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Tribune 21 octobre 2025

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La politique étrangère féministe : une boussole pour un monde en crise

Alors que Paris s’apprête à accueillir la 4ᵉ Conférence ministérielle des diplomaties féministes, pour l'Institut du Genre en Géopolitique et un ensemble d'organisations, il est temps de rappeler ce que devrait être une politique étrangère féministe : une diplomatie décoloniale, intersectionnelle, « visant une transformation sociale qui remet le soin et l'écoute au coeur de l'action. »

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Alors que Paris s’apprête à accueillir la 4ᵉ Conférence ministérielle des diplomaties féministes, les 22 et 23 octobre, il est essentiel que cet espace dépasse la simple réaffirmation d’engagements pour montrer des avancées concrètes et mesurables.

Dans un monde fracturé — montée des autoritarismes, fragilisation des démocraties, multilatéralisme en panne, et résurgence des discours anti-droits —, une politique étrangère féministe n’est pas un luxe ou un symbole : elle est une nécessité stratégique et une boussole politique pour réinventer la diplomatie sur des bases plus inclusives, solidaires et durables.

Une politique en quête de cohérence

La politique étrangère féministe est une politique d'État qui oriente ses relations internationales en plaçant au cœur de ses choix l’égalité des genres, la paix et l’intégrité environnementale. Elle s’attaque aux structures de pouvoir coloniales, racistes et patriarcales qui perpétuent les inégalités mondiales.

Née en Suède en 2014, la diplomatie féministe s’est imposée comme une innovation politique. Mais trop souvent, ce concept d’inspiration libérale résonne comme un discours prescriptif venu du Nord, souvent déconnecté des réalités locales et des luttes féministes des Suds globaux. En voulant “exporter” un modèle, le risque est de reproduire les asymétries qu’on prétend combattre.

Fragmentée, parfois instrumentalisée à des fins d’image internationale, l’approche s’est néanmoins transformée : du Canada à la Colombie, en s’ancrant dans les réalités locales, elle s’est enrichie de nouvelles priorités et d’une exigence de redevabilité.

Les mouvements féministes se la sont appropriée, insufflant une dimension intersectionnelle et décoloniale essentielle. Car comment défendre une diplomatie féministe sans interroger les héritages coloniaux, les discriminations raciales et les inégalités Nord-Sud qui structurent encore les politiques d’aide, de commerce et de sécurité ?

Pour une diplomatie intersectionnelle, décoloniale et solidaire

Face à ces contradictions, il est temps de rappeler ce que devrait être une véritable politique étrangère féministe : une diplomatie visant une transformation sociale qui remet le soin et l'écoute au coeur de l'action.

Elle ne se contente pas d’intégrer les femmes dans des dispositifs existants, mais repense les priorités, les méthodes inclusives et les finalités de l’action extérieure. Elle infuse tous les secteurs de la politique étrangère : influence, développement, migration, sécurité (y compris la prévention des violences sexuelles en temps de conflit), mais aussi commerce, climat et numérique. 

Une politique étrangère féministe efficace repose sur trois piliers :

Intersectionnalité : comprendre que les oppressions se croisent (genre, race/ethnie, classe, âge, handicap) et placer les réalités vécues des personnes marginalisées au centre.

Décolonialité : admettre qu’il ne peut y avoir de justice de genre sans justice historique et économique, et revoir les rapports de pouvoir entre les acteurs historiquement dominants des relations internationales et les pays des Suds Globaux.

Solidarité : faire de la politique étrangère un espace de coopération entre gouvernements, mouvements féministes et sociétés civiles, plutôt qu’une vitrine.

Une diplomatie féministe cohérente commence par se regarder elle-même : interroger les inégalités dans ses propres institutions, ses pratiques diplomatiques et de coopération, ses budgets. Sans budgétisation sensible au genre et au handicap, les discours restent creux.

Recentrer, financer, pérenniser

La 4ᵉ Conférence ministérielle ne sera crédible que si elle place la société civile au centre. Depuis des années, collectifs féministes, associations LGBTQI+ et chercheur·ses développent des outils et des solutions concrètes pour faire vivre ces politiques sur le terrain. Ces acteur·ices assurent leur continuité au-delà des alternances et des crises géopolitiques. Pourtant, leur rôle demeure souvent consultatif, marginalisé dans les décisions.

Le véritable test de la conférence sera la reconnaissance institutionnelle et financière de ces organisations. Dans un contexte de coupes budgétaires répétées (des États-Unis à la France), une politique étrangère féministe sans financements dédiés n’est qu’une déclaration d’intention. Il faut une approche structurelle : des fonds pérennes, de la transparence budgétaire et des indicateurs publics de suivi intégrant la diversité pour transformer une ambition en politique publique durable.

Une transformation profonde pour répondre à des questions géopolitiques urgentes

À Gaza comme au Soudan, la destruction méthodique des droits humains met à nu l’impuissance — ou l’indifférence — des diplomaties traditionnelles. 

Dans un monde où les régimes autoritaires se renforcent, où les mouvements anti-droits prospèrent et où les libertés des femmes et des personnes minorisées s’effritent, la politique étrangère féministe représente bien plus qu’un cadre de coopération internationale : elle est un outil de résistance démocratique.

Mais cela suppose d’y investir des moyens, d’y associer la société civile dans toute sa diversité, et d’accepter une redéfinition du pouvoir diplomatique lui-même.

Une politique étrangère féministe sincère oblige à transformer les rapports entre États et citoyen·nes, entre dirigeant·es et dirigé·es, entre Nord et Sud. Elle incarne un autre leadership, fondé sur la cohérence, la justice et l’inclusion.

Les politiques étrangères féministes sont une boussole de continuité et de stabilité dans un monde instable. Une diplomatie féministe ne se résume pas à parler d’égalité : elle consiste à la pratiquer.

Signataires :

Institut du Genre en Géopolitique

Action Aid France

Véronique Moreira, Présidente WECF France

Ipas 

International Planned Parenthood Federation, IPPF

International Planned Parenthood Federation - Africa Region

Women Engage for a Common Future, WECF Netherlands

Disabled Women in Africa, DIWA

Planning familial France (Sarah Durocher - présidente)

Equipop

AWID

WiLDAF/FeDDAF (Women in Law and Development in Africa/Femmes, Droit et Développement en Afrique) Sénégal 

Fonds pour les Femmes en Méditerranée, FFM

ECPAT France

Médecins du monde

CARE France