Le quotidien Aujourd’hui en France (Le Parisien) du samedi 5 avril 2008 titrait un dossier « Sarkozy met l’Etat au régime minceur », à propos des 166 mesures dites d’économies engagées par le gouvernement Fillon. Le mot « rigueur » ayant été utilisé par l’opposition socialiste pour dénoncer (selon celle-ci) un nouvel effort demandé aux Français, l’auteur de l’article introductif le remplace par le très père-de-famille-responsable « économie ». Mieux encore, un petit encart propose une définition droite sortie du dictionnaire, avec comme objectif probable de réhabiliter le sens d’un mot qui fait peur. Une définition qui tient à préciser que la rigueur, c’est aussi une forme de « précision, d’exactitude et de logique inflexible ». D'ailleurs, dixit le journaliste, même la gauche avait utilisé le mot (est-ce là une preuve de qualité ?) et s’en vantait sous l’ère Mauroy.Le fond, lui, se résume à une analyse réduite, voire inexistante.
Le dossier « Sarkozy met l’Etat au régime minceur » aurait pu s’appeler « Sarkozy met le porte-monnaie des Français au régime minceur ». Après tout, pour aller à l’essentiel, une seule décision de poids va porter directement sur les dépenses de l’Etat : la réduction des effectifs de fonctionnaires (et encore, avec des résultats discutables selon l'avis divergent des économistes sur le sujet). Combien d’autres décisions ont été en revanche prises sans tenir compte du pouvoir d’achat ? Franchises médicales, baisse des plafonds de revenus pour les loyers HLM... Des éléments qui hélas n'apparaissent que peu dans l'exposé.
Un autre mot est lui lancé à tort et à travers : « réforme ». Dire laquelle, préciser ce qu’elle apporte, en débattre, c’est autre chose. Nicolas Sarkozy a été élu pour des « réformes ». C’est vague… N’y aurait-il qu’une seule voie possible, issue d’un seul parti ? Comme si la droite actuelle était devenue plus progressiste qu’une gauche plus occupée à la division qu’à entretenir son sens du collectif et des avancées sociales. En fait, il y aura bien des réformes… de droite. Encore faut-il que les médias proposent l'explication, argument par argument, de ces réformes, de leur nature et de leurs volontés.
Les auteurs de l’analyse nous disent plus prosaïquement : « Sarkozy revient à ses promesses de campagne ». De quoi faire remonter sa côté de popularité ? Voyons cela dans les mesures :
-Réforme de l’Etat que « tous jugent indispensable à cause du feu aux portes de la maison » C’est lyrique… Et ça inquiète, à l'instar de ce compteur de la dette présenté sans cesse à la télévision (France 2), pendant la campagne présidentielle électorale. Une fois de plus, avec l’idée qu’il n’y a qu’une seule voie. Curieuse priorité que de réduire le nombre de fonctionnaires lorsque 15 milliards annuels ont été offerts en paquet fiscal aux revenus les plus aisés. Curieuse priorité lorsqu’une guerre en Afghanistan est menée à coûts exorbitants pour des résultats inconnus… Au lieu de cette mise en rapport des enjeux, au lieu de la mise en place d'une argumentation, on assiste à la diffusion de l’idée unique et restreinte que les services publics n’apportent aucune richesse à un pays.
-Réforme de la politique du logement social. Est-ce une réforme ? Il s’agit de l’abaissement pur et simple du plafond de ressources avec pour conséquence de retirer aux classes moyennes-basses l’accès à des logements à prix raisonnable. Les plus faibles revenus auront plus de chance… de finir dans de véritables ghettos de pauvres. Bref, un non-sens total. Heureusement, un micro-trottoir en bas de page vient à la rescousse, avec un passant nommé Francis (enseignant) qui donne son avis : « Le mesure relative au logement social peut permettre à des personnes défavorisées de se loger. C’est plutôt positif ». Au lieu de construire davantage de logements, (et de libérer la pression spéculative sur le marché locatif immobilier), mieux vaut en interdire l’accès, c’est plus facile en effet. Positif, en revanche...
Les auteurs de l’article ont la qualité de préciser que les économies espérées de 7 milliards sur un budget de 1000, étalées sur plusieurs années ne représentent rien et peuvent avoir des conséquences néfastes bien plus lourdes que les gains escomptés. Ceux-ci vont jusqu’à craindre une nécessaire hausse de l’imposition pour équilibrer les comptes, mais sur un certain ton : « Du coup, l’engagement du président de la République d’équilibrer, d’ici à 2012, les finances de la France, devient de plus en plus improbable. A moins que craignent les socialistes, aujourd’hui, et ce dont se défend le gouvernement. Aujourd’hui… »
Un « aujourd’hui » qui sous-entend : lorsque la gauche sera au pouvoir, sa démarche sera la même, elle augmentera les impôts. En résumé : gauche et droite, c’est pareil. Critique d’anticipation sur le PS, drôle d’analyse politique et économique, fond absent, méthode de diffusion de l’information contestable et peu argumentée : peut-être, les journalistes auraient pu s'y prendre autrement… A moins qu'il ne faille s'intéresser au groupe qui possède le journal Aujourd’hui en France-Le Parisien et à la ligne éditoriale qu'il imposerait ?
N’allons pas jusqu’à ces extrêmes inutiles et sans fondements. Même si la manière est très habituelle et répétée. Réfléchissons plutôt sur un état de fait : il ne faut jamais oublier qui va lire ces lignes. Qui va en être influencé. Qui fait en faire son opinion : les couches les plus populaires, c'est-à-dire nous tous, si l'on considère que nous vivons toujours dans le cadre d’une République unie.
Correctement nous informer, nous éclairer en toute indépendance pour nous permettre de se forger un avis demande une certaine rigueur (« précision, exactitude et logique inflexible ») de la part des médiateurs-journalistes. C’est à ce prix que l’on pourra traiter réellement du fond et placer en avant les éléments importants de la problématique du déficit de l’Etat :
-Quelle dette ?
-Pour quels avantages collectifs ?
-Pour quels investissements ?