Le 16 juin 2023, Amara Dioumassy a perdu la vie sur le chantier du bassin d’Austerlitz destiné à rendre la Seine plus propre pour les JO 2024.
Qui était Amara ?
Amara est né à Kayes au Mali en 1972, dans la communauté Soninke. Alors que ce pays du Sahel, doté d’une histoire séculaire, de richesses culturelles et naturelles exceptionnelles, subit la prédation de la Françafrique qui surexploite ses sols et ses populations, les habitants du Mali comptent parmi les plus pauvres au monde.
Dans ce contexte, Amara, devenu adulte, s’exile pour subvenir aux besoins de ses proches. Muni d’un visa temporaire, il est hébergé chez sa sœur à Paris. Il commence alors le parcours des milliers d’immigré.es pour le travail : contrats intérimaires avec alias, attente d’un titre de séjour. Puis arrivent les CDD, les attestations, et les premiers permis. Amara est précaire mais n’a plus de sueurs froides quand il croise la police. Il trouve un logement à Aubervilliers, un contrat fixe. Il a 12 enfants à nourrir. Au village, sa famille compte sur lui. Il accepte alors un poste de chef d’équipe maçon pour la société Darras et Jouanin, co-traitant de la Sade, filiale de Véolia. Celle-ci est désignée par la mairie de Paris pour un chantier emblématique des JO : construire les bassins destinés à préserver la Seine des eaux usées. Comme beaucoup de travailleurs africains, Amara fait partie des bâtisseurs de Paris.
Le soir du 16 juin, il est percuté par un camion de chantier qui faisait marche arrière sans bip de recul, sans homme trafic pour guider le chauffeur et sécuriser la manœuvre, sans marquage au sol de sens de la circulation, sans protection de délimitation pour les piétons et sans aucune marge de manœuvre. La pénibilité du travail, le matériel défectueux, le bruit des marteaux-piqueurs, la poussière, la chaleur – 33 degrés - la cadence liée aux délais des JO fatiguent les salariés et contribuent au drame.
Panique aux sièges des donneurs d’ordre ! Un accident sur le chantier d’Austerlitz ! Étouffer l’affaire devient la priorité des communicants. La dépouille d’Amara est discrètement transportée à l’institut médico-légal et renvoyée au Mali. Il s’agit de se débarrasser au plus vite de ce corps encombrant. Dans les bureaux de Darras et Jouanin, de la Sade ou de la ville de Paris, plus personne n’entend parler du drame. Il ne s’est rien passé.
Un combat syndical
C’était sans compter sur la détermination de Lyes Chouai, délégué CGT de la Sade, scandalisé par les conditions du décès de son collègue et son invisibilisation. Avec une équipe de syndicalistes convaincus, ils accompagnent la famille, à qui nous adressons nos pensées, alertent les médias malgré les pressions, organisent la mobilisation pour exiger reconnaissance et justice pour Amara, sa famille, et tous les morts invisibles au travail.
Deux morts par jour, des dizaines d’accidents graves, des milliers de vies brisées par les produits toxiques, l’usure physique, les violences psychologiques sont causées par l’exploitation capitaliste du travail. Les responsables sont rarement inquiétés. Au contraire, le gouvernement brutalise nos droits pour user davantage les corps et les esprits, de la réforme du lycée professionnel à la réforme des retraites, en passant par celle de l’assurance chômage. La santé et la sécurité des travailleurs sont une priorité du combat syndical. Mais si ce drame nous rappelle la nécessité absolue de concevoir un autre rapport au travail, qui serait fondé non sur le sang mais sur le soin du travailleur, de son temps libre, du bien commun, l’histoire d’Amara nous invite aussi à réfléchir à l’ensemble des processus de dominations à l’œuvre.
Une lutte contre les inégalités et les discriminationsExiger la justice pour Amara Dioumassy est un combat syndical, mais aussi décolonial, territorial, écologique, social et démocratique. Sa trajectoire de vie recoupe l’ensemble des inégalités et des discriminations qui étouffent notre société, et que le contexte des JO accélère encore.
En France, Amara a fait face à des personnes et des institutions empreintes, au pire, d’un racisme affiché, au mieux d’un paternalisme bon teint. Il a occupé des emplois précaires et mal payés dans des secteurs d’activité dangereux, dans des entreprises de sous-traitance où le travailleur n’a pas accès aux droits qui lui sont dus. Il s’est armé de patience dans les files d’attente de la préfecture, dans la recherche de l’éternel document manquant pour déposer un dossier de demande de titre de séjour.
Aujourd’hui, l’infâme loi immigration, votée en janvier dernier, durcit encore les conditions d’accueil des immigré.es. Elle met les personnes à la merci des esclavagistes et des marchands de sommeil. Même du point de vue capitaliste, cette loi est un non-sens car les besoins de main d’œuvre sont criants. Appel du pied au fascisme en marche, cette loi raciste formalise l’existence de citoyens de seconde zone, et renoue avec l’esprit colonial.
À son arrivée, Amara a bénéficié de la solidarité de la diaspora malienne installée dans les foyers. Aujourd’hui les résidents ne sont pas autorisés à accueillir leurs proches, à partager leur culture, à pratiquer l’entraide, alors qu’en cette période d’inflation et de logement inabordable, les liens sociaux et la solidarité concrète sont plus que jamais nécessaires. Ils sont notre humanité.
Cette humanité, on la trouve aussi dans nos quartiers. Amara était notre voisin. Il habitait Aubervilliers. Ville populaire du 93, elle a accueilli les immigrés, les classes populaires, les industries polluantes, les cités, les jardins ouvriers, des milliers d’enfants. Alors que le travail d’Amara consistait à assainir la Seine pour permettre aux athlètes de se baigner dans une eau purifiée, lui vivait dans une des villes les plus polluées de la région. De la même façon, le village des JO est équipé de purificateurs d’air installés par des ouvriers qui respirent, comme les enfants de l’école Pleyel, des particules fines à longueur de journée.
Dans le secteur des déchets, les travailleurs racisés vivent en banlieue et mettent leur santé en danger. Pourquoi les tâches de nettoyage et de dépollution sont-elles majoritairement effectuées par des africain.es qui n’en sont en rien responsables ?
La préparation des JO 2024 renforce les inégalités : les sans-abris sont, comme Amara, discrètement effacés du paysage, expulsés par bus en province. La Loi Kasbarian soutient le logement pour les riches, criminalise les pauvres et multiplie le fichage et la répression à mesure que grandissent les injustices.
Une même logique de domination
Les inégalités de classe, de race, d’environnement et de territoire se recoupent parce qu’elles obéissent aux mêmes logiques de domination. C’est pourquoi, nous, travailleuses et travailleurs, habitant.es et usager.es des quartiers populaires, syndicalistes, militant.es anti-racistes et décoloniaux, activistes écologistes, défenseuses et défenseurs des droits et des libertés publiques, nous luttons ensemble pour que des drames comme la mort d’Amara ne se reproduisent pas.
Les enfants d’Amara grandiront sans leur père. Enfants noirs des quartiers populaires, devront-ils supporter la militarisation de l’école, les contrôles au faciès, les violences racistes et islamophobes ? Seront-ils parqués dans des quartiers lointains à mesure qu’Aubervilliers se gentrifiera ? Seront-ils invités à nettoyer les rues des riches, à dépolluer l’eau des riches, à construire les maisons écologiques des riches et à mourir – discrètement s’il vous plait- d’un cancer ou d’un accident à 50 ans ?
Justice pour Amara, égalité et respect
Nous refusons cette perspective, et réclamons justice. Nous demandons une stèle à la mémoire d’Amara, pour que sa mort ne soit jamais oubliée. La vie d’Amara compte. Nous exigeons la réparation intégrale pour ses enfants. Nous exigeons la mise en œuvre de la charte sociale sur tous les chantiers, le renforcement de la sécurité au travail, les suivis de santé des salariés et leur famille. Nous exigeons la fin des lois classistes et racistes qui enfoncent nos frères et sœurs dans la pauvreté et l’impuissance. Nous exigeons le droit de vivre et travailler dignement dans un environnement sain. Nous exigeons le respect.
Nous rejoindrons l’hommage à Amara samedi 27 avril à 14h, métro Quai de la rapée devant l’institut médico-légal. Avec les syndicats, organisations, associations et collectifs présents, nous voulons que cette journée marque le lancement d’un processus de création de collectifs locaux qui veilleront à la défense, à l’égalité et au respect de chacune et chacun sur nos lieux de travail et de vie.
Aubervilliers, le 23 avril 2024
Pour signer la tribune, c'est ici
PREMIERS SIGNATAIRES
Syndicalistes
Daroui Boudjema, Secrétaire CSSCT + Membre du CSSCT CENTRAL, Cgt Sade
Marie Joseph Nelson, Formateur, Fédération construction bois ameublement
Jarry Mickaël, SG, Uscba Cgt 49
Délégué, Syndicat Cgt sogeaidf
Maloberti Aurélien, Cgtiste, Cgt SIVOM activités du déchet
Lyoubi Med, Ds, Cgt DBC
Mamoul Suzanne, retraitée E.N., FSU
Gomes Vitor, délégué syndical, syndicat Cgt eiffage
Spinner François, Sud éducation 91
Tallec Jacques, Secrétaire Départemental , FO Action Sociale 35
Bessaha Smaïl , Union locale des syndicats CGT de Paris 18ème
Ben Yakhlef Mohamed, Délégué syndical CGT ML IDF, membre de Conex CGT Mission Locale et Insertion Île de France, ancien élu municipal de France Insoumise
Keters Marjorie, Collectif d’animation, Réseau Eco Syndicaliste
Organisations et collectifs politiques
Fauché Jean, équipe d'animation, PEPS 81 et Alternatives et Autogestion
Walter Léo, Député des Alpes-de-Haute-Provence, LFI-NUPES
UCL, Union Communiste Libertaire
El Kardoudi Mohamed, Co-Secrétaire GL Grand Paris Grand Est, Les ecologistes
Bennaï Farid, Militant Front uni des immigration et des quartiers populaires, FUIQP
Thibault Ritchy, Porte-parole, PEPS
Haté Angelo, Peps jeune
Cercle Bilal Al-Habashi, les Musulman.es Antiracistes et Antifascistes
Kerbrat Andy , Député, La France insoumise
Cukier Alexis, Rejoignons-nous
Lachaud Bastien, Député de la Seine-Saint-Denis (6ème circonscription, Aubervilliers - Pantin) Groupe parlementaire de La France Insoumise
Amard Gabriel, Député LFI du Rhône
Labertrandie Lydia, Conseillère municipale
Negrini Raphaël, Membre du conseil fédéral, Les Écologistes
Monville Bénédicte, Élue municipale et communautaire de Melun EELV
Bouamama Saïd, Front uni des immigrations et des quartiers populaires -FUIQP
Maurin Odile, Elue municipale communautaire de Toulouse
Martin Bernard, EELV
Lahmer Annie, Conseillère régionale
Collectifs et associations
Bornaz Naïm, rappeur, L'1consolable
Roger Nicole, Adhérente, Citoyen du monde
Gourdeau Camille, Co-présidente FASTI
Delorme Stéphane, Membre de la coordination Île-de-France, Union juive française pour la paix
Perrin Evelyne, présidente, STOP PRECARITE
Epsztajn Didier, Blog "entre les lignes entre les mots"
N'goye Gaham Mélanie, Militante
Jouini Magda, Militante au Front de Mères et actrice de terrain
Attimon Kim, Membre du réseau Alarmphone
Leclerc-Olive Michèle, Présidente CORENS
Eyraud JB, DAL
Saccages 2024
Divetain Anne Marie, Collectif Ivryen de Vigilance Contre le Racisme CIVCR
Bazin Laurent, Anthropologue au CNRS, Association Le Paria
Signatures individuelles
Vollaire Christiane, Philosophe
Candore Marco
Landas Alice
Boyer Eddy
De Saint Phalle Laure
Assoun jacky, retraité
Hélier Odile
Roger Nicole
Debard Jean-Luc
Delsart Sylvie
Carton Clément
Martinie Marie-Claire
Tocqueville Emma
Delamare Deboutteville Vinca
Derouiche El Behi Nasser
Mamoul Suzanne, Retraitée E.N.
Sangare Djeneba
Timbert Anne
Morisset Julie, Enseignante
Hurel Fanny, Enseignante
Omrcen Jean-Joseph , Machiniste spectacle vivant
Portes Thomas
Delahodde Bénédicte
Spinner François
Gherissi Nadia, Enseignante
Benoit-Marquié François
Deltour Jeannick
Chesneau Philippe
Galliard Hélène, Retraitée
Darmon Moniq
Lahrech Fatiha
Bennani Hisham
Radzion Mathilde
Lecolle Michelle
Benameur Malika
Coulmeau Maxime
Martin Bernard
Bidar Fatoi
Moha Bri, Cuisinier
Sutra Jean Charles
Pradoux Annie
Braun Henri, Avocat au barreau de Paris