paix au Pays Basque
- Agnès AGUER, Avocate au Barreau de Bayonne
- Philippe ARAMENDI, Avocat au Barreau de Bayonne
- Marielle AURNAGE-CHIQUIRIN, Avocate au Barreau de Bayonne
- Jean-François BLANCO, Avocat au Barreau de PAU, ancien Bâtonnier
- Julien BREL, Avocat au Barreau de Toulouse
- Sophie BUSSIERE, Avocate au Barreau de Bayonne
- Xantiana CACHENAUT, avocate au Barreau de Bayonne.
- Xavier CRETTIEZ, Professeur de science politique à Sciences Po Saint Germain en Laye / UVSQ.
- Hervé ESPIET, Avocat au Barreau de Bayonne
- Christophe DESPREZ, Avocat au Barreau de Bayonne
- Isabelle DUGUET, Bâtonnière de l’Ordre des Avocats du Barreau de Bayonne
- Jean Baptiste ETCHEVERRY, Avocat au Barreau de Bayonne, ancien Bâtonnier
- Christiane FANDO COLINA, Ancien Bâtonnier de Bayonne
- Henri d’HUHALT, Magistrat honoraire
- Laurence HARDOUIN, Avocate au Barreau de Bayonne
- Alain LARREA, Avocat au Barreau de BAYONNE
- Sophie MALLIARAKIS, doctorante contractuelle en droit à l'Université Paris X.
- Hélène MAYA, Avocate au Barreau de Bayonne
- Maritxu PAULUS BASURCO, avocate au Barreau de Bayonne.
- Serge PORTELLI, Magistrat.
- Amaia RECARTE Avocate au Barreau de Bayonne
- Clara ROUGET ARANIBAR, Avocate au Barreau de Bayonne
- Philippe TEXIER, Magistrat honoraire, expert à l'ONU