Il n'est pas question ici d'ours polaires, l'espèce en question serait l'espèce féminine... Il ne s'agit pas de nier une réalité ou de minimiser certains comportements « sexistes » odieux et il faut bien le rappeler illicites. La situation sur ce bout de trottoir est en effet tendue. Que s'est-il passé, qu'est-ce qui a changé ?
Il y a eu ces deux dernières années des mouvements de populations importants en Europe et dans le monde. Des hommes, des femmes, des enfants fuyant des zones de conflits devenues des « théâtres d'opérations », en Libye, en Syrie, en Érythrée, au Soudan ou au Darfour mais également en Afghanistan, au Pakistan. Certains arrivent en France, parfois à Paris.
Ce quartier a connu deux années de campements récurrents entre la halle Pajol, Éole, Stalingrad, en tout une trentaine d'évacuations et autant de réinstallations. En parallèle d'une approche toujours plus répressive et sécuritaire, et en pleine schizophrénie, nos élus ont tenté une approche plus « humaine » mais la proposition apportée par la Mairie de Paris n'est malheureusement pas à la hauteur de l'ampleur de la situation : l'ouverture en octobre dernier de deux centres d’accueil de la capitale ne suffit pas, les places sont trop peu nombreuses, les délais de prises en charges trop long.
Alors oui, des réfugiés se trouvent toujours à la rue, installés pour certains rue Pajol. Et oui il y a des odeurs d'urine, des détritus. Pourtant à la portée et relevant des compétences de la municipalité, le minimum n'est pas fait : les associations et les riverains réclament en vain des sanitaires et des containers, des gestes simples, peu onéreux qui permettraient de parer au plus pressé en attendant une politique digne de ce nom.
Mais ce qui a surtout changé, ce sont nos rues : les cicatrices laissées dans la ville témoignent d'un rétrécissement sans précédent de l'espace public.
Des grillages ont été posés à chaque évacuation dans le but d'empêcher de nouvelles installations d'abris pour ces hommes et femmes déjà privés de tout. Les points d'eau dans les squares ont tous d'abord été fermés un à un, puis les jardins eux mêmes, puis la place du Maroc a été grillagée et c'est finalement la totalité du terre plain situé sous le métro aérien qui a été rendu inaccessible entre les stations Barbés et
Stalingrad.
Alors les réfugiés partagent cette place, cet espace public réduit comme peau de chagrin avec d'autres laissés pour comptes, démunis eux aussi, des vendeurs à la sauvette, plus ou moins chassés de Barbès, des jeunes ou moins jeunes. Beaucoup se trouvent dans une grande de précarité, un phénomène présent partout en France, mais résonant ici de manière particulière du fait d'une densité importante.
C'est peut être cette concentration humaine, cette cohabitation «forcée» de populations «fragiles» et il est vrai presque exclusivement masculines sur les derniers mètres carrés de bitume «ouvert» de ce coin du 18 ème qui pose question.
Mais il est foncièrement criminel de stigmatiser les groupes de réfugiés se trouvant rue Pajol, de leur imputer une responsabilité quelconque dans cette prétendue « disparition d’espèce » à laquelle nous sommes censés avoir assisté.
Notre association, avec bien d'autres, distribue chaque jours des petits déjeuners à des hommes, des femmes et parfois des enfants démunis de tout. Ces distributions sont menées en grande partie par des femmes justement, des infirmières, des retraitées, des étudiantes, des avocates, des chômeuses, des musiciennes, des professeures, des mères de familles, des lycéennes, des comptables, des psychologues.
Certaines empruntent le métro la Chapelle, d’autres viennent à pieds ou en vélo. Et tous les matins nos chemins se croisent pour quelques heures rue Pajol, à deux pas de cette place « interdite ».
Jamais sur une période de presque un an, nous n'avons été témoins d'un comportement équivoque ou ressentis un manque de respect vis à vis des personnes présentes chaque matin. Au contraire, des liens d'amitié, des relations se nouent chaque jours, en dehors de toutes considérations de genre.
Alors évidement, ces petites choses sont ténues, délicates, et surtout moins spectaculaires que les annonces alarmistes ou des slogans portés par certains, mais elles constituent pourtant une réalité qu'il serait dommage de nier. C'est pourquoi il nous semble essentiel de faire entendre notre expérience du quartier La Chapelle, qui est une expérience d’entraide et d’amitié.
Tribune 30 mai 2017
Restons solidaires et soyons attentifs...
L'association Quartiers Solidaires regroupant habitants du quartier de la Chapelle, - rue Pajol, rue du Département ou rue Philippe de Girard -, veut réagir à la polémique lancée suite à un article du Parisien signé par Cécile Beaulieu du 15 mai 2017 faisant état d'une « espèce en voie de disparition ».