Liliane Baie
Abonné·e de Mediapart

191 Billets

17 Éditions

Billet de blog 2 janv. 2023

Liliane Baie
Abonné·e de Mediapart

D'une gifle et de la démocratie médiatique

Est-il judicieux de reparler d'un fait dont je trouve qu'on parle trop et mal? Peut-être, si je parviens à traduire ce que m'évoque le retentissement médiatique de "l'affaire Quatennens" et, notamment, ce que cette effervescence médiatique dit de notre vulnérabilité à la communication d'influence.

Liliane Baie
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand j'étais étudiante et souhaitais découvrir le monde, j'achetais régulièrement, au hasard, un journal dont je ne savais rien. C'est ainsi que j'ai découvert le journal de la Ligue communiste « Rouge ».

A la lecture de ma nouvelle acquisition, quelle surprise de constater qu'une grande partie du contenu, au lieu d'insister sur les valeurs de l'extrême-gauche, son projet, les ennemis de classe etc. consistait à taper sur un autre groupuscule d'extrême-gauche dont je n'avais jamais entendu parler.

Je me suis dit, à l'époque « Avec ce genre de méthode, la révolution prolétarienne n'est pas prête d'arriver... ».

Depuis, j'ai toujours constaté que la gauche, à part quelques exceptions type « Programme commun » ou « Nupes », passait le plus clair de son temps à se diviser et se tirer des balles dans les pieds, comme si son but profond était de ne pas acquérir le pouvoir.

A droite, ils sont plus malins. Ils se tirent dans les pattes aussi, mais entre soi. Devant les caméras et dans les échéances électorales, ils nous servent une union qui, pour n'être que la voie finale commune du meilleur intérêt de chacun, présent et à venir, n'en a pas moins une efficacité devant les électeurs qui ne se dément pas. C'est vrai que les hommes et femmes politiques de droite sont aidés par des troupes de communicants qui les orientent dans le bon sens et les aident à faire taire leurs égos, par ailleurs démesurés. C'est vrai aussi que les journalistes, dont un bon nombre est employé par des médias aux mains de grands groupes choyés par le pouvoir (et vice-versa) savent faire monter la sauce de tout "évènementicule" défavorable à la gauche, tout en faisant passer dans les oubliettes journalistiques les vrais, et nombreux, problèmes de la droite (si l'on considère comme moi que notre président est de droite et mène une politique de droite).

La question ainsi posée, revenons à la gifle.

Précisons d'abord que je ne suis pas une « féministe, mais... » je suis une féministe, point. Je ne suis pas plus pour la violence conjugale que pour les châtiments corporels. En revanche, je sais qu'il y a une différence entre un unique geste agressif qui n'a pas de conséquence physique, qui est reconnu et regretté par son auteur et des violences répétées ou un acte violent unique mais grave. A ce titre je conseille vivement la lecture du livre de Marie-France Hirigoyen « Femmes sous emprise, les ressorts de la violence dans le couple » chez Oh ! Éditions ou aux Editions pocket. C'est cette lecture qui m'a fait comprendre la problématique de la violence conjugale et de l'emprise dans le couple. Pour résumer, ce que l'on constate, dans la processus d'emprise, c'est que son évolution est progressive et qu'elle commence longtemps avant le premier coup . Ce qui fait que ce premier coup est implicitement accepté par la victime, car celle-ci a déjà été conditionnée par les attaques psychologiques antérieures qui l'ont amenée à penser qu'elle mérite cette agression. Pour faire bref, ces attaques consistent en une succession de survalorisations et de dépréciations, ces dernières devenant de plus en plus fréquentes et graves au fil du processus de mise sous emprise tandis que la survalorisation devient de plus en plus rare, et que la victime perd ses repères et devient de plus en plus stressée et centrée sur les réactions de son futur bourreau.

Est-ce que la gifle donnée par Adrien Quatennens à sa compagne était un geste lié à un processus de ce type, ou un geste isolé lié à l'exaspération d'une séparation qu'il ne souhaitait pas ? Si l'on était dans le premier cas, ce serait très grave parce que l'agresseur serait un homme violent et dangereux pour sa victime, à la fois dans le risque vital qu'elle courrait et dans l'atteinte psychologique qu'elle subirait, avec auto-dévalorisation, sentiment de culpabilité, dépression, risque de passage à l'acte suicidaire, etc. Dans le deuxième cas, le sentiment de culpabilité de l'agresseur, ses remords et son envie de réparation devraient au contraire inciter à la clémence.

La justice a, me semble-t-il, tranché entre les deux : pas de non-lieu, une peine de 4 mois avec sursis, et 2000 euros de dommages et intérêts. Manifestement le juge n'a pas considéré que l'élu LFI constituait un danger pour sa femme (pas de mesure d'éloignement) mais qu'il était allé trop loin, ce que personne ne conteste.

Le groupe de La France insoumise auquel appartient le député a doublé la peine de celui-ci d'une exclusion temporaire de sa fonction de député, et d'une obligation de suivi d'un stage de responsabilisation sur les violences faites aux femmes. L'ensemble des mesures me semble juste, et plus sévère que nombre de décisions de justice concernant les violences faites aux femmes.

Ces peines se doublent du cataclysme médiatique qu'a vécu ce jeune député qui était encore, il y a peu, plein d'avenir.

Alors quoi ? Pourquoi un grand nombre de politiques et de journalistes se sont-ils rués sur le cas Quatennens comme s'il s'agissait d'un monstre qui révélait sa face sombre ? Pourquoi tous se relaient-ils pour le faire démissionner de son poste de député alors que des ministres sont et restent en place malgré des mises en examen pour suspicion d'actes graves concernant leur ministère ? Pourquoi a-t-on, par exemple, très peu parlé de la peine de prison ferme récemment appliquée à Claude Guéant, ancien ministre de l'intérieur de Nicolas Sarkozy, ou de l'audience en appel récente de ce dernier qui lui fait encourir, lui aussi, de la prison ferme. Sans compter les déboires judiciaire d'Alexis Kohler, mis en examen pour prise illégale d'intérêt et placé sous le statut de « témoin assisté » pour trafic d'influence. Ce dernier est toujours en poste et cela ne dérange personne ?

Poser la question, c'est y répondre, au moins en partie. Si l'auteur de la gifle avait été de droite, je doute que l'on eût usé vis-à-vis de lui d'autant de fermeté médiatique.

Quant au tollé suscité par cette histoire dans les rangs féministes, je dirais: « Faites attention, mes sœurs ! ».

En effet, à trop vouloir charger et punir l'auteur d'une gifle ponctuelle, en l'assimilant à de la violence conjugale habituelle, on risque paradoxalement d'amoindrir cette dernière, avec les risques majeurs qu'elle impose à la victime. Il n'y a pas de commune mesure entre ces deux situations, à moins que nous n'ayons pas accès à des faits justifiant l'intégration de l'attitude d'Adrien Quatennens dans cette seconde catégorie. Les victimes de violence mettent, souvent, des années à porter plainte, si encore elles le font, car elles ont été conditionnées à s'attribuer la responsabilité de cette violence, et à avoir honte. C'est le mécanisme psychologique de l'emprise qu'il faut décrypter, ainsi que l'influence majeure et toxique du patriarcat qui continue de polluer l'esprit de nombreuses personnes (ce qui peut se traduire par « Si c'était si grave, elle aurait dû porter plainte avant ») et contribue à diminuer la pénalisation des hommes violents et donc la protection de leurs victimes. Il est normal de sanctionner un abus, mais il est urgent d'aider les femmes (ou les hommes) à sortir de l'emprise et d'intervenir très rapidement en cas de danger. En effet, avant d'être capable de porter plainte, il faut sortir de l'emprise, et c'est très difficile puisque les personnes qui sont sous emprise ne le savent pas! Il convient de plus de mettre en place des actions multiples pour faire baisser le nombre des passages à l'acte des hommes potentiellement violents. Et cela passe par la pénalisation du premier coup, mais pas seulement.

Appliquer la même peine à des délits de gravité tellement différente ne peut qu'entrainer de la confusion. La justice applique un principe de proportionnalité, et c'est heureux, sinon il suffirait d'un petit écart pour voir la vie de quelqu'un entièrement gâchée et, pour les victimes, si des blessures graves et répétées étaient sanctionnées de la même façon qu'une gifle donnée dans un moment de crise, cela n'aurait plus de sens. Quant à l'éventuel effet dissuasif : si la tradition populaire dit « Qui vole un œuf, vole un bœuf » on comprend néanmoins que, pour le potentiel criminel, si deux passages à l'acte de gravité très différente sont punis de la même façon, autant aller à fond dans le crime.

Enfin on pourrait évoquer l'effet incitatif d'une sanction sévère : comme un message envoyé aux victimes, message qui leur dirait que c'est possible et efficace de témoigner de ce qu'elles ont subi. Mais je crains que, si la peur et le sentiment de culpabilité sont toujours présents, ces sentiments continuent d'agir malgré ces beaux exemples, augmentant encore l'auto-culpabilisation de la victime, qui n'a peut-être pas envie d'empêcher son conjoint de travailler.

Alors, en quoi serait-il nécessaire d'aller tellement au-delà de la punition infligée par la justice ? Pour une question d'exemplarité ? Mais enfin, qui peut se targuer d'être exemplaire dans sa vie privée ? A mon avis, pas plus les hommes et femmes politiques que chacun d'entre nous...

Enfin ne négligeons pas l'aspect politique de cette question. S'il est hors de question de glisser ce genre de faits sous le tapis, à qui rend-on service en organisant des tribunes à l'intérieur de la gauche, et plus particulièrement de la France insoumise, pour savoir si Adrien Quatennens doit démissionner ou pas ? Que je sache, je n'ai pas vu un tel questionnement pour le député Benoît Simian. Qui tire des bénéfices de ces discussions et conflits étalés sur la place publique? Ne voit-on pas le chiffon rouge qui est agité devant nos yeux ? Que nos adversaires politiques s'emparent tant que faire se peut de ce sujet, c'est compréhensible, et ils le feront pour d'autres qui seront défavorables à telle ou telle figure de la gauche (rappelons-nous de "La République c'est moi" passé en boucle sur tous les supports médiatiques). Mais au sein de la gauche, à quoi sert cette exposition? La faiblesse des démocrates, c'est l'envers de leur force, c'est qu'ils acceptent la contradiction et sont ouverts à la critique et à l'auto-critique : l'autre a son mot à dire, en démocratie. Mais il faut savoir ne pas laisser cette valeur contribuer à l'autodestruction de celui qui en est porteur.

Discuter publiquement de l'éventuelle exclusion d'Adrien Quatennens? A l'heure du démantèlement par le président et ses sbires de tous les acquis sociaux et de la casse absolue des services publics, au moment où le gouvernement utilise sans vergogne le 49.3 de façon répétée pour s'asseoir sur les votes majoritaires de l'Assemblée et donc détruire un peu plus notre démocratie représentative, avec l'attaque imminente et définitive de notre régime de retraite, n'a-t-on pas, nous, peuple de gauche, mieux à dire et à faire ?

Est-on vraiment devenus si cons ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte