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Billet de blog 6 décembre 2010

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100 plombs pour péter les tubes

 Moi, ma passion, ce sont les reprises. Et, bien évidemment, plus l'écart entre les styles de départ et d'arrivée est grand, plus la reprise aura des chances de m'intéresser. En tant que metalleux presque repenti, j'ai une faiblesse particulière pour ces chevelus qui proposent des versions des plus grands tubes de musique « populaire » liftés à coups de guitares en mitraillette et de double grosse caisse. Quelques-uns y ont consacré des albums (notamment Ludwig von 88 et leurs « 17 plombs... » qui ont inspiré le titre de ce billet), rares sont ceux à en avoir fait une spécialité.

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Moi, ma passion, ce sont les reprises. Et, bien évidemment, plus l'écart entre les styles de départ et d'arrivée est grand, plus la reprise aura des chances de m'intéresser. En tant que metalleux presque repenti, j'ai une faiblesse particulière pour ces chevelus qui proposent des versions des plus grands tubes de musique « populaire » liftés à coups de guitares en mitraillette et de double grosse caisse. Quelques-uns y ont consacré des albums (notamment Ludwig von 88 et leurs « 17 plombs... » qui ont inspiré le titre de ce billet), rares sont ceux à en avoir fait une spécialité.

Plus que rare, Boney NEM est unique en son genre, un concours de circonstances à la russe. C'est avant tout le produit du filtre culturel soviétique, qui ne laissait passer que ce qui était suffisamment neutre politiquement, en quantités soigneusement rationnées et planifiées, implantant de manière durable pour couper à l'auditeur l'envie de nouveautés. Des morceaux que presque tous ont oubliés en Occident sont gravés dans la mémoire soviétique, icônes de cette lucarne vers l'Ouest : ainsi, l'air de « Pardonne-moi ce caprice d'enfant » servira pendant des décennies de générique à la principale émission consacrée au cinéma, « Kinopanorama » (1).
En parlant de cinéma, au début des années 90, le genre dominant en Russie, c'était le social-réalisme dépressif, avec sa pellicule délavée, ses thèmes centrés sur le capitalisme galopant par-dessus les corps et ses héros à côté desquels ceux des nouvelles tardives de Tchékov avaient des destinées radieuses. Les metalleux russes, eux aussi, ont dû se rendre à une bien triste évidence : si le punk et le rock alternatif ont réussi à produire, en ex-URSS, des groupes que l'on pourrait qualifier d' « originaux et authentiques » (DDT, Grajdanskaïa Oborona, Nol', Raznye Ludi et d'autres), le heavy metal russe ne rattrapera jamais ses dix années de retard (2).
Alors que les Russes se contentent toujours d'imiter Metallica et Iron Maiden (parfois avec brio, on ne peut pas le nier), de l'autre côté de la barrière récemment ouverte des groupes comme Faith No More, Rage Against the Machine, Fear Factory, Pantera, Sepultura, Type O Negative ou Korn remodèlent le genre, poussant les membres de Kardannyï Val (« joint de Cardan ») à prendre la seule bonne décision : plutôt que d'essayer de rattraper et dépasser l'Amérique, mieux vaut faire un Grand Bond en Arrière. Ils montent Boney NEM (3), un projet qui aurait dû être éphémère, et qui, quinze ans après, vit toujours, porté par l'élan de ses deux premiers albums sobrement intitulés « Mélodies et rythmes de la variété étrangère ».
Entre les morceaux d'Africa Simone, Opus, Joe Dassin, Desireless, ABBA, Dr. Alban, Boney M ou Modern Talking, trois en duo virtuel avec Mireille Matthieu : « Pardonne-moi ce caprice d'enfant », « Tous les enfants chantent avec moi » et « Une vie d'amour ». Ce qui était fort pratique à l'époque du capitalisme galopant, c'est que personne ne posait de questions embêtantes sur les droits d'auteur. Techniquement, le groupe a pu se concentrer sur la réalisation de l'album : le mixage et l'interprétation, même imparfaits, font plus que tenir la route. Artistiquement, la prise de risque est minime : même si les chansons sont par moments boostées au point de devenir difficilement reconnaissables, les mélodies mémorables qui forment leur âme restent la plupart du temps indemnes. Boney NEM évite également de trop toucher aux structures, de changer radicalement la rythmique, et range même les grosses guitares sur quelques titres en laissant comme seule touche « metal » la voix rocailleuse de Kirill Nemolyaev.
L'underground metalleux met de côté tous ses possibles préjugés et sa répulsion naturelle envers la « variétoche » : pour une fois qu'il y avait une bonne raison d'être fier de sa patrie, on n'allait pas faire la fine bouche. À partir du troisième album, Boney NEM reprend de plus en plus de chansons russes, ce qui lui permettra de se faire une petite place sur les chaînes et émissions musicales « mainstream » qui diffuseront le clip vidéo de « Yabloki na snegu ». Ayant fermement choisi son créneau mais soucieux d'évoluer un minimum, le groupe tâtonnera dans différentes directions : piochant dans le rock classique ou la variété russes contemporains, durcissant le son, ou faisant des reprises acoustiques de hits metal (sur l'album solo de Nemolyaev, « Couplets comiques »). Mon épisode préféré dans ces expérimentations est probablement le croisement « bastard-pop » entre le « Du Hast » de Rammstein et la chanson « Tol'ko etogo malo » (« Mais ce n'est pas assez ») de Sofia Rotaru, elle-même empruntant son texte à un poème d'Arseniy Tarkovski (père de).


Sans transition et sans véritable conclusion, je me permets de clore ce billet en bouclant le parallèle entamé dans le titre : il n'y a sur cette Terre que trois groupes qui n'ont pas eu honte de reprendre la chanson « Boys (Summertime Love) » de Sabrina : les Cheeky Girls (hors-sujet dans notre cas), Ludwig von 88, et Boney NEM. Je vous laisse choisir la version que vous préférez :
Ludwig von 88 – Boys (1994)
Boney NEM – Boys (2007)

(1) On notera également les morceaux « Alouette » (par l'orchestre de Paul Mauriat) et « Vibrations » (de The Ventures) utilisés respectivement comme génériques des émissions « Dans le monde des animaux » et « Panorama International ». Il y avait aussi ce morceau dont le nom m'échappe en ouverture de « Le manifeste – l'incroyable », émission consacrée au paranormal...

(2) Il existe quelques curieuses exceptions à cette règle, par exemple les Biélorusses de Gods Tower, mais c'est une longue histoire que je raconterai une autre fois...

(3) Signifiant « Boney pas M » en russe, le nom coïncide avec les premières lettres de Nemolyaev, chanteur-guitariste, leader du groupe, danseur de ballet, présentateur télé (dans des émissions consacrées au heavy metal et à la variété) et grand déconneur devant l'éternel (il publiera deux livres-canulars, un sur l'histoire de l'URSS, l'autre sur celle du Rock, qui seront pris très au sérieux par quelques grands médias nationaux)

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