L’humain est contraint, oui, et il ne peut pas tout. Mais poser la question de l’accompagnement des mineur·e·s trans en ces termes, c’est faire démarrer le débat sur des bases biaisées. Il n’est pas question, en permettant à un·e mineur·e de transitionner, de nier des contraintes réelles qui existent ou de lui faire miroiter un impossible ; mais bien de l’accompagner dans ses choix et leurs conséquences, et soi-même, en tant que professionnel·l·e, de faire le choix d’un positionnement, et de ses conséquences.
Ces choix, pour læ jeune, sont multiples : s’habiller, être nommé·e, genré·e, d’une manière ou d’une autre, intervenir médicalement sur son corps, son état civil. Et les choix pour les accompagnant·e·s, le sont également : respecter les décisions en termes de prénoms et pronoms, commenter positivement ou négativement les choix vestimentaires, ne rien dire, prescrire ou non des hormones, apporter son support et son soutien dans les démarches médicales, administratives, ou les empêcher, s’y opposer, aborder le sujet ou non avec læ jeune.
Aucun de ces choix n’est neutre, ni pour læ jeune, ni pour les professionnel·le·s, et plus généralement les adultes autour d’ellui. Ces choix ont des impacts concrets sur la vie sociale, le bien être, la santé, le parcours scolaire des mineur·e·s trans. On le voit très bien dans le cas de Sasha : le refus de l’école de respecter son genre, et de lui imposer une présentation sociale masculine provoque chez elle une grande détresse, complique ses relations sociales et fait de sa transidentité un sujet dans son quotidien. Là où une acceptation de pronoms et de vêtements de son choix lui permettrait une enfance apaisée où son genre ne serait plus, ou très peu, un sujet.
L’exemple de Sasha n’est pas un cas isolé, ne serait-ce qu’en regardant l’actualité récente. Passer à côté de son enfance parce que toute transition est impossible, c’est irréversible. Faire une dépression, également. Mettre fin à ses jours ado en raison d’un climat familial et social transphobe, ça l’est encore plus. Nous ne voulons pas nier la diversité des situations et des vécus, comme ceux de Bell. Mais nous ne pouvons pas faire de généralité d’un cas de dé-transition. Nous ne pouvons pas empêcher toustes les jeunes en raison de la situation d’une jeune. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur la détresse de ces enfants et ados que nous voyons et recevons, en leur empêchant toute transition en raison de l’histoire d’une seule autre personne.
Les bloqueurs de puberté tant décriés dans cette tribune ont un effet réversible, ce que nos co-adelphes psychiatres et psychanalystes ont oublié de mentionner. Par ailleurs, nul besoin de coup de scalpel sur le torse d’un jeune homme trans dont la poitrine n’a jamais poussée, faute d’une puberté oestrogènée. Les choix ont des conséquences. Celui de refuser la prescription à des jeunes pourra les pousser à plus d’opérations par la suite si les modifications corporelles provoquées par leur première puberté ne leur conviennent pas.
Attendre n’est pas neutre. Et si attendre est neutre, si on doit être adulte pour pouvoir affirmer un genre en son âme et conscience, pourquoi ne pas mettre l’intégralité des jeunes sous bloqueurs de puberté ? Les ados cisgenres sont-iels suffisamment éclairé·e·s pour laisser cours à un phénomène hormonal irréversible dans leur corps ?
Ce que pose en creux le discours de la première tribune, c’est la nécessaire suspicion portée sur les parcours trans, moins naturels, moins évidents, moins normaux que celleux des personnes cis. L’incongruence entre le genre assigné et le genre vécu est un symptôme, vu dans un prisme nécessairement pathologique, en désaccord avec toutes la classification de l’OMS de 2019 - ces dernières n’étant par ailleurs pas exemptes de défauts. L’enfant trans doit être scruté·e, soupesé·e, analysé·e, dissequé·e, mis.e en doute de toutes les manières possibles avant de lui accorder quoi que ce soit. Comme ni cette mise en doute, ces temps d’attente, ces remises en question étaient elles aussi neutres, sans conséquence, et ne constituaient pas une violence faite à des enfants qui ne demandent qu’à pouvoir vivre leur enfance dans de bonnes conditions.
D’abord ne pas nuire, dites-vous. Mais ne pas nuire à qui ? En quoi une approche ciscentrée qui repose sur la crainte absolue de la transition peut-elle être bénéfique pour des enfants trans ? Une action irréversible du corps médical serait-elle par définition nuisible ? Pourquoi ? Une disqualification permanente de l’identité d’une enfant, au point de mégenrer Sasha, n’est-elle pas une violence de plus qui lui est faite ? Les chiffres sur la santé mentale et le suicide des personnes trans corrélée à la possibilité d’accès à une transition et à la prise de position d’un entourage soutenant (1) ne sont-ils pas des éléments qui montrent qu’imposer une attente, faute de « preuves » suffisantes est violent ? Et une preuve de quoi ? La transidentité n’a ni cause connue consensuelle, ni méthode de "dépistage" infaillible par le corps médical, si ce n’est l’écoute de l’autodétermination des personnes. Ne pas nuire, ne serait-ce pas écouter réellement et se baser sur ce que l’état de la science nous dit à présent, plutôt que de juger comme vous le faites ?
Nous militons pour la liberté d’explorer des enfants et des adolescent·es trans. Nous militons pour leur protection, leur respect et le droit à leur auto-détermination. Si le texte auquel nous répondons amalgame volontiers ajustements sociaux et chirurgies plus lourdes et irréversibles, qui constituent un autre sujet et ne sont pas le propos du documentaire, nous refusons de tout mélanger. User des prénoms et pronoms choisis, permettre les vêtements voulus et même envisager des bloqueurs d’hormones ne comportent aucun caractère irréversible. Et cette Petite Fille, comme tant d’autres, ne demande rien de plus que le respect de son autodétermination pour pouvoir mener sa vie.
Alors, ne nuisons pas.
(1) Une revue systématique de la question du suicide chez les personnes trans pointe l’accès aux démarches de transition voulue et à de moindres expériences de discrimination comme facteurs protecteurs (McNeil, J., Ellis, S.J., & Eccles, F. J. R. (2017). Suicide in trans populations: A systematic review of prevalence and correlates. Psychology of Sexual Orientation and Gender Diversity, 4(3), 341–353.)
Pour en apprendre plus : « Psychanalyse et transidentités : enjeux théoriques, cliniques et politiques »
Signataires :
Eliot SÉVRICOURT, Psychologue et militant trans.
Tom REUCHER, Psychologue-clinicien trans.
Clément MOREAU, Psychologue-clinicien et militant trans.
ESPACE SANTÉ TRANS, Association de promotion de la santé des personnes transidentitaires située en île de France.
Maud-Yeuse THOMAS, chercheuse en socioanthropologie, Observatoire des transidentités.
Karine ESPIÑEIRA, Sociologue des médias, LEGS, Université Paris 8, trans & féministe.
Thamy AYOUCH, Psychanalyste, professeur des Universités (Université de Paris).
Laurie LAUFER, Psychanalyste.
Joy WIELART, Psychologue clinicienne.
Beatriz SANTOS, Psychanalyste, Maîtresse de conférences à l’Université de Paris.
Mira YOUNES, Psychologue en protection de l’enfance, chargée d’enseignements en psychologie et en psychosociologie à l’Université Sorbonne Paris Nord.
Pascale MOLINIER, Professeure de psychologie sociale.
Nicolas MENDES, Psychologue clinicien, Docteur en psychologie, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Hôpital Jean Verdier.
Nicolas EVZONAS, Psychologue clinicien.
Tiphaine BESNARD, Psychopraticienne.
Hervé HUBERT, Psychiatre, Psychanalyste, Chef de service à la Fondation Élan Retrouvé.
Fanny POIRIER, Psychologue clinicien.ne.
Michel TORT, Psychanalyste, Auteur, Professeur des Universités (à la retraite).
Laurence HÉRAULT, Professeure des Universités, Anthropologue, Aix-Marseille Université.
Patrice MANIGLIER, Maître de conférences en philosophie (Paris Nanterre).
Agnès CONDAT, Pédopsychiatre, Psychanalyste, Consultation identité sexuée, Hôpital Pitié Salpêtrière.
Silvia LIPPI, Psychanalyste.
Fabrice BOURLEZ, Psychanalyste, Paris.
Salima BOUTEBAL, Psychologue clinicienne, Psychanalyste.
Mathilde KIENING, Psychologue.
Patricia PORCHAT, Psychanalyste.
Malika MANSOURI, MCF-HDR, Université de Paris.
Catherine ANCIANT, Agrégée de lettres.
Patrice DESMONS, Philosophe, Psychanalyste, consultant en « santé mentale ».
Loïc LE FAUCHEUR, Psychologue clinicien, 3e Intersecteur de Psychiatrie infanto-juvénile de l’Essonne.
Sylvain TOUSSEUL, Philosophe, Psychanalyste, Université de Paris.
Niloufar FORNO, Psychologue clinicienne, Association c’est pas mon genre, Doctorante à l’université de Paris.
Adrien CASCARINO, Docteur en psychologie, Université de Paris.
Adel TINCELIN, Auteur, Traducteur.
JULES, Militant trans et assistant ingénieur au CNRS.
Sophie MENDELSOHN, Psychanalyste.
Seloua LUSTE BOULBINA, Philosophe, LCSP, Université de Paris.
Simone PERELSON, Psychanalyste, Professeure à l’Universidade Federal do Rio de Janeiro, membre de l’Espaço Brasileiro de Estudos Psicanalíticos.
Thomas MIGNOT, Psychologue-psychothérapeute.
Myriam BAHAFFOU, Doctorante en philosophie et études de genre, militante écoféministe.
Marion VALLET-ARMELLINO, Psychologue clinicienne.
Mehdi DERFOUFI, Maître de conférences, département d’études de genre, Université Paris 8.
Annabel MAESTRE, Responsable de Contact 13 et Conseillère d’arrondissement Marseille 4-5.
Andræ THOMAZO, Doctorant anthropologie, Aix-Marseille Université (AMU), Institut d’Ethnologie Méditerranéenne, Européenne et Comparative (IDEMEC).
Sara JAAFAR, Masterant·e en Études sur le genre.
Natacha CHETCUTI-OSOROVITZ, Sociologue.
Gab SCHNEE, Psychologue clinicien.ne.
Vincent TOURNIER, Psychanalyste, Montpellier.
Élise BLANC, psychologue clinicienne, psychothérapeute certifiée.
Marie-Laure PERETTI, Psychologue clinicienne, psychothérapeute.
Noa PIERSON, personne trans’.
Lionel LE CORRE Psychanalyste, Chercheur associé au CRPMS, Université Paris 7 Denis Diderot.
Laure FERRY, Psychologue clinicienne.
Lisa SCHOORL, Psychologue clinicienne.
Clémentine MÉALET, Psychologue clinicienne.
Pour signer : tribune.nepasnuire@gmail.com