En feuilletant le journal Sud-Ouest du 21 mars 2024, on pourrait croire être tombé sur une page publicitaire des promoteurs du Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest.
En regardant de plus près, on découvre qu'il s'agit d'une interview de Monsieur Guyot, Préfet de Nouvelle Aquitaine et de la Gironde. Et pourquoi pas, car si Monsieur Guyot est bien préfet, cette fonction a, depuis la décentralisation, quelque peu évolué : non-élu, mais doté de pouvoirs exécutifs, il est en outre sensé développer et défendre publiquement des projets d'intérêt régional. Et justement, le projet de LGV est l'un de ceux que Monsieur Guyot défend mordicus, quand il annonce le fait accompli administratif concernant la construction des lignes à grande vitesse du Sud-Ouest.
En tant qu'habitants directement impactés ou contribuables, mais privés de notre pouvoir de décision sur l'avenir d'un territoire que nous partageons avec le reste des êtres vivants, nous nous organisons depuis longtemps en collectifs et associations. Nous clarifions ci-après plusieurs omissions et malentendus concernant l'un des plus grands projets d'infrastructure de France, inutile et écocidaire mais imposé : le Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest.
(Re)cadrage démocratique.
Loin d'être un projet "qui se déroule" comme prévu, le nommé GPSO est un projet imposé qui suscite l'indignation des populations que l'on tente d'embobiner depuis des décennies. Remballé et ressorti des cartons à plusieurs reprises, ce projet n'a jamais été réalisé, et pour cause.
En effet, nous tenons à rappeler que l'enquête publique de 2014-2016, une étape essentielle et obligatoire, a récolté 93% d'avis défavorables à ce projet, qui fut donc passé en force, avec une Déclaration d'Utilité Publique outrepassant y compris l'avis des 21 commissaires enquêteurs. Alors que les collectivités dites "élues démocratiquement, qui représentent des millions de gens et qui ont délibéré", par jeu de pouvoir et chantage politique, n'ont pas pu le faire en toute liberté, cette délibération avait justement communiqué des conclusions défavorables au projet. Ce qui n'empêcha pas le Premier Ministre Jean Castex, qui relançait la France post pandémie par coup de baguette, de glisser ce projet dans la foulée.
Une calamité financière.
Le projet fut mis à l'arrêt en 2017 par le gouvernement Macron suite à une révélation de Madame Borne, alors Ministre chargée des transports annonçant que le gouvernement devait "faire face à des impasses financières". Et aujourd'hui le Préfet annonce fièrement que "le plan de financement fonctionne". Il suffit pourtant de se pencher sur les chiffres pour constater qu'il manque 1,5 milliards d'euros sur la part de l'État et 2,8 milliards d'euros sur la part attendue de l'Union Européenne. Un autre oubli : les frais financiers et de gestion de la société du projet, estimés à 10% du coût total (soit plus de un milliard d'euros), mais absents du plan de financement1. La moitié est à emprunter sur les marchés et partiellement remboursable via les taxes locales collectées par les collectivités pour assurer leur part du financement. Ces taxes sont par ailleurs étalées sur 40 ans et indexées : bien peu a donc été investi à date par les collectivités, et le montant total du projet reste inconnu à date.
Il vient s'ajouter à cela les sur-coûts du projet, dont le budget est en cours de réactualisation pour la deuxième fois de son histoire avant même le démarrage officiel des travaux. Les collectivités signataires se sont engagées à les couvrir. Mais pas d'inquiétude : "s'il y a des hausses de coûts, on ira d'abord rechercher des économies sur le projet actuel ". Peut-être fera-t-on un viaduc en moins ? C'est qu'il y a tout de même 28 km de viaducs et de tunnels cumulés dans ce projet, véritable autoroute ferroviaire sur pilotis2. Un retour sur l'expérience du Stade Atlantique ou l'A65 montre qu'ils seront aussi répercutés dans le prix des billets.
Un point sur le soutien européen à ce projet.
L'Union Européenne est fièrement annoncée par les promoteurs comme un partenaire du GPSO. C'est qu'ils font des aller-retours à Bruxelles, pour opérer un lobbying intensif, comme le fait Monsieur Rousset. Mais la participation européenne n'est nullement garantie à hauteur du montant escompté. Elle dépendra du budget disponible et de l'évaluation des projets prioritaires, puis sera conditionnée au respect des objectifs européens. En particulier, la connexion entre pays membres, dans le cadre du programme RTE-T, sera décisive3. C'est pour cette raison que les promoteurs du projet répètent que "le GPSO permettra d'aller jusqu'en Espagne". Cependant, cela n'est plus du tout d'actualité : d'une part, le Conseil d'Orientation des Infrastructures a repoussé au loin la phase 2 du projet - la réalisation du tronçon Dax- Espagne, jugée non-prioritaire - et, d'autre part, la stricte opposition des basques et leurs mobilisations de plusieurs milliers de personnes, y compris les agriculteurs, ont de quoi faire déchanter les tenants du projet.
Second passage en force : l’illusion d’un projet écologique.
Le GPSO outrepasse également les lois de protection de l'environnement et de la biodiversité, avec un tracé qui, si maintenu, risque de détruire des espaces naturels comme le Parc naturel des Landes de Gascogne et la coulée des eaux fraîches de la Vallée du Ciron, joyau de biodiversité unique en Europe, etde multiples zones humides, toutes classées. Si le rôle du Préfet est de 'faire respecter la loi' il peut pourtant très bien la contourner en dérogeant sur les directives espèces, habitat et eau4. Être capable d'"éviter les zones écologiques" avec un projet qui traverse le bassin versant du Ciron et 8 sites Natura 2000 serait une performance inouïe. La Société GPSO, s'engage à peine à réduire voire compenser les dégâts, et l'on sait à quoi correspond le vocable de "compensation" en pratique : rien qui ne permette de restaurer véritablement les espaces détruits. La promulgation des lois protectrices, mais dérogeables, comme celle du "Zéro Artificialisation Nette" ne semble ainsi pas suffisante pour arrêter les velléités d'aménagement du territoire de nos chers investisseurs et élus pro-LGV : leur tracé projette d'artificialiser plus de 4800 hectares de terres.
Une course à la vitesse perdue d'avance : les enjeux climats.
Comme dans tous les débats sur la LGV, on nous promet la décarbonation tout en omettant les émissions de carbone du chantier, équivalant à 28 Millions A/R Toulouse-Paris en avion ! Les reports de trafic de la voiture ou de l'avion, longtemps privilégiés pour désenclaver les toulousains, vers un train plus économe, restent des hypothèses : les chiffres de report modal induit annoncés sont remis en question par les changements d'habitudes de déplacement post-covid, et contestés en raison des projections fantasques produites par le maître d'ouvrage sur certaines gares à l'horizon 2025. La construction de cette ligne par contre, serait bien carbonée : le BTP n'ayant pas encore entamé sa transition, les matériaux du chantier seraient déplacés par camions polluants.
La dissimulation des enjeux climatiques de la phase production ou construction est chose commune dans les discours des greenwashers : c'est ainsi que l'on voit promouvoir des objectifs de 'neutralité carbone' via un projet qui 1/ détruirait 2850 hectares de forêt, dont une forêt millénaire, nous privant de puissants puits de carbone ; 2/ induirait l'ouverture de nouvelles carrières et sablières, usines d'extraction fortement émettrices de gaz a effet de serre ; 3/ augmenterait de 15% le trafic routier sur les axes proches du chantier qui durerait 10 ans, pour le transport des quelques 54 millions de m3 de déblais et remblais, soit 20 pyramides de Khéops en volume !
Même chose concernant la situation escomptée à la mise en service de la ligne. Les promoteurs vantent un gain de vitesse et un report modal chimérique : le "30 minutes Bordeaux-Agen" omet le trajet en voiture pour aller du centre à la nouvelle gare en projet, située à Sainte-Colombe-en-Brulhois. C'est ainsi que depuis deux siècles, les vitesses de déplacements ont fortement augmenté sans pour autant que la durée totale de nos trajets ne diminue5.
L'erreur est finalement de penser que la "vitesse" - ou plus précisément les 320 km/h qui nécessiteraient un chantier au bilan désastreux de 4,5 Millions de tonnes équivalent CO2 émis dans l'atmosphère est encore la priorité dans un monde qui se prépare à un réchauffement climatique de +4 degrés, dans une région qui a déjà vécu les incendies de Landiras, les inondations de l'hiver dernier, et les restrictions d'eau de l'été qui vient (spoiler). Ainsi avec cette LGV on ne crée pas une "offre supplémentaire", mais bien une servitude à la vitesse dans un monde de moins en moins capable de la soutenir. La Cour des Comptes vient d'ailleurs d'épingler SNCF Reseau6, maître d'ouvrage du chantier GPSO, pour son incapacité à prendre en compte le changement climatique.
La rhétorique fallacieuse des trains du quotidien.
L'affirmation que les LGV vont permettre d'améliorer la cadence des trains du quotidien est erronée sur tous les plans. Première erreur : croire qu'une nouvelle voie au Sud de Bordeaux serait la clé pour "améliorer les mobilités". Les aménagements ferroviaires au Sud de Bordeaux (AFSB) - censés accueillir les LGV en projet - sont en effet proposés comme une solution pour augmenter le trafic du TER. Or les collectifs citoyens et les syndicats cheminots ont démontré que le problème des-dits "trains du quotidien" n'est pas le manque de voies, mais bien des moyens financiers investis sur ces lignes. S'il est de notoriété publique que le réseau ferroviaire français est l'un des plus vétustes en Europe, mal-entrenu et en sous-investissement chronique depuis des années, le manque de moyens ne concerne pas que la maintenance si mal en point. Le personnel de bord de train est également en sous-effectifs, et personne au Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine ne semble se soucier de l'incohérence entre une demande de 77 trains supplémentaires en janvier 2024 et l'absence de conducteurs pour les conduire, situation dénoncée par le syndicat SudRail. Pourtant, une telle demande prouve que Monsieur Rousset lui-même envisage une augmentation de la capacité des lignes actuelles sans changer le nombre de voies : pas besoin du GPSO, donc !
Par ailleurs, TransCUB a étudié les données transmises par SNCF Réseau concernant les AFSB. Le collectif révèle que les deux voies existantes pouvaient à elles seules absorber tout le trafic prévu par le dossier d'enquête publique à la mise en service des LGV, y compris celui du RER métropolitain. Du côté de Toulouse, les AFNT, les aménagements symétriques au Nord de Toulouse, ruinent toute possibilité d'alternative ferroviaire à la très chère autoroute A69 en projet pour relier Castres, puisque les plans des travaux présentés par SNCF Réseau montrent qu'il est prévu de mutualiser une des deux voies existantes dédiées aux TER avec les trains grande vitesse : or c'est justement la voie privilégiée pour l'alternative à l'A69 (voir notre article à ce sujet).
Finalement, l'erreur ne serait-elle pas de financer un nouveau gouffre à plus de 14 milliards d'euros pour rattraper le retard des "trains du quotidien" déjà délaissés depuis de nombreuses années ?
Justice sociale quand tu nous quittes.
Quand les aménageurs confondent les liens entre TGV et métropolisation et qu'ils conçoivent les TGV comme un "instrument de vie quotidienne", il pensent sans doute aux seuls français qui peuvent se permettre l'achat quotidien d'un billet à 43 euros de prix moyen. Les TGV sont en effet remplis pour moitié des cadres et professions intellectuelles qui représentent 10% de la population française7, et pour l'autre moitié d'une population qui peine à boucler ses fins de mois mais qui n'a pas le choix. En expliquant que "ce ne sont pas des trains pour les riches !", ils oublient alors que seuls 5% des voyages en train sont effectivement des trajets TGV8. C'est que la LGV permettrait de "changer la donne dans les villes autour des métropoles", comme ce fut le cas à Bordeaux lors de l'arrivée de la LGV Sud-Europe-Atlantique avec des loyers qui
atteignent aujourd'hui des sommets, et comme à Agen et Montauban où la spéculation immobilière va bon-train. "Cela va changer la vie des gens", en effet, comme pour ceux qui auront une LGV qui traverse leur commune sans s'y arrêter. Pour rappel, les LGV offriraient seulement 3 haltes sur plus de 300 km de lignes et, pour financer leur desserte, la SNCF compte encore sur les collectivités territoriales.
Un mot sur le nucléaire.
On ne peut manquer de saluer le discours pro-nucléaire, qui conçoit une "autonomie énergétique" française avec des centrales nucléaires fonctionnant apparemment par l'effet du saint-esprit. L'uranium importé de Russie ne semble pas contradictoire avec la notion d'autonomie, certes complexe dans un régime de plus en plus répressif. Cette énergie nucléaire dont la consommation pourrait grimper en flèche avec les LGV du Sud-Ouest, donc, puisque un passage de 160 à 320 km/h suppose de démultiplier la consommation d'énergie des trains. Nous ne sommes plus à une contradiction près !
Le bouquet final.
Avant d'affirmer que "rénover les lignes actuelles, ce serait beaucoup plus long et aussi beaucoup plus cher", peut-être faudrait-il présenter au scrutin une étude sérieuse des alternatives à cette ligne de grande vitesse vers Toulouse et Dax, Pau et Irun. Nous parlons ici d'un projet vieux de 30 ans dépoussiéré a l'occasion du plan France Relance, visant à construire ex nihilo 327 km de lignes nouvelles avec un plan financier bancal et un nombre d'ouvrages pharaonique, menaçant entre autres une forêt ancienne multimillénaire. C'est l'un des plus gros projets de France en termes d'artificialisation, pour servir une toute petite partie de la populations, principalement issue des grandes agglomérations urbaines.
Monsieur le Préfet : ce projet de Ligne à Grande Vitesse ne passera pas cette fois encore, c'est un projet inutile projet, ruineux et écocidaire que vous semblez vouloir imposer.
NOTES
1- Les détails du plan de financement sur lgvnonmerci.fr : https://www.lgvnonmerci.fr/index.php/financement-du-gpso/ (voire les planches d'analyse de Monsieur Patrick Vaccari, président de TGV en Albret).
2 - À titre de comparaison on compte seulement 5km de viaducs et tunnels sur la LGV Paris-Lyon, bâtie sur un sol bien moins riche en eau que celui
de la Nouvelle-Aquitaine.
3 - Voir le communiqué officiel du Conseil de l'Union Européenne. "Réseau transeuropéen de transport (RTE-T): le Conseil et le Parlement parviennent à un accord visant à garantir une connectivité durable en Europe", mis à jour en janvier 2024. Url : https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/12/18/trans-european-transport-network-ten-t-council-and-parliament-strike-a-deal-to-ensure-sustainable-connectivity-in-europe/.
4 - Voir :
- La Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore
sauvages. Url : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:31992L0043. Une synthèse de cette directive intitulée "Protéger la biodiversité en Europe (Natura 2000)" est disponible en ligne. Url : https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/protecting-europe-s-biodiversity-natura-2000.html ; - La Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire
dans le domaine de l'eau. Url : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32000L0060. Une synthèse de cette directive intitulée "La bonne qualité de l’eau en Europe (directive-cadre sur l’eau)" est disponible en ligne. Url : https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/good-quality-water-in-europe-eu-water-directive.html
5 - Ce que montre Aurélien Bigo dans sa thèse : "Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir,
technologie et sobriété, accélération et ralentissement.", CREST - Centre de Recherche en Économie et Statistique, 2020. Url : https://theses.hal.science/tel-03082127.
6 - Cour des comptes, "L’adaptation du réseau ferroviaire national au changement climatique", Rapport public annuel 2024. Url : https://www.ccomptes.fr/fr/documents/68851.
7 - Chiffres de l’Enquête 2019 auprès des voyageurs en trains à grande vitesse, un rapport de l’Autorité de Régulation des Transports (ART) à consulter en ligne : https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2020/07/enquete-tagv-2019.pdf.
8 - Voir les "Données du marché français du transport ferroviaire de voyageurs et de marchandises" publiés par l'ART sur la période 2015-2022. Url :
https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/donnees-du-marche-francais-du-transport-ferroviaire-de-voyageurs-et-de-marchandises/