Alors que les affaires Angelina à Marseille (suspicion de faux témoignage) et Nous Toutes (violences sexuelles) défraient aujourd’hui la chronique, des pratiques discriminatoires de la police avaient été dénoncées publiquement en juin dernier par le Défenseur des droits (étude IPSOS/CESDIP/INED portant sur les contrôles d’identité et les dépôts de plaintes) et la Cour européenne des droits de l’homme (condamnation de la France pour contrôle au faciès dans l’affaire Karim Touil).
Dans les deux cas, ces dysfonctionnements étaient imputés au défaut d’encadrement des policiers, aux effets de la politique du chiffre, et sans doute à certains préjugés.
La police apparait aujourd’hui, à la fois comme l’administration la plus indispensable au maintien au pouvoir de gouvernements libéraux souvent contestés par des parties importantes de la population et la plus affectée, en effet, par la victoire culturelle de l’extrême droite. Alors que nous apprenons, dans un raccourci saisissant, l’appartenance à cette frange identitaire des enfants de plusieurs de ses cadres (ce qui serait inimaginable au Royaume-Uni ou en Allemagne sans un scandale politique), le décrochage républicain d’une grande partie des policiers emporte déjà de lourdes conséquences sur sa légitimité démocratique et son efficacité opérationnelle.
On peut principalement analyser le séparatisme actuel de la police au travers de deux marqueurs : tout d’abord l’attitude de ses syndicats majoritaires. Le taux de syndicalisation très élevé de 70% et la forte participation aux élections professionnelles (82,9% en décembre 2022) leur procurent une représentativité incontestable. Or, peu d’entre-eux manifestent un rejet explicite de l’extrême-droite (hormis Sud-Intérieur, CGT Police et SNUIPN-FSU, tous minoritaires). Les autres assument une sorte de proximité idéologique en reprenant les slogans du populisme pénal, voire en se livrant à des provocations ciblées, comme l’intimidation devant le siège d’un parti d’opposition en 2019 et de journalistes en 2020, et des marches sur l’Assemblée nationale en 2021 et 2025. Enfin, on retrouve régulièrement les porte-paroles de ces syndicats sur les plateaux des organes de propagande de l’extrême-droite, voire les listes de leurs partis.
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L’autre marqueur se situe au niveau du vote des forces de l’ordre, documenté depuis de nombreuses années. Même si les panels d’enquête sont ténus, ils attestent d’une régularité des résultats. La mesure inclut généralement policiers et militaires (FDO), actifs et retraités (le vote de ces derniers étant plus modéré), et agrège tous les grades (plus celui-ci est élevé, moins les suffrages se portent sur l’extrême-droite). La dernière étude (Cevipof, Fond. Jean Jaurès, Inst. Montaigne, Le Monde, Ipsos) porte sur les législatives de 2024 avec les pourcentages suivants : au 1er tour, 52% pour le RN, 7% pour le NFP; au 2ème tour, 67% pour le RN. Aux européennes de la même année, les mêmes FDO ont voté à 58% pour l’extrême-droite.
Les conséquences de cette montée aux extrêmes dans une administration aussi essentielle à la cohésion nationale et au fonctionnement de l’Etat se manifestent déjà dans trois directions :
- Un problème de discernement des formes d’insécurité les plus dangereuses pour la population et les institutions : surestimation du terrorisme islamiste et de l’immigration clandestine, déni de la violence politique d’extrême-droite (à l’heure où le terrorisme identitaire est seul en progression et où certains membres des forces de l’ordre seraient justement suivis pour leur appartenance à l’extrême-droite violente), et surinvestissement envers la violence des pauvres et la délinquance de voie publique au détriment de la criminalité financière et de la corruption, pourtant plus contagieuses et délétères pour la morale collective.
- Un problème de déchirement du tissu social : en raison du comportement de nombreux agents, la police est perçue dans certaines parties du territoire, et aux yeux des mouvements sociaux passés et à venir, comme une bande armée et violente ou une garde prétorienne ; son image s’est dégradée et sa côte de confiance s’est érodée depuis les attentats de 2015 (Rapport IGA/IGPN/IGGN, « Améliorer la confiance entre les FSI et la population », 2023) ; ses biais de fonctionnement (racisme, encadrement, etc.) seraient même susceptibles d’augmenter les tensions sociales au lieu de les contenir (Rapport Vigouroux/Roussel, 2021).
- Un problème démocratique enfin, du fait de la raréfaction des cadres policiers de gauche susceptibles d’accéder aux responsabilités en cas d’alternance. Cette question du vivier disponible s’est posée à chaque fois que la gauche a accédé au pouvoir (1936, 1981, 2012), mais s’est accentuée ces dernières années dans tous les secteurs de l’action publique. Ainsi, une coalition de gauche ne pourrait pas compter pleinement sur la police pour garantir le bon fonctionnement des institutions en cas d’arrivée au pouvoir, faussant le résultat électoral et ignorant ainsi la volonté de la majorité de la population, voire provoquant des troubles sécuritaires importants.
Autoriser, comme on le fait aujourd’hui, la police à faire de la politique en sortant du cadre républicain, s’avère rarement sans conséquences. Souvenons-nous, par exemple, que c’est une manifestation impunie de policiers d’extrême droite devant l’Assemblée nationale qui, le 13 mars 1958, avait asséné le coup de grâce à une IVème République moribonde, au profit d’un changement radical de régime.
Signataires :
Jean-Louis Arajol (Président-fondateur du collectif Police, République et Citoyenneté),
Didier Bigo (Professeur émérite à Sciences-Po Paris),
Jean-Jacques Gandini (Ancien président du Syndicat des avocats de France),
Sebastian Roché (Directeur de recherche au CNRS),
Gilles Sainati (Ancien secrétaire général du Syndicat de la magistrature)
François Thuillier (Coordonnateur de l’Observatoire de la sûreté)*.
*Le collectif Police, République et Citoyenneté (PRC), créé par Jean-Louis Arajol, se transformera officiellement en association, afin d’augmenter sa visibilité et intensifier son combat pour une police républicaine. Celle-ci sera dotée d’un Observatoire de la sûreté qui aura vocation à proposer un contre-discours, académiquement fondé, à la rhétorique sécuritaire.