En 2000, France Télécom lançait un programme de recherche sur le parfum numérique. Soit la possibilité de reconstituer une odeur à distance. Les applications promises s’annonçaient multiples (télévision avec chaînes odorantes, présentation d’un produit avec senteur…), mais la difficulté technique pour mettre au point un appareillage efficace a limité tout développement. Après l’odorat, place au toucher. Avec des objectifs plus ambitieux : créer des sensations via Internet et faire voir le jour à des poupées-robots hyper sophistiquées.
HAPTIQUE
Le laboratoire de recherche en communication multimédia (MCRLab), de l’université d’Ottawa (Canada) travaille sur la transmission numérique de sensations tactiles synchronisées avec des images. L’application première serait de pouvoir serrer la main d’un personnage virtuel et de ressentir la pression de ses doigts, voire la texture de sa peau. Une interface avec un système mécanique de micro-capteurs, du simple gant à la combinaison intégrale, produirait l’illusion. Ce champ de développement fait partie de l’haptique.
Il s’agit de la science du toucher et de la perception du corps dans l’environnement (http://fr.wikipedia.org/wiki/Haptique). Tout le monde connait au moins une déclinaison de l’haptique : les fameuses manettes vibrantes pour jeux vidéo. Dans un tout autre genre, réservé aux adultes, les sex toys utilisent le même principe.
Idée souvent vérifiée, le développement commercial d’une technologie dépend souvent du sexe. Le succès du magnétoscope a été couplé à celui de la vidéo pornographique. Le succès de la télévision à péage Canal + a été aidé par la programmation de films X. Sorte d’apothéose de cette « union », David Levy imagine dans Love and Sex with Robots : the Evolution of Human-Robot Relationships un monde où la relation intime avec une poupée robot serait habituelle. L’amour et l’acte sexuel deviendraient une expérience paramétrable, avec choix sur commande de l’émotion et de la position, grâce à un partenaire artificiel capable d’initiative.
IMAGE DU DESIR
Le scientifique britannique en intelligence artificielle annonce l’avènement de cette réjouissante innovation pour 2050. Pas besoin de se projeter dans le futur pour considérer dès maintenant les conséquences probables sur la conscience humaine et le rapport de l’individu à la réalité. Captivé par l’image, l’humain se tromperait volontairement sur la nature réelle de ses contacts physiques et de ses émotions afin d’exercer ses désirs. Dans cette optique, la sensation prime sur tout. L’acte sexuel devient une réaction physique basique à des stimuli. L’amour, un simulacre dans lequel tout ce qui est espéré devient réalisable. Le comblement immédiat des sens suffirait, avec la seule aide de sa propre capacité à s’illusionner. Une vision matérialiste, voire utilitariste, des rapports humains.
Quels pourraient être les impacts bénéfiques d’une utilisation des poupées-robots ? Une personne âgée n’aurait plus à craindre le regard de son partenaire… Elle n’aurait plus à pâtir de ses limites physiques… Contrepartie : une remise en cause dangereuse de la nature de la vieillesse et, par extension, de la mort. S’il est possible d’exercer une sexualité constante, fondée sur la performance, une certaine distance sur l’existence devient impossible. Avec à la clef un chamboulement total de la société et une inversion de ses valeurs élémentaires. Les fantasmes les plus extrêmes (ou donnant une importance cruciale au physique, au résultat attendu) seraient les seuls respectés et appréciés. Sans la présence de l’autre, avec un supplément d’âme factice, la modération n’est plus de mise. Seul avec son robot, l’individu pourrait projeter ses pulsions sans aucune limite.
La vision d’une expression des désirs interdits (cf. les images mangas) ferait place à la mise en scène de ceux-ci. Par exemple avec l’apparition de poupées représentant de très jeunes personnes. L’industrie des love dolls propose dès à présent des poupées siliconées, bien plus réalistes que leurs ancêtres gonflables, qui peuvent prendre n’importe quelle apparence. Le réalisme est un argument de vente et préfigure la prochaine étape annoncée par David Levy : la robotisation (http://www.youtube.com/watch?v=HGfaQCY_bo4).
ALIENATION
La conséquence de cette évolution est l’aliénation de l’individu. Un film français a largement traité le sujet, racontant l’histoire d’un homme qui substituait à sa femme une poupée (Monique de Valérie Guignabodet). Dans le futur, coucher avec une poupée-robot sera-t-il tromper son mari ou son épouse ? Plus loin, désirer une poupée-robot qui rend possible la mise en scène d’un interdit sera-t-il légal ? A l’échelle mondiale, le flou actuel à propos du statut de l’image donne une indication sur la capacité de la collectivité à réagir. L’effacement progressif de la frontière entre réalité et virtualité, l’enfermement psychologique dans une chimère, la dépendance à une illusion vide de sens sont d’autres résultats prévisibles.
En cas d’apparition, la technologie des poupées-robots ne s’adresserait qu’à une petite part de l’humanité, apte à consommer des produits manufacturés à prix élevés. Des produits hyper polluants, accompagnés d’un coût énergétique déraisonnable verraient le jour, au service d’une petite élite. Relayé par les médias, un débat porterait sur l’apport des poupées-robots à l’individu. Les poupées-robots : un bien-être pour soi ? Pour ou contre ? La question est pourtant ailleurs, dans la capacité d’une collectivité à partager des valeurs et une éthique. La question doit rester que voulons-nous ensemble ? Et non pas que puis-je exiger pour moi ? L’investigation du désir de chacun par un medium « alter-réaliste » transformerait bien plus l’esprit d’une société que l’esprit d’utilisateurs particuliers. Le monde deviendrait hostile, car uniquement capable de satisfaire le désir d’un seul individu. Se renfermer sur une telle expérience du désir aiderait à anéantir l’identité de l’homme.