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Billet de blog 2 novembre 2008

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Puisqu'on vous dit de vous taire !

Je voudrais apporter ma contribution à l'analyse d'un phénomène qui ne cesse d'avoir des conséquences graves, risquant fort nous mener à la catastrophe : je veux parler de notre passivité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je voudrais apporter ma contribution à l'analyse d'un phénomène qui ne cesse d'avoir des conséquences graves, risquant fort nous mener à la catastrophe : je veux parler de notre passivité.

Est-elle récente, cette inertie qui nous fait accepter le laminage progressif des acquis sociaux et des dispositifs garantissant notre liberté d'agir et de dire? Inertie qui nous laisse sans beaucoup de réactions devant la succession des plans de licenciements conduisant au malheur de tellement de familles, tandis que les fonds de pension, eux, engrangent les bénéfices dont le taux exagéré crée ces faillites gangrénant notre économie. Inertie qui nous fait accepter les coupes sombres dans les budgets des aides publiques, et, en même temps, le développement d'avantages aux personnes les plus aisées.

De mon point de vue, elle n'est pas récente, cette inertie, mais elle s'aggrave. Et elle n'est ni le fruit du hasard, ni la simple manifestation de la fin décadente de nos vieilles civilisations.

Non, cette passivité est la conséquence de faits différents, convergeant vers un résultat unique : surtout ne rien dire, et ne rien faire. Ces faits tiennent à la fois à des choix politiques effectués depuis longtemps, et à des stratégies délibérées, et plus récentes, de musellement de l'opinion et de la presse.

Mais toutes ont un point comment, le mépris du citoyen, considéré comme une oie à manipuler pour le conduire à voter dans le sens que l'on souhaite. C'est là que la démocratie montre sa limite : le suffrage universel est une fort bonne chose, mais, quand il s'agit de la détourner par des tactiques de manipulation de masse visant à amener le peuple à tendre, en même temps que la main portant son bulletin électoral, son cou pour se faire plumer, on en vient à se demander s'il ne faudrait pas inventer d'autres modes de gestion du pays...

Comment tout cela a-t-il commencé ? Chute du mur de Berlin et faillite des tentatives de régimes prônant la dictature du prolétariat ? Défaut d'élaboration d'une idéologie remplaçant le système patriarcal d'avant soixante-huit ? Et, plus globalement, stérilisation d'une pensée spirituelle et humaniste qui n'a su remplacer le support religieux par rien de très cohérent ? Il s'agit, donc, d'une crise morale, ayant fait perdre aux gouvernants la notion d'une responsabilité qui dépasse de loin la durée de leur mandat électoral, et les engage pour l'avenir des hommes et de la planète, mais surtout, d'une crise nous ayant conduit à abandonner nous-mêmes toute velléité d'exiger cela d'eux.

Cette absence de substrat à une vision morale de l'art de gouverner a permis la diffusion de discours et d'idées sciemment calculées pour endormir l'électeur consommateur. Que les personnes qui sont à l'origine de ces messages y croient ou pas, n'est pas la question. Dans la vente, on sait qu'un représentant est d'autant plus convaincant qu'il est convaincu. La propagande commence donc par de l'auto-propagande, et l'endoctrinement de l'entourage proche. Ensuite, les idées diffusent, relayées par les personnes-mêmes qui les combattent.

Quelles sont ces idées ? Maintenant, c'est un peu plus facile de le dire. Mais il y a quelques mois, on était vite qualifié de complotiste si on expliquait que nombre des messages qui étaient répétés dans les médias n'avait pour seul but que de nous donner envie de nous endetter, de consommer toujours plus, quitte à nous retrouver en faillite personnelle en cas de perte d'emploi. Risque dont on nous expliquait, de tous côtés, qu'il était la contre-partie inévitable d'une mondialisation des échanges que l'on ne pouvait refuser sans risquer de passer à côté de la prospérité générale. La mondialisation était présentée comme un Dieu tout-puissant, au nom duquel tous les sacrifices devaient être faits. Les indices boursiers étant les signes de la satisfaction ou du mécontentement de notre idole.

C'était comme pour le traité européen : il n'y avait pas de plan B. D'ailleurs, parmi les idées de propagande, autant diffusées à gauche qu'à droite, il y avait celle-ci : le vote ne sert à rien, quand on est au pouvoir on n'a aucune marge de manœuvres. Idée qui permet de décourager en priorité ceux qui ont envie de changement.

Maintenant, donc, on commence à lire, tout au moins ici, sur Mediapart, le mot de propagande. Il faut dire que les ficelles deviennent très grosses.

L'une d'entre elles, très évidente, est de proclamer exactement l'inverse de ce que l'on fait. Par exemple, le fait d'appeler « États généraux de la presse », avec une référence implicite à l'avènement de la révolution française, quelque chose qui est une promotion par l’État d'une concentration accrue de l'information dans les mains des puissances d'argent. Cette seule dénomination est chargée de ce paradoxe qui rend la pensée confuse. Cependant, l'histoire a montré que les États-généraux pouvaient parfois déboucher sur autre chose que ce qui était prévu par leurs organisateurs...

La convocation dans le discours de mentions défendues par l'adversaire est actuellement si fréquente que l'on peut soupçonner certains de passer leur temps à analyser les discours de la gauche pour en récupérer les idées. Tout au moins, l'expression des idées. Parce que, dans les faits, il s'agit plutôt de les dévoyer...

Cette stratégie, visant à vider la parole de l'autre de son sens en la ponctionnant à son profit, fait partie de toutes les stratégies de la pensée perverse qu'utilise la communication d'influence. Un des aspects, insidieux mais très efficace, de la propagande, est le développement volontaire d'un climat d'insécurité. Celui-ci favorise l'adhésion aux idées officielles pour se rassurer du fait d'être groupés, et éviter d'être rejeté pour sa différence, ou sa pensée contestataire.

Depuis des années, on entend parler de notre société de consommation. Moi, j'évoquerais davantage une société de manipulation. La stratégie publicitaire a tellement envahi notre vie que nous ne nous permettons plus d'avoir de recul par rapport à elle, refusant de voir notre propre aliénation. C'est le cas de tous les phénomènes d'emprise, qui ne perdurent que parce que la personne sous emprise ignore qu'elle l'est. C'est vrai pour les cas graves des individus embrigadés par une secte, pour les femmes battues continuant à aimer leur bourreau, mais aussi pour l'endoctrinement soft qui nous conduit à consommer pour obtenir un bonheur toujours à venir, créant par-là même une difficulté quotidienne croissante. Or, il est désagréable, voire humiliant, de reconnaître que l'on s'est fait manipuler. D'où l'efficacité de toutes ces tactiques : quand on a commencé à entrer dans le système, difficile de vouloir regarder la réalité en face. Seule, une prise de conscience collective facilite la désaliénation.

Dans l'enseignement, on a proscrit l'enseignement de la morale, comme si celui-ci risquait d'aboutir à une aliénation de l'élève aux convictions des enseignants ou à la propagande gouvernementale. Or, je pense qu'un enseignement d'une morale républicaine et humaniste ne serait pas superflu, surtout s'il s'accompagnait d'une information sur les tactiques de manipulation, et d'une transmission des valeurs fondatrices de notre république, à commencer par la liberté et le respect de l'autre.

Ce n'est pas parce que l'on se croit libre qu'on l'est. « J'arrête quand je veux! » dit le toxicomane. « Je fais ce que je veux! » dit le consommateur en poussant son caddie remplit de produits inutiles. « Je vote pour qui je veux! » dit le téléspectateur effrayé par les informations alarmistes et qui va avoir un vote sécuritaire contraire à ses idées politiques.

Dés 1928, Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud, avait posé les bases des mécanismes qui nous font maintenant accepter l'inacceptable : on trouve une présentation de son livre "Propaganda", paru en 1928, et le texte lui-même en accès libre ici, sur le site des Éditions Zones.

Sans liberté de conscience, la liberté individuelle n'existe pas. Sans prise de conscience des tactiques d'emprise, pas de liberté de conscience, ni de liberté d'agir.

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