La loi Kasbarian-Bergé est passée cet été, elle et ses articles qui criminalisent les locataires précaires et les occupant·es de squats. Avec cette tribune, nous voulons alerter sur ses conséquences autant présentes qu'à venir, tout en rappelant le contexte plus large dans lequel elle s'inscrit.
Ce « nous » est un collectif de squatteur·euses qui, depuis des années, au fil des expulsions et recompositions, persiste à habiter le bas Montreuil, un territoire qui voit ses rues puis sa population changer à coup de plan local d’urbanisme et de permis de démolir. Malgré tout, c’est aussi celui que nous habitons pleinement depuis quelques années et qui abrite un entremêlement de rencontres, de complicités et de résistances. C'est ce que nous continuons à faire exister dans notre habitation actuelle, que nous avons investie en décembre 2022, avant que le propriétaire puisse accomplir son projet d'en faire un immeuble de cinq étages avec toit-terrasse, avant aussi qu'il essaie de nous en expulser sans passer par un tribunal mais avec l'aide... d'une pelleteuse. Aujourd'hui, nous sommes parmi les premier·es à faire face à l'application de la nouvelle loi Kasbarian-Bergé. Un arrêté préfectoral a été placardé sur notre porte, nous annonçant que nous avions sept jours pour quitter les lieux. Sept jours pour nous séparer de plusieurs mois d'ancrage, sept jours pour trouver un nouvel espace qui pourrait nous accueillir, sept jours après lesquels cette maison devait se vider à nouveau de tout occupant·e. Nous avons déposé un recours et aurons donc une audience le 26 septembre au tribunal administratif de Montreuil.
Bien que nous soyons pris·es dans la défense de notre maison, nous tenons à re-situer ce qui nous arrive en rappelant le contexte politique bien plus large et alarmant dans lequel notre situation s'inscrit.
Ce contexte, c'est celui d'un État répressif qui débride sa violence au fil des contestations sociales. Sa politique s'impose par la brutalité de sa police et l'injustice de ses lois, en usant d'armes allant du 49-3 au LBD-40. Réforme des retraites, Sainte-Soline, révoltes suite au meurtre de Nahel : l'ordre capitaliste, écocidaire et raciste est sourd, le profit doit se faire et peu importe que ce soit au détriment de nos vies. Sur la question du logement, en France par exemple, ce sont plus de 300 000 personnes sans domicile fixe pour 3,1 millions de logements vacants.
C'est pourtant dans ce contexte que la nouvelle loi Kasbarian-Bergé criminalise encore plus l’occupation de lieux vacants, avec une formulation tellement large qu'elle comprend les parcelles agricoles ou les lieux de travail, préparant ainsi le terrain à une répression toujours plus totale de nos moyens de luttes (avec des peines de prison pouvant aller jusqu'à trois ans).Par exemple, un·e salarié·e qui occuperait son lieu de travail dans le cadre d’un mouvement social risque maintenant jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. En s'attaquant aux occupations, c'est donc le mouvement social dans son ensemble qui est pris pour cible. Car les squats jouent un rôle important dans ces épisodes de contestation, en offrant un cadre matériel et affectif capable de soutenir les luttes. On y a vu les fourneaux s'activer pour ravitailler les piquets de grève, les boules à facette s'illuminer pour alimenter les caisses de soutien, les langues se délier au cours de cercles de parole pour traiter la violence à laquelle nous faisons face. Assemblées générales, ateliers banderoles, et une infinité d'autres moments en lien avec les mouvements sociaux actuels ont été organisés dans des squats.
Mais avec la loi Kasbarian-Bergé, c'est dorénavant la préfecture qui dispose d’une autonomie pour décider du sort des occupant·es d’un lieu et ce, sans contradictoire, donc sans aucune possibilité pour les habitant·es de se défendre face à un·e juge. Cette même préfecture qui, à travers les mots de l'ancien préfet de Paris, M. Lallement, assumait pleinement avoir choisi "son camp", celui qui criminalise toute forme de lutte. Cette nouvelle loi facilite l’incrimination des personnes déjà ciblées et fragilisées par les politiques de contrôle, en faisant de l'accès au logement un outil répressif. Ainsi, le préfet du Val d'Oise se félicitait d'avoir expulsé de son logement social toute la famille d'un émeutier. Ces pratiques déshumanisantes viennent s’ajouter au projet de loi raciste Darmanin qui vise à enfermer et expulser toujours plus de personnes sans papiers. Ces mêmes personnes qui font partie des premières concernées quant à la question du mal logement et à qui l'Etat conditionne le droit de rester en France au rendement de leur force de travail.
En plus de donner davantage de moyens et de pouvoir à la préfecture pour expulser des espaces qui échappent à son contrôle, cette loi est le symptôme d'un contexte de droitisation décomplexée, qui renforce le sentiment de légitimité des proprios mafieux, des milices privées, des groupes d'extrême droite à agir par eux-mêmes. On ne s'imaginerait pas une pelleteuse détruisant une maison pour en déloger ses occupant·es dans un monde où le droit au logement serait une évidence partagée. Dans un monde débarrassé de ses fondements coloniaux et racistes, on ne s'imaginerait pas non plus des groupes d'extrême droite se faire les supplétifs de la police en lui livrant des révolté·es réagissant à l'assassinat de Nahel.
En parallèle du durcissement auquel elle participe, cette nouvelle loi est aussi une garantie de plus pour rassurer le marché de la spéculation immobilière. Derrière l'image d'un "libre" marché, il y a l'Etat et son appareil aussi bien répressif que législatif et médiatique, qui assure le maintien d'un cadre propice aux rapports d'exploitation. À chaque médiatisation d'un squat, on assiste à la même levée de boucliers pour défendre les intérêts du propriétaire à posséder, peu importe l'utilisation qui est faite de cette possession. En plaçant la prédation et la compétitivité économique comme rapport hégémonique, la métropole tend à détruire toutes les possibilités d'habiter en ville autrement que comme individu atomisé et exploité. Le travail salarié y est le seul moyen de subvenir à ses besoins, la consommation la seule manière d'exister, la propriété privée (louée ou acquise) la seule manière de se loger.
Dès lors, les pauvres et marginales·aux n'ont pas leur place dans la ville rêvée du progrès, de la croissance et du profit. À la fois indispensables à son fonctionnement et invisibilisé·es, ils et elles sont repoussé·es toujours plus vers les périphéries. Ce processus d'évincement passe par le démantèlement de camps de fortune, la mise en place de mobilier urbain anti-SDF, la chasse aux sans-papiers et aux vendeurs·euses à la sauvette ainsi qu'à toute économie parallèle, mais aussi par la promulgation de lois anti-pauvres. C'est bien comme cela qu'il faut comprendre la loi Kasbarian-Bergé, comme une loi qui criminalise et s'attaque frontalement à celles et ceux qui galèrent déjà à se loger dignement. En parallèle de ces mécanismes pensés pour chasser les indésirables, il y en a d'autres qui attirent les populations plus aisées. Les logements changent d'aspect, d'envergure et de prix, les commerces s'adaptent et attirent bientôt d'autres franges encore plus aisées. Ces dynamiques se sont accélérées dans le 93 ces dernières années, avec les aménagements du Grand Paris ou les J.O. 2024. Là où ils s'implantent, ces deux projets titanesques entraînent expulsions massives et destructions de terres agricoles, planifiant une Île-de-France toujours plus connectée et productive, et un 93 lisse et propre, digne de servir de vitrine au tourisme mondial.
Par tous ces mécanismes, la ville devient peu à peu dénuée d'entraide et de vie commune, l'espace comme le temps servent une économie injuste et mortifère, là où nous luttons pour faire exister, depuis d'autres bases, nos besoins et nos enthousiasmes. C'est ce que fait par exemple en ce moment le foyer de travailleurs migrants Branly à Montreuil, en lutte face au gestionnaire Adoma qui projette de détruire l'ensemble du bâtiment, ses espaces collectifs et sa forme d'habitation et de vie pour laisser place à une résidence sociale standardisée et individualisée (et par la même occasion, dégager 1 500 mètres carrés constructibles pour un autre projet immobilier), au mépris de toute consultation avec les habitants. C'est aussi ce que nous faisons en occupant une maison condamnée à être détruite pour laisser place à un fructueux projet immobilier gentrificateur, l'un des trop nombreux qui cherchent à faire de Montreuil une ville où les rapports non marchands n'ont plus leur place.
Avec nos squats, nos cantines populaires à prix libre, nos déambulations festives, nos marchés gratuits, nos lits en plus pour celles et ceux qui en auraient besoin, nos espaces de soin collectif, nos parties vraiment communes que chacun·e peut s'approprier, on participe à rendre la ville vivable, et on entend bien la vivre longtemps !
Avec cette tribune, on veut aussi donner de la force à nos copaines sans droits ni titres et à toutes celles et ceux qui bricolent et galèrent pour se loger.
Parce que la solidarité est notre arme, rendez-vous le 26 septembre à partir de 13h30 pour notre audience devant le tribunal administratif de Montreuil et le 30 septembre pour la manifestation nationale pour la baisse des loyers et des prix de l’énergie, le droit au logement décent, stable et abordable pour toutes et tous, l'application de la loi réquisition et le retrait de la loi Kasbarian.
Les habitant·es d'un squat qui plie mais ne rompt pas
Signataires :
ATTAC FRANCE
Solidaire Montreuil
Droit au logement (DAL)
Collectif pour l'avenir des foyers (COPAF)
Défense des jardins ouvriers d'Aubervilliers (JAD)
Zadart
Saccage 2024
Coordination des luttes locales IDF
Collectif pour le triangle de Gonesse
Collectif Schaeffer
Stop précarité
PEPS (pour une écologie populaire et sociale)
La Parole errante
AERI
En Gare
Mathieu Rigouste, sociologue
Hanna Rajbenbach, Avocate
Collectif de sans papiers de Montreuil
Soulèvements de la terre IDF
La générale
Morgane Merteuil, militante féministe et ancienne secrétaire générale du Syndicat du travail sexuel.
Mohamemed Ben Yakhlef, Délégué Syndical CGT Mission Locale IDF
Vipulan Puvaneswaran, militant écologiste
Brigade de solidarité populaire Aubervilliers Pantin
Brigade de solidarité populaire Montreuil Bagnolet
Brigade de solidarité populaire Paris Sud
Youcef Brakni, membre du comité Vérité et Justice pour Adama Traoré
Collectif Accès au Droit (CAD)
Cinéma La Clef Revival
Collectif contre la ligne 18 et l'artificialisation des terres
Youth for Climate Paris
Atelier populaire d'urbanisme (APU) Vieux Lille
Isabelle Stengers, philosophe
Collectif de Défense des Jeunes du Mantois
Guillaume Faburel, géographe, université Lyon 2
Odile Maurin, présidente d'Handisocial
Marjorie Keters, membre du réseau écosyndicaliste
AA (Alternative Autogestion)
APPUI
Mélanie N'goyé Gaham, membre du Réseau d'Entraide Vérité et Justice
Fatou Dieng, comité vérité et justice pour Lamine Dieng
Assemblée Féministe Paris-Banlieues
Assemblée Féministe de Montreuil
Amicale du Futur
Pierre Johan Laffitte, Sémiologue, maître de conférences
Collectif Petite Rockette
La Kunda
Cyclofficine de Pantin
Observatoire national du droit a la ville
Langue de lutte
Le Malaqueen, centre social autogéré
Alessandro Stella, Directeur de Recherche au CNRS, Paris
RES (Réseaux écosyndicaliste)
Elena Mejias (doctorante en sociologie)
Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte (CSPCL)
Cantine des Daronnes en Luttes
Julien O'miel, Maître de conférences à l'Université de Lille
La Jolie (squat Choisy le Roi)
Gilets Jaunes de Montreuil
Collectif Shaeffer
Matthieu Adam, géographe, chargé de recherche CNRS
CNT Educ 93
Le collectif du Bathyscaphe, squat à Aubervilliers
Vincent, Beal, Sociologie de l'action publique ; politiques urbaines et gouvernance des villes
Le Quartier libre des Lentillères
Irene, militante féministe et autrice
BureZoneLibre