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Tribune 20 novembre 2025

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Pour en finir avec la tutelle de l’État sur les territoires

Cette tribune à l'initiative de Agnès Bourgeais, maire de Rezé et vice-présidente de l’association « Villes et Banlieues » et de Michel Ménard, président du conseil départemental de Loire-Atlantique, cosignée par de nombreux présidents de conseils départementaux, maires, parlementaires et élus, répond au « nouvel acte de décentralisation » promis par Sébastien Lecornu.

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Monsieur le Premier Ministre,

Vous nous promettez un nouvel acte de décentralisation. À chaque gouvernement, la même promesse : « rendre du pouvoir aux territoires ».

Mais, derrière les mots, toujours la même mécanique : depuis quarante ans, la France décentralise sans jamais vraiment faire confiance. Ce qui devait être une conquête démocratique a progressivement laissé place à des collectivités entravées, corsetées. A chaque réforme, leur autonomie s’est réduite, leur fiscalité amenuisée, leur liberté restreinte. La succession des lois territoriales – RCT, MAPTAM, NOTRe, 3DS – loin de leur donner du pouvoir, s’est contentée de techniciser l’action publique, de multiplier les schémas, d’éloigner les citoyens de la décision.

Si les élections locales ne mobilisent plus, ce n’est pas parce que le peuple a déserté la politique. C’est la politique qui l’a déserté. En faisant de la décentralisation un mécano technocratique au service du marché, la décentralisation a oublié le citoyen et empêché les collectivités.

Un abandon de l’Etat qui s’impose aux collectivités  

Les élus locaux sont peu à peu devenus la soupape d’un Etat qui ne se préoccupe plus des conséquences sociales de ses décisions. Depuis vingt ans, les services de l’Etat disparaissent les uns après les autres, au détriment des populations et des acteurs économiques locaux. Fermetures d’écoles et de classes, suppressions de bureaux de poste, disparition des gares de proximité, fermeture de maternités et d’urgences hospitalières, raréfaction des trésoreries… Au nom de la « rationalisation » ou de la « rentabilité », partout, le désengagement se ressent. Et contraint les acteurs locaux.

Car les collectivités, en première ligne, prennent le relais afin que les situations ne deviennent pas explosives. Lorsque l’Etat laisse faire les délocalisations, ce sont les communes et les départements qui accompagnent leurs victimes au quotidien. Lorsque les quartiers populaires s’embrasent, ce sont les acteurs locaux qui interviennent pour apaiser. Lorsque le système de santé est exsangue, ce sont les collectivités qui se plient à la surenchère pour attirer des médecins. Lorsque des commerces ferment face à la concurrence de l’achat en ligne, ce sont les élus locaux qui se battent pour faire revivre leurs places, leurs rues, et qui s’attèlent à réinventer l’animation de leurs villes. Les collectivités pallient les carences de l’Etat. Elles déploient désormais elles-mêmes des AESH ou des hébergements d’urgence. Aujourd’hui, la situation atteint un tel degré d’absurdité que les collectivités financent même les points d’accueil de l’État, à travers les Maisons France Services.

Les collectivités étouffent sous les manquements d’un Etat, qui sème par son laisser-faire le mal-être localement. Et, partout, il fragilise la République au quotidien.

Des finances asséchées

Comme si cela n’était pas suffisant, l’Etat retire progressivement leur autonomie financière aux collectivités. Suppression de la taxe d’habitation, suppression de la taxe foncière pour les Départements, suppression de la CVAE … La suppression des ressources locales entraine une dépendance de plus en plus forte aux dotations.

Mais ce n’est pas la seule. En 2022, l’Etat a décrété seul la revalorisation du salaire des agents : une décision juste, mais sans contreparties, laissant cette nouvelle charge aux collectivités comme si elles finançaient un trop grand nombre d’actions inutiles qu’il suffirait de supprimer. Coût de la facture ? 1 milliard d’euros.

Dans le même temps, l’Etat s’est appliqué, minutieusement, à assécher leurs finances. Après avoir remplacé leurs ressources propres par des dotations, comme pour mieux garder le contrôle, il leur reproche maintenant d’être trop lourdes pour son budget. Depuis 2010, le manque à gagner sur les dotations représente 82 milliards d’euros [1]. Depuis 2 ans, il va même jusqu’à les ponctionner pour renflouer ses caisses, refusant de les considérer de façon disjointe de sa personne. L’effort a été de 5 milliards en 2025 [2]. 8 milliards sont envisagés pour 2026 [3]. Baisse des dotations, multiplication des appels à projets qui les obligent à mendier des financements : l’Etat coupe les vivres, tout en renforçant la dépendance.  

Le prix ? Des acteurs sportifs et culturels qui voient fondre leurs subventions. Des associations de solidarité en difficulté. Des écoles qui ne peuvent plus être entretenues. Des parents sans places en crèche. Des cantines plus chères. Des bâtiments qui restent des passoires thermiques. Un système de protection de l’enfance en crise. Toutes les collectivités aujourd’hui connaissent ces situations. Aucune n’est épargnée. Nous, élus, savons ce que cela veut dire : porter chaque jour les colères, les angoisses, les espoirs d’une population, sans avoir les leviers pour y répondre.

Des collectivités sommées de répondre aux lois du marché et redessinées pour la mondialisation

Pendant ce temps, on demande aux collectivités d’être performantes. Compétitives. Depuis le tournant des années 2000, la décentralisation s’est alignée sur les logiques de la mondialisation : attractivité, croissance, rayonnement. Les collectivités sont sommées d’entrer dans la course : attirer les investisseurs, rivaliser d’excellence, prouver leur utilité économique.

Dans cette logique, on a revu la carte des collectivités. Les métropoles ont été façonnées pour la compétition mondiale. Les régions ont été redessinées à l’échelle de Bruxelles. Les intercommunalités agrandies à coups de statistiques. Les départements et les communes ? Oubliés.

Soyons clairs : la décentralisation a été confisquée. Pensée pour accompagner la mondialisation, elle a servi la compétitivité. Le citoyen n’y retrouve plus ni sa voix, ni son lieu, ni son sens. Aujourd’hui, qui peut dire comment s’appellent les habitants de la région Grand Est ou de la région Auvergne-Rhône-Alpes ? Au nom de la compétitivité, on a effacé la communauté. Le politique s’est effacé devant le marché, le local devant le global.

Et la France découvre qu’en cherchant à « moderniser » ses territoires, elle a sapé le socle de sa démocratie locale. Quand une partie des citoyens se sent oubliée, méprisée, exclue, c’est la démocratie elle-même qui vacille. Résignation, abstention massive, vote de colère : à force d’être ignorés, les habitants finissent par se détourner d’une République qu’ils jugent lointaine, indifférente, hors sol. Tout cela alimente une colère sourde.

Nous vivons une époque où notre démocratie s’étiole. Les urnes se vident, les citoyens n’y croient plus. La démocratie est en crise, et cette crise ne s’arrête pas aux portes de l’État : elle touche aussi nos collectivités.

Libérer pour refonder, rompre avec le gigantisme pour retrouver le sens du local

La désindustrialisation a frappé de plein fouet nombre de villes et de campagnes. Des usines ont fermé, des emplois ont été délocalisés, souvent remplacés par de la logistique sous-payée. Des petites exploitations agricoles ont disparu, étranglées par les prix imposés par la grande distribution et la concurrence mondiale. Des centres-villes ont été dévitalisés par l’expansion des zones commerciales. Des grandes infrastructures se sont imposées aux communes sans qu’elles aient leur mot à dire. Le libéralisme a défiguré nos villes, nos campagnes. La mondialisation a détruit nos écosystèmes, nos solidarités et nos liens d’appartenance. Et la décentralisation l’a accompagné.

L’heure n’est plus à la performance : elle est à la résilience. Les crises sociales, écologiques et démocratiques appellent à relocaliser les décisions, les productions, les solidarités.

Alors, chiche. Chiche pour une vraie décentralisation. Celle qui ne se contente pas de transférer des charges, mais libère des capacités d’action. Celle qui rend le pouvoir non pas aux institutions, mais aux habitants. Depuis des années, les collectivités sont entravées. L’Etat se contente de déléguer, sans jamais renoncer à diriger. Il est temps de renverser cette logique : redonner à la commune son rôle de cœur battant de la République. Conforter les Départements dans leur rôle de solidarité sociale et territoriale. Faire de la décentralisation non pas un outil de compétitivité, mais une arme de démocratie.  

Nous, élus locaux et nationaux, affirmons qu’il est temps de rompre avec ce modèle épuisé. La décentralisation ne doit plus être un instrument d’adaptation à la mondialisation, mais une politique de résistance à ses excès. Elle doit affirmer que la France n’est pas un bloc uniforme, mais une mosaïque de lieux, de mémoires et de savoir-faire qu’il nous faut respecter.  

Libérer les territoires, c’est rendre la fiscalité locale réellement autonome et suffisante, pour garantir une liberté d’action et mettre fin à la recentralisation silencieuse. C’est rompre avec la logique du gigantisme, pour relocaliser l’économie et la décision au plus près des habitants, des ressources et des besoins. C’est faire de la commune l’échelon premier de la démocratie, celui où la République se vit et se construit.

Monsieur le Premier ministre, ce que nous demandons n’est pas un privilège : c’est la possibilité d’agir. Car libérer les territoires, c’est libérer la démocratie elle-même.

Tribune à l'initiative de :

Agnès Bourgeais, maire de Rezé et vice-présidente de l’association « Villes et Banlieues »

Michel Ménard, président du conseil départemental de Loire-Atlantique

Signataires :

Présidentes et présidents de conseils départementaux

Michel Ménard, président du Département de Loire-Atlantique

Christian Coail, président du Département des Côtes d’Armor

Philippe Dupouy, président du Département du Gers

Kleber Mesquida, président du Département de l’Hérault

Christine Téqui, présidente du Département de l’Ariège

Jean Claude Leblois, président du Département de la Haute Vienne

Helène Sandragné, présidente du Département de l’Aude.

Sophie Borderie, présidente du Département du Lot et Garonne, 

Jean Luc Gleyze, président du Département de la Gironde

Hermeline Malherbe, présidente du Département des Pyrénées Orientales 

Christophe Ramond, président du Département du Tarn.

Chaynesse Khirouni, présidente du Département de Meurthe et Moselle 

Sébastien Vincini, président du Département de haute Garonne

Germinal Peiro, président du Département de Dordogne

Serge Rigal, président du Département du Lot, 

Françoise Laurent-Perrigot, Présidente du Département du Gard

Jean Luc Chenut, président du Département d’Ile et Vilaine

Sébastien Jumel, Président de l'agglomération Dieppe-Maritime (76)

Maires

David Samzun, maire de Saint Nazaire (44)

Claire Tramier, maire de Lavau (10)

Christelle Chassé, maire d’Herbignac (44)

Nicolas Oudaert, maire du Gâvre (44)

Rémy Orhon, maire d’Ancenis (44)

Yves Dauvé, maire de Nort sur Erdre (44)

Laure Beslier, maire de Brains (44)

Freddy Hervochon, maire de Bouaye (44)

Jean-Claude Lemasson, maire de Saint-aignan de Grand Lieu (44)

Vincent Magré, maire de La Haie-Fouassière (44)

Alain Le Tolguénec, maire de Fercé (44)

Karine Paviza, maire de Geneston (44)

Martine Oger, maire de Thouaré-sur-Loire (44)

Laure Beslier, maire de Brains (44) 32

Emmanuel Terrien, maire de Mauves-sur-Loire (44)

Anthony Descloziers, maire de Sainte-Luce-sur-Loire (44)

Fabien Gracia, maire de La Montagne (44)

Laurent Godet, maire de La Chapelle-sur-Erdre (44)

Anthony Berthelot, maire d'Indre (44)

Michaël Kapstein, maire de Champnétery (87)

Gilles Leproust, maire d'Allonnes (72) et Président de l’association « Villes et Banlieues » 

Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers (92)

Emmanuel Grieu, maire de Mandagout (30)

Guillaume Chaussemy, maire du Pont-Chrétien-Chabenet (36)

Peggy Bariat, maire d'Ambazac (87)

Stéphane Delpeyrat-Vincent, maire de Saint-Médard-en-Jalles (33)

Marc Gricourt, maire de Blois et 1er Vice-Président de la région Centre-Val de Loire (41)

André Molino, maire de Septèmes-les-Vallons (13)

Parlementaires

François Ruffin, député de la Somme (80)

Philippe Grosvalet, sénateur de la Loire-Atlantique (44)

Julie Laenoes, députée de Loire-Atlantique (44)

Elu·es

Angelo Tonolli, Ccnseiller municipal d’Abbeville et conseiller départemental de la Somme (80)

Maryvonne Rocheteau, adjointe au Maire de la ville d’Arcueil (94)

Jean-Michel Poullé, adjoint à la Maire de Malakoff (92)

[1] Source : Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité

[2] Source : Rapport de la cour des comptes sur les finances locales (fascicule 2) publié le 1ᵉʳ octobre

[3] Source : Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité