Depuis 20 ans, à rebours de toutes les promesses qui accompagnent la numérisation, le recours massif à internet, au smartphone et aux réseaux sociaux accélère l’effondrement du lien social. Porté par des multinationales hégémoniques, le numérique a servi à démanteler et à privatiser les services publics, à accélérer les flux de marchandises et à disqualifier nombre de savoir-faire. Les soirs d'élections, nous voilà réduits à croiser les doigts pour que les capacités de surveillance orwelliennes, développées ces 2 dernières décennies, ne tombent pas, prêtes à l’emploi, entre les mains d’un gouvernement d’extrême droite.
Au niveau écologique, l’industrie numérique, avec sa croissance exponentielle, est une bombe climatique et toxique. Des mines aux data centers en passant par la production de semi-conducteurs, elle siphonne des quantités colossales d’eau et d’énergie, réchauffe le climat, accumule des montagnes de déchets. En démultipliant toutes ces tendances, le déploiement de l’intelligence artificielle (IA) promet des lendemains plus sombres encore. Il faut arrêter cette fuite en avant.

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Et si les municipalités devenaient les premiers lieux de résistance à l’escalade numérique ? C’est dans cette perspective que nous avons rédigé ce programme dont voici les grandes lignes. Son objectif : proposer des mesures immédiates de prudence, d’économie et de santé publique pour limiter l’emprise numérique. Toutes doivent être adaptées au contexte local et à la taille de la commune, dans un esprit d’urgence écologique et de justice sociale.
1. Sécuriser les services essentiels « hors réseau »
En avril 2025, la péninsule ibérique a été privée de courant pendant 24h. Face aux risques croissants d’intempéries et de cyberattaques, la vie doit pouvoir continuer : eau, écoles, soins, secours... Le plan de sauvegarde municipal devrait prendre en compte le risque de rupture de réseau, la commune limiter sa dépendance aux infrastructures électriques et informatiques.
2. Assurer une gestion municipale sobre et dégafamisée
Les institutions publiques ne peuvent plus se permettre d'adosser leur communication à Twitter ou Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), encore moins de collecter des données pour ces entreprises, pas plus que d’inciter la population à en être cliente. La municipalité devrait diffuser l’information via des canaux maîtrisés (newsletters, affichage, etc.) et utiliser des logiciels libres (en formant son personnel).
3. Garantir un service public humain
En France, plus d’une personne sur six rencontre des difficultés avec le numérique et une personne sur dix n’a pas de smartphone. La municipalité devrait garantir un « droit au non-numérique » avec guichets, téléphone ou courrier. Ce qui implique de revaloriser les métiers des agent.es, piliers d’un service public humain.
4. Favoriser les emplois, pas les IA
De plus en plus d’emplois sont vidés de leur sens ou supprimés par les plateformes et l’IA. La municipalité devrait contribuer à créer des métiers utiles et durables en impulsant ou en soutenant des activités de recyclage et de réemploi. Un guichet de services informatiques aiderait les habitant.es de la commune à faire durer leurs appareils, à se protéger contre les publicités et les escroqueries.
5. Assurer la sécurité sans vidéo-surveillance
La vidéosurveillance, coûteuse, n’élucide que 1 % des enquêtes et son effet dissuasif est marginal. La commune devrait refuser l’escalade vers la surveillance algorithmique et investir dans des moyens humains : prévention des violences, lutte contre la criminalité, médiation, soutien aux familles.
6. Bannir les écrans publicitaires de l’espace public
85% souhaitent interdire les écrans publicitaires. Ils n’ont aucun intérêt collectif, mais des impacts négatifs avérés : gaspillage d’électricité, pollution lumineuse, incitation à la surconsommation. La municipalité devrait interdire ces dispositifs via son Règlement Local de Publicité, comme l’ont déjà fait plusieurs villes.
7. Favoriser une école ouverte et créative
Les enfants passent déjà en moyenne 4h11 par jour sur écran, hors école, avec de graves conséquences sur leur santé. La municipalité ne devrait pas investir dans les tablettes numériques et les Environnements numériques de travail (ENT) à l’école primaire. Elle doit favoriser les sorties de plein air, l’accès à la culture et des séjours de « digital detox ».
8. Lutter contre l’Airbnbisation de l’habitat
En facilitant la location de courte durée, les plateformes comme Airbnb font flamber les prix et raréfient les locations. La municipalité doit s’appuyer sur la loi Le Meur pour fixer des quotas et, si besoin, s’impliquer à l’échelle intercommunale pour limiter les locations touristiques.
9. Refuser l’installation de data centers
Les data centers, qui stockent les données du numérique (emails, vidéos, objets connectés…), consomment désormais chacun autant d’électricité qu’une ville, pompent des millions de litres d’eau, et créent très peu d’emplois. La municipalité devrait refuser l’implantation des data centers de plus de 2000 m2 dans son PLUI et informer le public sur les impacts des services fondés sur la collecte de données et le recours massif à l'IA.
10. Limiter l’exposition électromagnétique
Le déploiement de la 5G fait exploser le nombre d’antennes-relais, aggravant la consommation énergétique et le réchauffement climatique. Les ondes posent également des risques sanitaires mal évalués. La municipalité devrait appliquer le principe de précaution, privilégier les connexions filaires et limiter l’implantation d’antennes, en particulier sur les toits des logements sociaux.
Retrouvez le programme complet ici : https://www.desescaladenumerique.org
SIGNATAIRES :
- Point de M.I.R
- Lève les yeux
- Changer de cap
- Stop 5G Lyon - Vers une désescalade Numérique
- Podcast Techologie
- Telecoop, Opérateur télécom coopératif
- Noesya, Coopérative dans le numérique
- Halte au contrôle numérique
- Technologos
- Résistance 5G Nantes
- Des membres du collectif Ecran Total : Résister à la gestion et l'informatisation de nos vies
- Commown
- Génération Lumière
- Bela Loto Hiffler, Observatrice ébriété numérique
- Celia Izoard, Autrice de La Ruée minière au XXIe siècle
- Philippe Bihouix, Auteur, entre autres, de : L'âge des Low tech, Le désastre de l'Ecole numérique, L’insoutenable abondance...
- Florence Rodhain, Professeure des Universités, Université de Montpellier, autrice de La nouvelle Religion du numérique
- Boris Cyrulnik, Praticien Enseignant-Chercheur à l'Université de Toulon et de Mons en Belgique
- Françoise Berthoud, Ingénieur de recherche chez CNRS, GRICAD
- Karine Mauvilly, Autrice de Cyberminimalisme et le Désastre de l'école numérique
- Richard Hanna, Développeur, entrepreneur-salarié dans une coopérative
- Ferréole Lespinasse, Autrice de Sobriété éditoriale, le guide pour écoconcevoir vos contenus
- Christopher Pollmann, Professeur des Universités agrégé de droit public, Université de Lorraine – Metz
- Fabien Lebrun, Chercheur et auteur de Barbarie numérique
- Fabrice Flipo, Professeur à l'Institut Mines-Télécom, auteur de L'impératif de la sobriété numérique
- Nicolas Peirot, Maître de Conférences en Sciences de l'Information et de la Communication, Université Bourgogne Europe
- Thomas Lemaire, Développeur indépendant
- Alexis Nicolas, Consultant chercheur sur la dénumérisation
- Julie Delmas-Orgelet, Retisser les liens
- Fabien Michel, Maître de Conférences en informatique, Université de Montpellier
- Bernard Fallery, Professeur Emérite, Université de Montpellier
- Corinne Morel Darleux, Autrice