Un enfant sur cinq en Europe est victime de violences sexuelles. Nous connaissons donc tou·tes une victime de pédocriminalité ou d'inceste. Nous avons par conséquent aussi dans notre entourage des prédateurs sexuels.
Nous sommes des survivant·es et victimes de violences sexuelles dans l’enfance. Nous avions 20, 30, 40 et même au-delà de 50 ans quand nous avons dénoncé les crimes sexuels que nous avons subis.
Nous avons vécu ces crimes dans notre chair ainsi que leurs graves conséquences à long terme : sur notre santé mentale, physique, notre développement et sur l'épanouissement obéré de nos vies d'adulte.
Avec la diffusion sur internet des images et vidéos des crimes sexuels, les plus jeunes d’entre nous (96% de filles et une majorité d’enfants porteurs de handicap) subissent un traumatisme supplémentaire : ces moments noirs de leur existence sont partagés publiquement en ligne, fréquemment à de multiples reprises et ce, durant des années. Pire encore, des études montrent que les producteurs de ces images sont majoritairement des proches des enfants, qui ont commis les violences sexuelles.
Les chiffres des violences sexuelles contre les enfants en ligne explosent. Entre 2014 et 2021, le nombre d’images et vidéos pédocriminelles signalées dans le monde a été multiplié par vingt. En 2022, 88 millions d’images et vidéos montrant des enfants violentés sexuellement ont été signalées. Et ce n’est que le sommet de l’iceberg.
À l'heure où une bonne partie de notre existence se fait en ligne, briser le silence pour les victimes de violences sexuelles en ligne est un effort encore plus incommensurable. Au tout début des années 90, un père a diffusé les images de viols perpétrés sur sa fille. Jusqu'à récemment ces images avaient circulé plus de 100.000 fois sur les réseaux. Elle a une trentaine d'années aujourd'hui et ose à peine sortir de chez elle, de peur d’être reconnue dans la rue.
Le dernier rapport de l'Internet Watch Foundation montre qu'en 2022, 30% des images pédocriminelles circulant en ligne dans le monde concernent des enfants de moins de 10 ans et 80% des URLs montrant les formes de violence les plus graves concernent des enfants entre 0 et 2 ans.
Les politiques publiques insistent souvent sur la prévention mais aucune mesure de prévention ne peut sauver ces nourrissons torturés qui n'ont pas accès au langage. Il faut pouvoir détecter, signaler et retirer les images qui les concernent, interpeller et juger les auteurs.
Chaque jour, une multitude de prédateurs évolue en toute liberté sur la toile. Il est grand temps de placer les plateformes et fournisseurs internet devant leurs responsabilités face à cette criminalité exponentielle qui détruit nos enfants et d’agir pour protéger nos enfants en ligne.
L'Europe peut changer la donne. Vous pouvez changer la donne M. Le Président de la République. Ne gâchons pas cette opportunité historique.
Actuellement, un règlement européen permet aux plateformes et fournisseurs de détecter les contenus pédocriminels sur la base du volontariat. Cette législation expire en août 2024. Il y a donc urgence à adopter une nouvelle législation européenne pour éviter un vide juridique qui aurait un impact dévastateur sur les victimes et aboutirait à l'impunité totale des agresseurs sexuels.
En mai 2022, la Commission européenne a proposé un projet de règlement européen qui est actuellement examiné à Bruxelles. Ce projet va au-delà du volontariat qui a montré ses limites et prévoit de contraindre les fournisseurs et plateformes à détecter, signaler et retirer les contenus à caractère pédocriminel. 66% des images et vidéos d’enfants violentés sexuellement sont en outre hébergés sur des serveurs européens. La France est le 5ème pays hébergeur de contenus pédocriminels (9ème dans le monde).
Selon le baromètre européen, une majorité de citoyen·nes, dont 79% de Français·es soutiennent cette proposition de législation européenne. De même que des dizaines d'organisations des droits de l'enfant et de survivant·es parmi lesquelles le Brave movement. Une pétition qui circule en ligne en soutien à ce règlement a déjà recueilli près de 500.000 signatures.
En dépit de ces soutiens massifs et de cette terrible réalité, nos voix, celles des survivant·es et militant·es des droits de l'enfant peinent à se faire entendre face aux opposants puissants et détracteurs en tout genre, qui donnent notamment la priorité au profit plutôt qu'à la protection des enfants.
Le projet de règlement est actuellement examiné par les États membres au Conseil de l'Union européenne. Nous soutenons son adoption pour que les enfants soient protégés contre tous les risques dont celui du grooming et partout où ils sont en ligne, y compris dans les messageries privées. En effet, les deux tiers des images et vidéos à caractère pédocriminel sont partagés par les auteurs via des messageries privées, chiffrées de bout en bout. Ces services chiffrés de bout en bout doivent donc être inclus dans le règlement en conformité avec les droits fondamentaux de tout·es, et plus particulièrement des enfants.
M. le Président, vous êtes actuellement en train d'arbitrer la position de la France. On peut aisément imaginer les discussions intenses entre les “puristes” du chiffrement et les lobbys économiques.
Nous vous demandons d'accorder dans ces arbitrages une importance réelle aux voix des survivant·es, des organisations des droits de l'enfant, des expert·es et allié·es qui travaillent auprès des victimes de violences sexuelles en ligne.
Nous n'avons aucun intérêt économique à défendre, ni une quelconque idéologie. Nous nous battons pour protéger les enfants, parce que nous avons vécu ces violences dans notre chair.
Nous avons besoin de cette législation qui permettra à l'Europe de créer un cadre réglementaire protecteur en ligne sans précédent dans le monde.
Tant que la France demeure silencieuse sur ce règlement, ses opposants fourbissent leurs armes en coulisses. La menace que ce texte soit vidé de sa substance est réelle. Or il en va de la protection de nos enfants sur internet aujourd’hui mais aussi pour les années à venir.
M. Le Président, vous qui œuvrez pour une Europe forte, pour une France forte en Europe, il est de votre responsabilité d'exprimer publiquement votre soutien à ce projet de règlement qui viendra compléter les efforts législatifs français dans ce domaine.
Vous avez fait des violences sexuelles contre les enfants la grande cause nationale de votre quinquennat. Ne laissez pas internet devenir un paradis pour les prédateurs pédocriminels. Les survivant.es de violences sexuelles dans l’enfance et l’adolescence, les enfants d'aujourd'hui et adultes de demain comptent sur vous.
Signataires :
Mié Kohiyama, survivante et membre exécutive du Brave movement
Dre Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie, membre de la Ciivise
Marie Rabatel, présidente de l'association Francophone de Femmes Autistes et membre de la Ciivise
Céline Piques, Osez le féminisme! membre du Haut Conseil à l'Egalite
Typhaine D, artiste feministe enfantiste antispéciste
Sophia Antoine, activiste et militante féministe
Hélène Bidard, adjointe à la Mairie de Paris en charge de l'égalité femmes-hommes, de la jeunesse et de l'éducation populaire
Vahina Giocante, actrice
Myriam Benayoun, avocate
Florence Elie, survivante et membre du Brave movement
Virginie Peyré, survivante et membre du Brave movement
Murielle Thibierge-Batude #IWAS4 survivante, présidente de l'association #IWAS
Emilie Cviklinski, survivante
Sylvie Meyer, réalisatrice et survivante
Jennifer Pailhé, présidente de l’Association Nos Ados Oubliés
Sarah Benmrah, vice présidente de l’Association Nos Ados Oubliés
Elisa Cambou, Association Elien Rebirth
Lydie Drame, journaliste
Dre Sandrine de Monsabert, psychanalyste et psychopraticienne
Sophie Benayoun, avocate
Sarah Kadi, mère protectrice
Barbara Lohr, journaliste réalisatrice
Dominique Brogi, créative du bouton “mon shérif”
Anne-Cécile Collet, présidente de l’association Les Petits Invincibles
Valérie Perret, conseillère municipale de Levallois-Perret
Santana Susnja, comédienne, danseuse, autrice et metteuse en scène
Adélaïde Bon, autrice