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Billet de blog 29 novembre 2011

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«Le président est un garant qui garantit tout» (Kommersant)

Le dimanche 27 novembre, sur la Petite arène sportive « Loujniki », le président du gouvernement Vladimir Poutine est devenu candidat à l'élection présidentielle de Russie. Andreï Kolesnikov, envoyé spécial de Kommersant, livre un reportage du congrès de la « Russie Unie » avec des détails sur la manière dont les délégués ont été privés de la possibilité de voter contre la candidature de Vladimir Poutine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le dimanche 27 novembre, sur la Petite arène sportive « Loujniki », le président du gouvernement Vladimir Poutine est devenu candidat à l'élection présidentielle de Russie. Andreï Kolesnikov, envoyé spécial de Kommersant, livre un reportage du congrès de la « Russie Unie » avec des détails sur la manière dont les délégués ont été privés de la possibilité de voter contre la candidature de Vladimir Poutine.

La deuxième partie du congrès de la « Russie Unie » était, indiscutablement, dans la lignée de la première. À première vue, rien n'a changé depuis le 24 septembre. Et en y regardant de près aussi, d'ailleurs. Les mêmes tribunes avec rangs de la « Jeune garde de la “Russie Unie” » en guise de sono... un parterre fourré de délégués du congrès... un arrière-plan de militants du « Front national pan-russe » rassemblés face au danger (c-à-d le risque de ne pas passer à la Douma d'État grâce aux quota de Vladimir Poutine).
En attendant le début du congrès, les écrans montraient à la salle des images des délégués et des participants.
Il y a de ces camarades, insistait un membre actif de la « Jeune garde », qui s'éternisent (dans le parterre – N.D.A.) et ne laissent pas passer les jeunes camarades (sur les tribunes – N.D.A.) !
Notre vote d'aujourd'hui est particulier, déclare le présentateur. Après l'annonce de la procédure de vote secret, nous demandons à tous de rester à leurs places !
Même après cela, nombreux sont ceux à avoir bondi.
Le présentateur a proposé de réfléchir qu'est-ce que cela signifie « être président ». Bien entendu, un micro-trottoir avait été effectué au préalable.
Le président est un garant qui garantit tout ! raconte un ouvrier, et il a raison : tout, bien entendu, surtout pendant la campagne électorale.
Elle a raison aussi, cette petite fille qui dit que le président, c'est le Père Noël. Et, une fois de plus, surtout pendant la campagne électorale.
Boris Gryzlov commença a diriger activement le congrès. Il faisait tout très vite : en proposant de voter et en demandant si quelqu'un était contre ou s'abstenait, il ne prenait même pas le temps de lever la tête pour voir si c'était vraiment le cas. Et enchaînait : « Non. Merci ! »
Même l'hymne a été joué un peu à la va-vite : la journaliste télé sur la tribune n'a pas eu le temps de s’enregistrer sur fond de parterre et d'hymne, parce qu'elle s'était emmêlé les pinceaux lors des deux premières prises ; à la troisième tentative, l'hymne s'achevait déjà et, dépitée, elle est revenue à sa place.
Quelques délégués et invités du congrès ont également pris la parole. Celui qui a le mieux joué son rôle est l'acteur et metteur en scène Stanislav Govoroukhine : et ce n'est pas surprenant, quel immense talent, quand même ! (Quoique, au début, on sentait bien que ça fait longtemps qu'il n'a pas tourné).
Stanislav Govoroukhine s'est rappelé de ces paroles d'Alexandre Soljenitsyne (qui s'est peut-être bien retourné dans sa tombe) d'après lesquelles une jeune démocratie a besoin d'un pouvoir fort.
Notre intelligentsia s'était révoltée : « Ah, le rétrograde ! De la liberté, c'est tout dont nous avons besoin ! » Mais il y a aussi une responsabilité devant le peuple et la société !.. En 1917, la Russie a obtenu des droits et des libertés illimitées, et elle en est morte sur le coup !..
On en déduit que Stanislav Govoroukhine n'espère même pas que Vladimir poutine devienne lors de son troisième mandant une incarnation de la liberté. C'est avant tout des responsabilités du peuple devant Vladimir poutine qu'il s'agit ici.
L'acteur a qualifié le premier ministre de « courageux, puissant, intelligent (il a oublié d'ajouter “agile” – N.D.A.), capable non seulement de défendre les droits, mais aussi d'accomplir ses devoirs ».
Les premiers applaudissements ont retenti. Le tandem n'applaudissait pas. Si pour Poutine, ça peut se comprendre, pour Medvedev, on comprend un peu moins.
Et Monsieur Govoroukhine de demander au premier ministre d'accepter de se présenter aux élections présidentielles de Russie. Refuser à un tel homme était difficile.
Le dirigeant de « Delovaya Rossiya » [« La Russie des affaires », une union entrepreneuriale – N.D.T.], Boris Titov, a qualifié Vladimir Poutine non seulement de « puissant », mais de « puissant manager ». Boris Titov s'est souvenu du racket généralisé des années 90 et a dit que maintenant, « payer au “toit” [terme argotique désignant l'extorqueur-protecteur – N.D.T.] n'est pas plus avantageux »
Et, avec un sourire bienveillant, il s'est tourné vers l'endroit où était assis Vladimir Poutine. Se pourrait-il qu'il soit plus avantageux de payer à lui, maintenant ?! Mais non, Boris Titov voulait bien sûr parler des organes fiscaux.
Un fondeur d'acier a conté à la salle une byline sur la crise qui avait failli venir à bout l'usine métallurgique de Nijni Taguil, où il a travaillé plusieurs dizaines d'années, et l'usine était à genoux. Alors les trente-cinq mille employés de l'usine ont écrit une lettre au bogatyr russe Vladimir Poutine, « lui, il n'a pas attendu et il est venu ». Et l'usine s'est redressée, « et bien fermement ! »
Depuis, Vladimir Vladimirovitch visite notre usine, achève son récit instructif le fondeur d'acier. Il nous conseille, nous donnes des tuyaux, c'est pourquoi l'usine fonctionne bien.
Le fondeur d'acier a conclu de manière traditionnelle pour cette étape du congrès :
En pesant tout ce que je viens de dire, je ne vois pas d'autre candidature au poste de président !
Puis vient le tour d'un agent du FSB... Puis d'une mère célibataire qui élève 19 enfants (« Et comment faire autrement ! Alors que tout va en s'améliorant ! »)... Je m'attendais à ce que le tableau soit complété par un sportif (d'un sport individuel ou collectif). Le boxeur Valouïev, qui se trouvait dans la salle, aurait pu servir pour l'occasion. Mais il faut croire qu'il est destiné à autre chose.
Notre avis est uni, prononce Boris Gryzlov. Nous proposons que Vladimir Poutine devienne notre candidat unique [...]
Puis Dmitri Medvedev a prononcé un discours fébrile, interrompu de temps à autre par des cris en provenance des tribunes : « Le peuple ! Medevedev ! Poutine » (personnellement, j'y entendais une mise en opposition peu équivoque – N.D.A.) Les cris étaient bien réglés et bien ordonnés : les organisateurs de l'événement ont, apparemment, bien pris en compte les lacunes de la première étape du congrès. Et de temps en temps, la salle était prise d'un étrange tic nerveux, et chatoyait des fanions aux couleurs de la Russie qui s'agitaient dans les mains des fans sur les tribunes.
Tout le monde est excédé par la corruption, dit Medvedev, par la stupidité du système !
Le peuple ! Medvedev ! Poutine ! scande la salle.
Ici se trouvent les dirigeants des régions, continue le président, le pouvoir repose sur eux !..
La stupidité du système aussi, de toute évidence.
Il n'y a pas d'autre équipe que la nôtre ! s'exclame Dmitri Medvedev. Il n'y en a tout simplement pas !
Et s'il y en a eu une, il n'y en a tout simplement plus.
De plus, Dmitri Medvedev a dit que la force du parti dirigeant était dans la vérité, et c'était là une citation directe des affiches électorales de Mikhaïl Prokhorov, que ce dernier regrettera suite aux détournements de ces affiches exposant la totalité de cette pensée empruntée au film « Le Frère – 2 », et vexante pour M. Prokhorov.
[L'affiche d'origine contenait la citation suivante : « La force est dans la vérité. Celui qui a raison est le plus fort », les affiches détournées remettaient la citation dans son contexte d'origine : « Alors dis-moi, où est la force ? Dans l'argent ? Tu as beaucoup d'argent, et alors ? Moi, je crois que la force est dans la vérité. Celui qui a raison est le plus fort. Toi, tu as trompé quelqu'un, tu t'es fait de l'argent. Et alors, tu es devenu plus fort ? Non, tu ne l'es pas devenu. Parce que la vérité n'est pas de ton côté. Et celui que tu as trompé, la vérité est de son côté, donc il est plus fort. » – N.D.T.]
Dans son discours, Vladimir Poutine s'est concentré sur la recherche d'ennemis extérieurs. Et il les a, bien entendu, trouvés :

Nous savons, malheureusement, qu'en ces jours, les représentants de certains pays étrangers rassemblent ceux à qui ils payent de l'argent, ceux que l'on nomme des bénéficiaires de subventions ; ils les briefent, les mettent en condition pour qu'ils fassent leur « travail », pour pouvoir eux-mêmes en fin de compte exercer une influence sur l'issue de la campagne électorale dans notre pays. De vains efforts !
Rus-sie ! s'emporte la salle.
Comme dirait notre peuple : de l'argent jeté en l'air ! continue le premier ministre. D'abord, parce que Judas n'est pas le personnage biblique le plus respecté par notre peuple ; ensuite, parce qu'ils feraient mieux d'utiliser cet argent pour combler leur propre dette publique et d'arrêter de conduire une politique extérieure dépensière et inefficace !
Au demeurant, quand il ne reste qu'une semaine avant le vote et que la campagne est sur sa dernière ligne droite, même cette rhétorique n'a pas l'air décourageante. Après les élections, il est fort probable que Vladimir Poutine s'étonne s'il se rappelle avoir dit ça.
Les délégués du congrès sont passés au vote. Comme on l'apprendra après, il n'y avait sur le bulletin que trois mots marqués en gros caractères : « Poutine Vladimir Vladimirovitch ». En caractères plus petits, on expliquait qu'il est inutile d'entourer ou de mettre une croix : si le candidat est d'accord avec cette candidature, il peut simplement mettre le bulletin dans l'urne (les urnes mobiles ont été triomphalement apportés dans la salle par des jeunes gens et des demoiselles aux airs de serveurs qui en ont vu d'autres).
D'ailleurs, la tâche n'a pas été aisée pour tout le monde. Après, le congrès, deux délégués échangeaient leur impressions devant moi :
– Et pourquoi ils ont donné des stylos, s'il fallait simplement le mettre dans la fente ?
– Ça, c'est si t'étais contre : dans ce cas il fallait barrer.
– Oh, et moi j'ai coché à côté !
– Et ben voilà ! Ils vont penser que t'as voté contre. Ouais... Des caméras, il y en avait partout !

Un des délégués m'a avoué que même si l'envie survenait de barrer le nom « Poutine », le faire n'aurait pas été simple : enlever le capuchon des stylos était quasiment impossible. Les organisateurs avaient vraiment pensé à tout.
Exact ! confirme le délégué qui, dans le feu de l'action, a cru bon de cocher. J'ai dû sortir mon propre stylo !
Entre-temps, quand les résultats du vote ont été annoncés, il s'est trouvé que personne n'était contre. 614 personnes étaient pour la candidature de Vladimir Poutine au poste de président de la Russie. Aucun bulletin n'était détérioré. 621 délégués se sont inscrits pour ce congrès. Il ne reste qu'à considérer que sept d'entre eux se sont abstenus.
Après le congrès, j'ai demandé à un des intervenants, Boris Titov, s'il était sûr de son choix.
Bien sûr ! a dit M. Titov – Il vaut mieux cet homme !..
Que l'autre ? ai-je précisé.
Non ! Que la chienlit !

***

L'article original sur le site Kommersant.ru :

http://kommersant.ru/doc/1825827

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