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Billet de blog 2 avril 2018

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Marche en avant du macronisme : un pas de trop?

Est-ce d'avoir négligé le fait que les étudiants représentent une force incontrôlable ? D'avoir sous-estimé l'attachement des cheminots à leur vieille entreprise publique ? D'avoir négligé que les salariés privés, d'Air-France ou de Carrefour, pouvaient eux aussi faire grève ?

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Est-ce la somme de tout cela ou la cause de ces erreurs de jugement qui peut conduire à un printemps social dont on sent poindre les prémisses ?

Personnellement, je pencherais plutôt pour une cause structurelle. Le macronisme peut être considéré, selon moi, comme l'enfant illégitime d'une politique néo-libérale débridée, et brutale, et d'une propagande à peine moins caricaturale que celle de l'URSS vantant le socialisme triomphant tout en cachant les tragiques dérives staliniennes et l'échec économique de sa politique.

Il n'est pas ici nécessaire de rappeler que toutes les réformes, ou presque, de ce gouvernement sont faites au nom d'un pragmatisme économique qui serait censé apporter richesse et sécurité au peuple. Ou amélioration de la place de notre pays dans le concert des nations. Un exemple : assouplir le droit à licencier pour les employeurs devrait sauver l'emploi car cela permettrait à ceux-ci d'embaucher davantage. Permettre de licencier diminuerait le nombre de chômeurs : c'est beau comme du Raymond Devos.

Ainsi la réforme de la SNCF, qui pose des échelons vers une privatisation, est présentée comme la seule façon de se maintenir face au privé qui vient. Or on sait que donner aux entreprises publiques des contraintes de rentabilité (et des pratiques managériales) qui sont celles du privé, tout en conservant leurs exigences de service public est un non-sens qui ne peut parvenir qu'à l'effondrement de ces entreprises : cf l'hôpital, l'université, Pôle emploi... Si le but est que celles-ci tombent ensuite entre les mains des goulus du CAC 40, c'est bien vu. Sinon...

Je dirai juste un mot de la question d'un programme au nom de quoi un candidat aurait été élu alors que celui-ci a été élu pour empêcher la candidate du FN d'arriver au pouvoir, et alors que son score de premier tour ne dépassait celui des autres que de quelques petits pourcentages... Un programme est ainsi appliqué au nom du soi-disant vouloir du peuple français alors que si ce candidat avait dit dans son programme que désormais toutes les voitures seraient peintes en bleu on aurait voté pour lui quand même ( les trois candidats qui le suivaient dans les sondages auraient gagné contre Marine Le Pen au second tour… ).

Donc, je ne décrierai pas toutes les réformes et leur sens. Ceux qui savent vers où tout ça va, me comprendront. Pour les autres, victimes de la communication gouvernementale, leur cas est (presque) désespéré.

Non, je ne veux pas faire un texte sur la marche triomphale du macronisme, mais introduire la question de la chute qui vient.

« La vérité, c'est qu'il y a une quantité incroyable de gouttes qui ne font pas déborder le vase » citation de Émile Ajar (Romain Gary) mise en exergue par le Pr A Pelissolo dans son livre « Vous êtes votre meilleur psy ».

Les gouttes tombent, une à une ou en rafale, sur toute la surface du vase de nos vies et de notre pays. Pas une accalmie, pas une trouée dans le ciel apportant le soleil. Le temps est à la désespérance. Les parents sont inquiets pour l'avenir de leurs enfants, craignant davantage pour eux un déclassement qu'ils n'espèrent une éventuelle ascension sociale. Ils souffrent pour leurs aînés en EHPAD, redoutent leur propre devenir et craignent le chômage, désormais sans illusion sur les conditions de leur future retraite. Les citoyens savent que le compte-à-rebours climatique a commencé et que les multinationales usent et abusent du pouvoir d'empêcher les mesures nécessaires pour arrêter la catastrophe qui vient. Les symptômes écologiques sont au rouge mais les règles internationales sont votées sous la pression des lobbies qui continuent d’abîmer la planète.

Les gouttes tombent, et nous ne réagissons pas, ou peu. Parfois, nous nous sentons coupables de ce qui nous arrive, en particulier au travail, puisque le management toxique, comme la communication gouvernementale, vise à culpabiliser les victimes du mal qui leur est fait. C'est tellement facile et vieux comme le monde. J'appelle ça la théorie de l'esclavage : pour mettre quelqu'un en esclavage on le convainc qu'il mérite son sort. Et pour cela, on le maltraite en lui faisant bien sentir qu'il est minable et coupable : responsable, donc, de ce qui lui arrive. La position où est mis cet esclave en devenir est traumatique, il n'attaque plus : il est en situation de défense de son moi malmené et s'auto-accuse. Il fait de l'identification à l'agresseur, comme l'a décrit S Ferenczi à propos des abus sexuels vécus dans l'enfance ( dans « Confusion des langues entre les adultes et l'enfant » texte ici, dans psycha.ru, mais aussi la psychologie contemporaine dans le « Syndrome de Stockholm » ici, sur Wikipedia). Ceux qui ont vécu des abus de pouvoir pervers savent bien qu'il faut longtemps, et souvent de l'aide extérieure, pour trouver la force d'identifier la malignité de l'autre et s'en sortir. Et, pour cela, il faut aussi surmonter une peur qui est très souvent induite par ceux qui entendent mettre autrui en esclavage ou en état de sujétion.

Donc les gouttes tombent, prêtes à nous engloutir. Mais pourquoi le pouvoir ne sent-il pas le moment où il faut ralentir la cadence ? Pourquoi le mari violent donne-t-il le coup de trop ? Pourquoi le gourou se permet-il l'ultime exigence qui va lever le voile sur sa perversité aux yeux de l'adepte jusque-là conquis ?

C'est ce qui est intéressant et qui, à moi du moins, donne un peu de lueur et d'espoir à ce tableau tragique...

C'est que les systèmes pervers, et ceux qui en adoptent les stratégies d'emprise sous couvert de « comm' », vont toujours trop loin. Souvent ivres d'eux-mêmes, méprisant en général leurs victimes, leurs représentants ont besoin de l'adrénaline qu'apporte chaque jour le tour de vis supplémentaire qu'ils donnent à ceux qu'ils soumettent. Ici, on est aux confins de la jouissance et de la bêtise : les abuseurs, de structure ou de circonstances, abandonnent le plus souvent toute pensée complexe. Ils ne sont plus capables de penser le couple pouvoir-contre-pouvoir, ils deviennent (ou ont toujours été) incapables de se mettre à la place de leurs victimes. Pour pouvoir instrumentaliser celles-ci, ils leur donnent un statut de sous-homme, ou de chose, ou de quantité, il les méprisent réellement de se laisser faire par eux. Donc, ils sortent de la réalité. Parfois, c'est le fait qu'ils ne veulent pas affronter les conséquences morales de leurs choix qui les pousse dans une marche en avant aveugle. Sans que l'on en soit là dans le domaine de notre politique, on observe néanmoins un réel détachement des élites de la réalité vécue par les citoyens : tant que ça marche, on continue, sans entendre les signaux de la France qui souffre ou des citoyens du monde qui souffrent, sans que la question de leur culpabilité ne se pose jamais. Dans l'entre-soi du pouvoir, j'imagine qu'on se congratule de tant d'efficacité. Mais la réalité est là, elle insiste.

Et, un jour, celle-ci leur reviendra dans la figure : c'est le jour de la dernière goutte. Le jour où l'humanité se réveille chez les victimes, jour où celles-ci s'unissent parce que l'être humain, c'est ça, cette capacité à s'unir pour lutter contre l'adversité. Et, à force de promouvoir l'individualisme, les apprentis sorciers qui nous gouvernent, ici comme ailleurs, oublient que l'on ne change pas la nature de l'homme : plus la force d'écrasement est grande, plus la force d'opposition collective sera forte, un jour.

Est-ce que ce jour est arrivé ? Je ne sais pas.

Mais je sais qu'il viendra.

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