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Tribune 17 janvier 2017

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La génération Y s’interroge sur les conséquences de la numérisation sur le travail

Plusieurs secrétaires nationaux du PS et du parti Ecologistes!, MJS et responsables associatifs interpellent les candidats à la primaire sur l'impact de la numérisation sur l'emploi et le travail, le revenu universel, la réallocation des besoins selon les secteurs, la réforme de la taxation... «Tous les signaux plaident pour que les années 2017-2018 rejoignent les grandes dates du progrès économique et social par la baisse du temps de travail global par individu», considèrent-ils.

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A gauche, la génération Y s’interroge sur les conséquences de la numérisation sur l’emploi et le travail,

À rebours des carrières linéaires de nos parents, l’univers professionnel et social qui nous attend apparaît plus haché. L’une des raisons de cette transformation est la révolution numérique, qui remet en cause la société salariale et du même coup notre modèle social, fondé sur ce salariat.

À l’heure d’une nouvelle étape dans le processus de numérisation , celle des données massives, des objets connectés et de l’intelligence artificielle, l’enjeu est de continuer à concilier compétitivité de nos entreprises en économie ouverte et protection de tous les actifs. Pour nous, en effet, les progrès technologiques n’ont de sens que s’ils servent le progrès humain, en renforçant les possibilités d’émancipation au travail et en-dehors du travail.

L’intégralité de la sphère du travail est remise en question par le numérique : méthodes et contenu du travail, désenclavement en termes d’accès à l’emploi de certains territoires par la numérisation des services publics et le développement du télétravail - pourvu que la puissance publique accompagne les individus éloignés des usages numériques (1) -, définition même du travail, qui désormais peut se limiter à quelques heures de prestation par semaine (transport, livraisons, etc.) vendues sur une plateforme.

C’est bien dans ce contexte que se comprennent, par exemple, les débats autour du revenu universel. L’importance de la réforme fiscale qui serait nécessaire à la mise en place d’une telle mesure impose une politique de "petits pas", qui pourrait commencer par la simplification du système de prestations sociales (sans baisse de montant) et l’automaticité du versement du RSA afin de mettre fin au problème du non-recours.

Dans ce contexte, l’idée d’une dotation minimum allouée à chaque jeune lors de son passage à l'âge adulte afin de financer un premier projet, associée à une réforme de la taxation de l’héritage (2), est prometteuse (3). Si l’économie numérique permet des parcours plus diversifiés qu’auparavant - facilitation de l’entreprenariat notamment - il n’est ni juste ni efficace économiquement que le parcours d’une vie soit de plus en plus déterminé par le fait d’être bien né ou non.

L’automatisation accélérée par la numérisation renforce en outre la réallocation des besoins en emplois selon les secteurs : de nouveaux métiers se créent alors que des emplois intermédiaires sont transformés, voire menacés. La tendance de long terme est quoiqu’il en soit à la baisse du volume d’heures travaillées : entre 1960 et aujourd’hui, le PIB français a progressé de 150% alors que le nombre total d’heures travaillées en France a baissé de 7% (4).

Dans ce contexte de redéfinition du travail, auquel s’ajoute celui d’un chômage persistant et d’une croissance européenne stagnante (due en partie à la faiblesse du pouvoir d’achat des plus modestes, qui sont ceux qui consomment le plus en proportion de leur revenu), comment le partage du travail doit-il être organisé ? Par le marché, quitte à accepter un partage très inégalitaire - temps plein à plus de 40h par semaine, temps partiel subi, précarité de la vente de prestations en ligne -, et ce jusqu’à un âge de la retraite qui ne cesse de reculer (5) ou dans le cadre d’un projet de société plus égalitaire, qui renforce le taux d’emploi ?      

Tous les signaux plaident pour que les années 2017-2018 rejoignent les grandes dates du progrès économique et social par la baisse du temps de travail global par individu.

Afin d’encourager celle-ci, une forte baisse des cotisations sociales conditionnée à la baisse du temps travaillé pourrait être mise en place (6), afin que le coût de cette politique soit nul pour l’entreprise et se fasse sans baisse de revenus pour la grande majorité des travailleurs (7). Les modalités de cette baisse du temps de travail devraient être négociées entreprise par entreprise (baisse du temps de travail hebdomadaire ou annuel, voire pluriannuel afin par exemple de permettre à un jeune parent de travailler moins sur une durée donnée). Dans le cas particulier des entreprises innovantes, notamment technologiques, qui peinent à recruter du personnel très qualifié, une telle politique de partage du travail devrait s’accompagner d’un effort accru de formation d’actifs et d’une politique d’attractivité des talents.

Les bénéfices économiques de long terme sont évidents : baisse du coût de l’assurance-chômage (qui contribuerait à la pérennité du système), baisse aussi du coût économique que représente la perte de compétence des actifs en cas de chômage de longue durée, meilleure santé au travail et baisse du coût des arrêts maladie, des burn out et autres syndromes d’épuisement professionnel ou de mal-être au travail.

Le Compte personnel d’activité mis en place par la loi Travail est un outil numérique qui doit permettre de faciliter la gestion de la répartition entre temps de travail, temps de formation et temps libre pour tous les actifs.

Les expériences étrangères sont également éclairantes sur les formes diverses que pourraient prendre un nouveau "partage du travail" aujourd’hui. Au Danemark, entre 1994 et 1998, tout salarié en formation longue était remplacé par un chômeur, ce qui facilitait les départs en formation tout en favorisant le retour vers l’emploi. Le taux de maintien des ex-chômeurs dans l’entreprise était de 60%. D’un coût estimé à 0,01% du PIB, cette rotation des emplois a permis une réduction de 4,5 points du taux de chômage en quatre ans et un retour au plein-emploi.

[1] L’actuel plan haut débit et l’accompagnement prévu par la loi Lemaire pour une République numérique  (médiation numérique dans les territoires, droit au maintien de la connexion pour les foyers modestes)  y contribuent.

[2] Voir la note de France Stratégie "Peut-on éviter une société d'héritiers ?" : l’héritage détermine aujourd’hui 20% de la richesse des ménages contre 8,5% dans les années 1980.

[3] Voir Le capital d’émancipation, un premier pas vers l’égalité des dotations initiales, Guillaume Mathelier (2016)

[4] Source OCDE

[5] Le recul de l’âge du départ à la retraite n’a en outre pas eu d’effet positif sur la reprise d’emploi des seniors d’après la dernière étude de l’INSEE et a renforcé les disparités entre les carrières continues qui pourront bénéficier d’un départ à l’âge légal, et les carrières plus discontinues (qui touchent plutôt les femmes et les moins qualifiés) qui ne permettent pas d’avoir un nombre suffisant de trimestres pour avoir les moyens de s’arrêter de travailler avant l’âge du taux plein.

[6] Plusieurs centaines d’entreprises en France sont déjà passées à la semaine de quatre jours, sans coût supplémentaire pour l’entreprise (en renégociant les systèmes de primes par exemple), parmi lesquelles Fleury Michon ou Mamie Nova.

[7] Voir  La Gauche n’a plus le droit à l’erreur, de M. Rocard et P. Larrouturou (2013), dont la proposition de baisse du temps de travail a été testée et validée par P. Artus en termes de coûts pour l’Etat comme pour les entreprises.

Signataires :

Gabrielle Siry, secrétaire nationale à l'économie du Parti socialiste et Karim Bouamrane, secrétaire national à l'innovation du Parti socialiste; Marion Canales, adjointe au maire de Clermont-Ferrand, secrétaire nationale à l'apprentissage du Parti socialiste; François Fournier, parti Ecologistes!, enseignant d'économie; Olivier Frézel, responsable syndical, membre du Conseil Programmatique de Nouvelle Donne; Thomas Gachet, étudiant, président d'une fédération d'éducation populaire; Albin Herbette, secrétaire national à la coordination régionale du Parti socialiste; Guillaume Mathelier, maire d'Ambilly, enseignant et docteur en sciences politiques; Paul Rubion, mouvement des jeunes socialistes, travailleur social.