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Billet de blog 3 juin 2020

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«Il pleut des sous»

Le confinement a facilité l'attribution des aides financières. Mais cette manne n'est-elle pas un cadeau empoisonné ? Déjà, les administrations ont recommencé à se renvoyer réciproquement les usagers. Déjà, l'exigence de justificatifs est réapparue. Déjà, les vannes se referment. Le réveil va être dur.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Gaëlle, assistante sociale de secteur

En cette période, avec quoi faire rimer le retour de l’État-providence : opulence ou indécence ??

Il faudra se souvenir de ces familles sans hébergement à qui il a fallu dire qu’aucune solution n’a été trouvée pour les mettre à l’abri cette nuit ; de cette femme victime de violence à qui le 115 a rétorqué qu’elle pouvait payer sa nuit d’hôtel puisqu’elle travaille ; de toutes ces situations pour lesquelles nous nous sommes battus, nous avons bidouillé, inventé, cherché mais pour lesquelles l’aspect financier de la demande s’est érigé comme un mur infranchissable sur lequel nous nous écrasions … de dépit, de dégout et d’injustice.

Et puis, il faut vivre la période actuelle et notre transformation en coordinateur, calculateur, distributeur, évaluateur de toutes ces aides appelées « Covid »… :  « CCAS Covid », « Aide Solidarité Covid », « FSL maintien Covid », « aide CCAS cantine » … Du Covid ? En veux-tu : en voilà !! Le seul ingrédient qui se cuisine à toutes les sauces et surtout politiques : l’argent.

 Alors certes, au 16 mars 2020, l’urgence alimentaire a prévalu à tout autre besoin. Pour certaines familles, nous ne pouvions que nous ravir des « pas de côté » de toutes les institutions. Ceci nous a ramené à un côté pratique, efficace et rapide dans le traitement des demandes. Enfin, la confiance était faite aux évaluations sociales orales et tant pis pour la signature du bénéficiaire, tant pis pour les justificatifs d’identité… Finis les délais de courrier et les « il manque ce justificatif ». Miracle du coup de téléphone du matin : les sommes sont versées sur les comptes ou à disposition en trésorerie municipale les bons d’achat sont disponibles dès l’après-midi.  

Miracle du Covid, dirons-nous ! De l’argent, de l’argent, de l’argent... Il pleut des sous…

Mais il est légitime de se demander s’il n’y en a pas trop, et au détriment peut-être de la fin de l’année et de l’année prochaine...

 Et puis les semaines sont passées ... Les effets politiques ont noyé l’urgence et les besoins ... et les aides se sont multipliées, le système s’est durci et complexifié.

« Allo, le CCAS. Ah non ! faut demander au département avant ... »

« Allo, le département. Ah non il faut demander à la CAF avant … »

« Allo, la CAF. Toutes les lignes de votre correspondant sont saturées … BIP BIP BIP »

Nous voilà transformés en comptable pour trouver des barèmes, des coefficients familiaux, des taux d’effort (et que je multiplie par 100 et divise par le revenu et que je rapporte en pourcentage...). Il n’a jamais été facile de procéder à une répartition équitable de l’argent, j’en suis convaincue. Mais comment mettre en valeur au-delà de ces savantes formules, des besoins réels des familles quels que soient leur statut, leur relation à l’emploi, à la santé, au bénéfice de prestations sociales ?  Comment faire pour ne pas renforcer les injustices et les dichotomies si faciles, renforçant les discours sombres et négatifs sur les « profiteurs », les « assistés » ... J’entends et j’écoute les collègues : aide-t-on les familles qui en ont le plus besoin ? Et comment feront les familles après cette période d’opulence ? Quelle sera notre légitimité à dire que les vannes sont fermées ? L’argent actuel ne serait-il que la façade des enjeux politiques actuels, des élections en suspens, des failles de l’État à faire oublier ? Nous laisserons nous acheter si facilement ? N’oublions pas qu’il nous faudra avoir le cœur et le moral bien accrochés l’hiver prochain, quand il s’agira de refermer la porte du bureau et de remettre à la rue les familles dans le besoin.

  Vous pouvez retrouver ce témoignages et bien d’autres sur notre site : www.lien-social.com 

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