Le 6 janvier 2017, deux semaines avant que Barack Obama quitte la Maison Blanche, sept Prix Nobel ont supplié le président américain de rendre justice au peuple chagossien en les aidant à retrouver leur terre, l'archipel de Chagos
, dont la plus grande île, Diego Garcia, est occupée par 4 000 militaires américains. Le président d’une union américaine plus parfaite, hélas, n’a pas su donner suite.
Notre époque n’accorde plus crédit à la parole d’un politique dont on sait qu’elle ne dépend que d’un seul groupe de réseau d’influence, ni à celle d’un intellectuel à qui on reprocherait de ne parler qu’en son nom propre, et ne peut s’en remettre en définitive qu’à la vertu du rêve dont on sait qu’il a toujours été à l’origine de tous les triomphes de l’humain.
Du 3 au 6 septembre prochain, la Cour Internationale de Justice, organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, tiendra « des audiences publiques sur la requête pour avis consultatif relative aux effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de l’Île Maurice en 1965 ». 22 Etats ainsi que l’Union Africaine ont exprimé leur intention de prendre part à la procédure orale devant la Cour. Les Chagossiens veulent ainsi donner le plus grand retentissement à leur cause qui est sans aucun doute la plus importante depuis les premières décolonisations d’après-guerre, et qui porte en germe l’instruction du procès de toute entreprise de colonisation, d’occupation et de déportation d’un peuple.
En effet, tout a commencé en 1965, quand l’archipel appartenait encore à l’Île Maurice et que la Grande-Bretagne a commis sciemment l’erreur – et ce sera prouvé officiellement – de démembrer un territoire à la veille de son émancipation, l’ONU ayant été très claire à ce sujet en la condamnant à plusieurs reprises. L’objectif de l’ancienne première puissance coloniale était de garder et de subtiliser ce territoire bénéficiant d’une situation stratégique idéale, pour le louer à l’Etat américain qui a préalablement exigé que l’archipel soit débarrassé de ses 2 000 habitants issus de l’esclavage français. Ce qui fut fait méthodiquement et brutalement entre 1967 et 1973. Une grande partie des Chagossiens ont été exilés à l’Île Maurice, d’autres se sont retrouvés aux Seychelles ou alors dans les environs de Londres, principalement dans la ville de Crawley. La majorité d’entre eux, encore vivants, attendent de pouvoir rentrer chez eux, pour ne plus être des déportés.
Malgré l’activisme incessant des Chagossiens, en 2016, la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique ont scellé sans ciller la reconduite de la location pour encore 20 ans. Cela laisse supposer que la grande majorité des Chagossiens, qui se battent depuis 50 ans pour retrouver leur terre, n’aurait aucune chance de réaliser leur souhait ultime de rentrer chez eux. Pourtant les Chagossiens ont déclaré ne pas être forcément contre l’existence de cette base au cœur de laquelle ils pourraient éventuellement travailler, à l’instar des Philippins et des Mauriciens. Ils proposent même qu’ils puissent retrouver leur chez eux en résidant sur une autre île de l’archipel, Peros Banhos. Mais les deux grandes puissances le refusent obstinément.
La décolonisation de l’Île Maurice attend d’être achevée et le droit des Chagossiens à résider sur leur terre doit être reconnu non pas par seulement 94 pays, mais par l’écrasante majorité des Nations, parmi lesquelles la Grande-Bretagne, les États-Unis d’Amérique et la France, pays des Droits de l’Homme, lesquels stipulent que tout être humain, quelle que soit sa couleur de peau, sa religion ou son histoire, a droit à une terre, et que le chasser malgré lui de cette terre est un crime contre l’humanité ainsi que l’a rappelé en 2013 J-M Le Clézio, prix Nobel de littérature. L’archipel des Chagos doit revenir aux seuls Chagossiens qui y ont fondé une culture créole unique. Spike Lee, Michael Moore, Oliver Stone, George Clooney, Lee Daniels, Ava DuVernay, Ryan Coogle et Steven Spielberg, faites en sorte, nous vous en prions, que cet immense espoir chagossien soulève l’opinion mondiale et son cœur afin que les deux puissances reconnaissent leur erreur et fassent enfin preuve d’humanité (1). Une erreur si inhumaine soit elle peut être certes réparée. Et la réparer contribuera à mettre progressivement un point final à l’histoire traumatique de la Traite des Noirs et de l’engagisme indien dans l’espace indiaocéanique. Une histoire commencée depuis plus de 300 ans et qui vit ses derniers soubresauts avec ce conflit qui oppose un peuple fier de 10 000 âmes à deux Goliath.
Retrouvez ici la version en anglais
Les signataires :
Patrick Singaïny, intellectuel réunionnais ;
Olivier Bancoult, leader chagossien ;
Pascal Blanchard, historien français de l’empire colonial français ;
Ananda Devi, écrivaine mauricienne ;
François Durpaire, spécialiste des Etats-Unis ;
Achille Mbembé, philosophe d’origine camerounaise, théoricien du post-colonialisme ;
Edgar Morin, sociologue et philosophe français ;
Jean-Luc Raharimanana, écrivain malgache en langue française ;
Souef Elbadawi, auteur comorien ;
Khal Torabully, écrivain et cinéaste mauricien.
(1) Proposition indicative : chaque réalisateur face caméra délivrerait une partie d’une chaîne d’un message et lorsque chacun apparaîtrait à l’écran, s’afficherait également une de leurs œuvres phares qui justifierait et légitimerait leur intervention. Malcolm X pour Spike Lee, Bowling for Columbine pour Michael Moore, JFK pour Oliver Stone, Les Marches du Pouvoir pour George Clooney, Le Majordome pour Lee Daniels, Selma pour Ava DuVernay, Black Panther pour Ryan Coogle et La Liste de Schindler pour Steven Spielberg.