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Tribune 19 avril 2022

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Lettre ouverte aux électeurs (notamment de gauche) qui envisagent de s’abstenir dimanche prochain

« La menace est celle d’une justice mise au pas, d’un parlement contourné, d’une remise en cause des valeurs essentielles de la République. » Face au péril de l'extrême droite accédant au pouvoir, un collectif de juristes, avocats et défenseurs des droits humains soulignent que « Marine Le Pen envisage, purement et simplement, de passer en force au-dessus de la Constitution et de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen [...] On ne peut être blasé de la démocratie et de l’Etat de droit. Après, il est toujours trop tard pour le regretter. »

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A quelques jours du second tour de l’élection présidentielle, personne ne peut exclure que, dimanche prochain, Marine Le Pen soit élue présidente de la République. L’accession de l’extrême droite à la magistrature suprême n’a jamais été aussi peu improbable. Et, dès lors qu’elle aurait obtenu plus de cinquante pour cent des suffrages, personne ne peut exclure que, dans la foulée, elle recueille à l’Assemblée nationale une majorité lui permettant d’appliquer son programme.

Ainsi, en tant que juristes, avocats, défenseurs des droits de l’Homme, nous appelons résolument tous les démocrates à voter pour Emmanuel Macron.

Chaque voix compte de ceux qui sont attachés aux valeurs d’humanisme et au respect des droits de l’Homme, que la République incarne et qui font vivre en retour la République.

Un quinquennat d’extrême droite causerait aux libertés publiques et aux droits fondamentaux des dégâts dont certains seront irrémédiables : expulsions massives ; remise en cause du droit du sol ; tentative de remise en cause de l’abolition de la peine de mort ; discriminations institutionnalisées et généralisées : le programme est connu, il avait, peut-être, été un peu oublié ou masqué par la « dédiabolisation ». 

Nous estimons donc de notre devoir de dire à ceux, et notamment aux jeunes, qui envisagent de s’abstenir ou de voter blanc, en croyant que l’élection de Marine Le Pen ne serait, à la rigueur, que symboliquement néfaste mais ne changerait concrètement rien ou pas grand-chose au « système », qu’ils se fourvoient.

Marine Le Pen revendique haut et fort, comme un élément central de son programme, la mise en place d’un système de « priorité nationale », qui permettra de refuser certains droits à des personnes au seul motif qu’elles sont de nationalité étrangère. Elle a annoncé l’expulsion de leurs logements HLM de plus de 600.000 personnes séjournant régulièrement en France, y travaillant, y payant leurs impôts, y contribuant à la richesse nationale. Elle ne cache pas prendre pour modèle MM. Orban, Poutine, Trump ou Bolsonaro, tous dirigeants autoritaires et illibéraux méprisant les libertés fondamentales, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, bref le socle de tout Etat de droit. 

Et lorsqu’on lui oppose l’inconstitutionnalité de telles mesures, elle réplique qu’elle modifiera la Constitution par référendum, en s’appuyant sur une conception dévoyée et fallacieuse de l’article 11 de la Constitution, qui circonscrit à dessein le champ du référendum. Précisément pour éviter un tel risque, l’article 89 de la Constitution prévoit qu’elle ne peut être modifiée par un simple référendum, le projet de révision devant être voté dans les mêmes termes par les deux assemblées parlementaires. 

Marine Le Pen envisage donc, purement et simplement, de passer en force au-dessus de la Constitution et de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Puisque pour elle, les Hommes ne naissent visiblement pas libres et égaux en droit.  Ainsi, d’éminents constitutionnalistes – de tous bords politiques – ont qualifié son programme de « coup d’Etat constitutionnel ».

En appelant au respect de la Constitution, nous ne manifestons pas un attachement formel ou nostalgique à des règles qui seraient anachroniques : la répartition et l’équilibre des pouvoirs qu’elle prévoit nous protègent, tous. Permettre à une personne de la modifier par référendum, c’est lui donner le pouvoir de porter atteinte à toutes les libertés fondamentales, sans contrôle.

Au reste, même sans majorité à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen conserverait d’importants pouvoirs, notamment dans la nomination des plus hauts magistrats et des préfets. La menace est donc réelle d’une justice mise au pas, d’un parlement contourné, d’une remise en cause des valeurs essentielles de la République.

Or, quoi que l’on puisse reprocher à Emmanuel Macron et au quinquennat écoulé, les institutions de la République ont été respectées, même dans des moments de crise : les dispositions les plus contestables ou controversées des textes spéciaux adoptés pour gérer la pandémie ont, par exemple, pu être portées devant la justice, y compris en urgence, et ont été suspendues ou censurées lorsqu’elles étaient inconstitutionnelles. Et – bien évidemment – les décisions du Conseil constitutionnel n’ont jamais été remises en cause par le pouvoir exécutif.

On ne saurait, enfin, se réfugier derrière l’idée que l’élection de Marine Le Pen constituerait une simple difficulté passagère, un mal nécessaire qui devrait bien advenir un jour pour lever l’hypothèque, voire selon certains une catastrophe « régénératrice ».  Les modèles revendiqués de Marine Le Pen montrent que le nouveau pouvoir pourrait refuser de céder la place en cas d’alternance, comme ont tenté de le faire les partisans de Trump, ou que, à l’instar de Poutine, il pourrait, par des atteintes à la liberté d’expression, de réunion, d’association et de manifestation, faire obstacle au jeu démocratique.

En définitive, s’abstenir de voter contre Marine Le Pen en utilisant le bulletin Emmanuel Macron, c’est prendre le risque de se rendre complice des graves atteintes qui seront immanquablement portées à l’Etat de droit – celles déjà annoncées et celles qui les suivront.

Rappelons-nous, avec Hannah Arendt, que les régimes fascistes sont arrivés au pouvoir avec le soutien actif d’une minorité d’électeurs mais surtout « grâce » à l’abstention d’une partie des électeurs censés être démocrates, et notamment de gauche, qui avaient cru pouvoir renvoyer dos à dos les différents partis.  On sait quelle fut la suite. 

Quels que soient les reproches que l’on peut adresser à Emmanuel Macron, et les responsabilités qu’on lui impute, chacun de ceux qui n’auront pas utilisé, dimanche, le bulletin Emmanuel Macron, partagera la responsabilité de ce qui se produira si Marine Le Pen est élue.

On ne peut être blasé de la démocratie et de l’Etat de droit. Après, il est toujours trop tard pour le regretter.

Signataires :

Catherine Bauer-Violas ;
Julie Buk-Lament ;
Michaël Ghnassia ;
Claire Leduc ;
Paul Mathonnet ;
Mathieu Stoclet ;
Cédric Uzan-Sarano ;
Claire Vexliard,

Avocates et Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation