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Tribune 30 mars 2018

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Veillez à marcher vers la Convention de Genève!

Les avocats qui composent l'association ELENA, intervenant à la Cour Nationale du Droit d'Asile, ont reconduit leur grève entamée le 13 février pour une durée illimitée afin de protester contre le projet de loi Asile et Immigration. Ils interpellent les députés de La République en Marche après leur avoir adressé leurs projets d'amendements en leur rappelant : «il y aura un avant et un après droit d’asile en France si vous adoptez le projet de loi Asile et Immigration en l’état sans l’amender».

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Mesdames et Messieurs les Députés,

Il y aura un avant et un après droit d’asile en France si vous adoptez le projet de loi Asile et Immigration en l’état sans l’amender.

Aujourd’hui, le demandeur d’asile débouté de sa demande de protection par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de son courrier adressé par lettre recommandée pour former un recours devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA).

Demain, il disposera seulement d’un délai de 15 jours pour saisir la CNDA, à compter d’une notification faite par tout moyen, y compris par message électronique (SMS, e-mail, etc…).

Les convocations à l’OFPRA et à la CNDA seront également notifiées aux demandeurs d’asile par les mêmes voies électroniques.

La prétendue modernité de cette mesure est d’autant plus surprenante qu’elle fait fi de la précarité des demandeurs d’asile.

A-t-on vraiment besoin de rappeler que :

- 50 à 60 % des demandeurs d’asile ne sont pas hébergés dans le dispositif national d’accueil et se retrouvent sans domicile fixe,

- le demandeur d’asile doit faire traduire à ses frais son récit, ses preuves écrites et contacter sa famille pour qu’elle lui fasse parvenir des documents,

- le demandeur d’asile n’a pas le droit de travailler pendant l’instruction de sa demande,

- le demandeur d’asile n’a pas les moyens financiers d’acquérir un téléphone portable moderne assurant une communication électronique.

Aujourd’hui, le délai d’un mois pour exercer un recours déroge au droit commun qui est de deux mois en droit administratif. Demain, en réduisant ce délai à 15 jours, vous diminuerez considérablement le nombre de demandeurs d’asile pouvant avoir accès à un Juge.

Si Monsieur le Ministre de l’Intérieur est à ce point inspiré par la procédure allemande pour lui emprunter ses dispositions les plus strictes, le droit allemand prévoyant en effet un délai de 14 jours pour faire appel, il est regrettable qu’il ne lui copie pas ses règles les plus douces. En effet, en France 25,9 % des demandeurs d’asile ne sont pas entendus par un Juge en appel devant la CNDA. Ils font l’objet de ce que l’on désigne par le terme « ordonnance de tri ». Ces décisions qui ont doublé depuis 2010 sont prises sans audition du demandeur d’asile lorsque le Juge considère que, sur la base des seuls éléments écrits, le recours contre la décision OFPRA ne paraît pas sérieux. Elles sont particulièrement injustes. Le droit allemand ne connaît pas ces ordonnances de tri.

Demain, avec un délai de 15 jours pour exercer un recours, il est fort à parier que les rejets par ordonnance verront leur nombre augmenter.

En outre, le droit Allemand prévoit un double degré de juridiction en matière d’asile, le droit au travail et l’accès à des cours de langue dès le début de l’instruction de la demande d’asile.

Aujourd’hui, la visioconférence nécessite en métropole l’accord du demandeur d’asile. Demain, elle pourra être imposée.

Aujourd’hui, on s’efforce d’entendre le demandeur d’asile dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend.  

Demain, le demandeur d’asile sera entendu dans une langue dont il aura « une connaissance suffisante ». Le choix de la langue sera quasi définitivement figé dès son passage en préfecture.

Demain, lors d’une audience devant la CNDA en présence d’un requérant originaire d’Afrique francophone dont le niveau de français se révèlera trop faible pour comprendre les questions des juges et se faire comprendre, il sera trop tard pour qu’il puisse demander à bénéficier d’un interprète.

Aujourd’hui, après avoir été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme parce qu’elle reconduisait à la frontière des demandeurs d’asile, avant même que leur demande n’ait été examinée par un Juge, la France a intégré le droit à un recours suspensif devant la CNDA dans sa législation.

Demain, en décidant de supprimer ce recours suspensif pour certains demandeurs d’asile dont ceux originaires de pays dits « sûrs », le Gouvernement exposera la France à de nouvelles condamnations européennes.

Demain, un ressortissant de nationalité albanaise, persécuté en raison de son orientation sexuelle dans son pays d’origine, pourra y être reconduit, alors qu’il risque d’y subir des traitements inhumains et dégradants avant même qu’un Juge n’ait statué sur sa demande.

Mesdames, Messieurs les députés, restez sur la voie qui mène à la convention de Genève en refusant ce projet de loi !

ELENA-France EUROPEAN LEGAL NETWORK ON ASYLUM
Association des Avocats du Droit d’Asile
(Membre du Conseil Européen pour les Réfugiés et les Exilés)