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Tribune 25 janvier 2016

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Réforme des collèges: il faut renouer le dialogue

Des enseignants, des formateurs et des universitaires appellent à « une sortie de crise par la négociation. Dans un contexte d’état d’urgence face aux périls extérieurs et de montée d’une extrême-droite ethnocentrée et xénophobe, le ministère gagnerait à ménager toutes les possibilités de sortie de ce conflit. »

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Les désaccords sur la réforme des collèges restent vifs à en juger par le nouvel appel de l’intersyndicale à une mobilisation le 26 janvier 2016.  Il est peu niable qu'un dissensus s'est formé dans le monde enseignant en l’absence d’arbitrage suffisant ; qui aurait intérêt à le faire perdurer ou à l'alimenter ? Les revendications portées par l’intersyndicale et les associations disciplinaires ne sont pas en elles-mêmes incompatibles avec une rénovation pédagogique d’envergure.

En effet, cette réforme revêt des aspects positifs : les enseignements pédagogiques interdisciplinaires (EPI) ouvrent la possibilité de mettre en œuvre une pédagogie de projet, en décloisonnant les disciplines. Cela pourrait faciliter la construction du sens pour les élèves, et les motiver davantage. L’accompagnement personnalisé, la mise en place du nouveau cycle 3, les conseils école-collège paraissent aller également dans le bon sens, en favorisant les collaborations entre premier et second degré.

Chacun des acteurs défend en fait une composante de l’Ecole. La sauvegarde des disciplines marginales et des libertés enseignantes, garantes de l’intégrité des personnels et des savoirs qu’ils transmettent, conditionnent l’avenir du système scolaire et des publics, tout aussi bien que la rénovation pédagogique précitée. La représentativité de l’intersyndicale dans le milieu enseignant demande par ailleurs à être reconnue du ministère et ses revendications prises en compte (1), au nom du plus élémentaire principe démocratique. Il faut rappeler que le scénario de la réforme a déjà évolué, sur la demande d’associations linguistiques inquiètes du sort incertain réservé aux langues anciennes et régionales. Le Syndicat des Inspecteurs d'Académie (SIA) a de son côté alerté la ministre sur le risque d’une mise en œuvre trop rapide. Une deuxième série de négociations semble donc nécessaire pour apaiser des anxiétés légitimes.

Sortir du dialogue de sourds

Contester les limites de cette réforme ne signifie pas forcément se ranger dans le camp conservateur. Les opposants et grévistes veulent dans leur grande majorité que l’enseignement au collège soit réformé, mais c’est dans le sens du plus, du mieux et du meilleur qu’ils tiennent à le voir évoluer. Enseigner moins longtemps et plus mal à des élèves qui n’en savent déjà plus assez ne saurait leur convenir.

Concrètement, ils proposent de généraliser (plutôt que de les supprimer) les cas de figure qui marchent, comme les classes bi-langues ou européennes, qui participent davantage de la méritocratie républicaine que d’un élitisme de mauvais aloi (2). L’enseignement des  langues régionales, loin d'être élitiste, participe d’un principe de diversité culturelle à développer à l’Ecole comme dans le pays. L’UNESCO a signalé l’insuffisance des politiques mises en œuvre par la France en vue de sauvegarder la richesse de son patrimoine linguistique, pourtant inscrit dans la Constitution depuis 2008. Alors que le pays se projette dans des opérations militaires très coûteuses, il négligerait de proposer à sa jeunesse les options linguistiques qui permettent une ouverture plurielle sur le monde ? La contestation du dispositif est aussi le fait d’universitaires qui appellent à une refondation de l’enseignement des humanités anciennes et modernes (4).

Pour une sortie de crise par la négociation

Dans un contexte d’état d’urgence face aux périls extérieurs et de montée d’une extrême-droite ethnocentrée et xénophobe, le ministère gagnerait à ménager toutes les possibilités de sortie de ce conflit. Le monde enseignant est historiquement un électorat de gauche, garant d’équilibres idéologiques. Sa défection lors de prochaines échéances électorales ne ferait qu'aggraver la crise morale vécue par le pays. La réaction veille, profitant des divisions internes au camp progressiste. Il ne faudrait pas que le conflit qui avait prévalu sous le gouvernement Jospin-Allègre se renouvelle, avec les conséquences que l’on sait (5). L’Ecole publique subirait de son côté une nouvelle concurrence de l’Ecole privée qui, n’étant pas soumise aux mêmes restrictions disciplinaires (concernant par exemple l’enseignement des langues anciennes), pourrait accueillir les publics insatisfaits.

Dans un contexte professionnel déjà difficile, marqué par la montée des incivilités juvéniles, il ne serait pas raisonnable de mettre davantage la pression sur les personnels en termes de gouvernance (imposition de décisions de la part d’un conseil pédagogique non élu et à la discrétion de la direction de l’établissement). La baisse significative du recrutement dans le secondaire en dépit des créations de postes est un indice de saturation. Une réforme dont l’une des finalités réelles est comptable (impératif européen de faire baisser les finances publiques) peut-elle être vraiment pensée pour aider les élèves les plus en difficulté ? La réunionite dans les établissements (menée en dehors du temps de travail et non rémunérée) dont se plaignent de nombreux enseignants peut-elle se substituer à une formation continuée dans les Espé ? Seul un cadrage d’envergure est apte à mettre en confiance les personnels, à leur permettre de relever les défis relatifs à la diversité et à l’hétérogénéité dans le premier comme dans le second degré et à réactiver, ce faisant, l’esprit de refondation invoqué en 2013 (loi d’orientation et de programmation).

De l’intérêt de dialoguer pour avancer vers des synthèses constructives et opératoires : il serait bienvenu que les responsables des Espé participent à des médiations qui aident la corporation aux équilibrages nécessaires et les pouvoirs publics à des arbitrages, dans l’intérêt bien compris des différentes composantes du système éducatif.

(1) Il n’est pas correct que le gouvernement ait fait passer en force les décret et circulaire d’application, au lendemain du 19 mai 2015, journée de forte mobilisation de la profession contre cette réforme.

(2) Philippe Watrelot Bilangues sans gains - excellence – motivés mais désabusés (Bloc-Notes de la semaine du 18 au 24 janvier 2016)http://www.cahiers-pedagogiques.com/Bloc-Notes-du-18-au-24-janvier-2016

(3) Dans le cas de l’occitan par exemple, les classes bilingues sont sauvegardées. En revanche, dans de nombreuses régions - Auvergne, Provence, Limousin ... - où il n’existe pas de convention, les cours optionnels en collège vont quasiment tous disparaître à la rentrée prochaine.

(4) Appel pour une refondation de l’enseignement des Humanités, pétition à l’initiative de Barbara Cassin et Florence Dupont 
https://www.change.org/p/madame-la-ministre-de-l-education-nationale-appel-pour-une-refondation-de-l-enseignement-des-humanit%C3%A9s

(5) L’une des raisons de l’échec de Lionel Jospin à l’élection présidentielle de 2002 réside dans la défection d’une partie de l’électorat enseignant, suite au conflit avec le ministre Allègre.

Signataires: 

Jean Agnès, professeur honoraire, chercheur en philosophie de l'éducation (Metz); Anne Autiquet, professeure agrégée de Lettres classiques retraitée, ancienne formatrice en IUFM (Paris); Franc Bardou, professeur certifié d’occitan, poète bilingue (Toulouse); Martine Boudet, professeure agrégée de Lettres modernes, spécialiste d’anthropologie culturelle (Toulouse); Marc Chatellier, professeur des Ecoles ASH, docteur en sciences de l'éducation (Nantes); Gérard Collet, enseignant Espé retraité, certifié de physique appliquée, docteur en sciences cognitives/sciences de l'éducation, militant associatif (Grenoble);  Gilbert Dalgalian, psycholinguiste spécialiste des questions de diversité et essayiste (Var);Tosse Ekue, éducateur-animateur culturel (Toulouse); Yann Fiévet, professeur certifié de sciences économiques et sociales, cadre associatif (Sarcelles);  Didier Frydman, professeur agrégé en histoire, Espé de l'académie de Créteil, école interne de l'Université Paris Est Créteil (UPEC); Georges Labouysse, historien (Toulouse), Michèle Monte, professeure de linguistique à l’Université de Toulon, militante pédagogique et membre du réseau école animé par ATD Quart Monde; Evelyne Perrin, sociologue des quartiers populaires (Ile de France); Martial Peyrouni, professeur certifié d’occitan, responsable du collectif Mespresats (Périgueux); Gérard Tautil, professeur de philosophie retraité, essayiste (Var); Marie-France Winghardt, ancienne formatrice, conseillère syndicale FSU (Essonne).     

Tribune précédente (invités de Médiapart)
L’Ecole doit contribuer à apaiser les conflits et favoriser le dialogue des cultures
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/121015/l-ecole-doit-contribuer-apaiser-les-conflits-et-favoriser-le-dialogue-des-c