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Billet de blog 3 novembre 2018

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A gauche, pourquoi tant de haine? Ou cinquante nuances de rouge...

Beaucoup de choses distinguent la gauche de la droite, tant au niveau de la conception politique et de la hiérarchie des valeurs, que du programme et des méthodes. Mais force est de constater qu'une chose essentielle distingue aussi ces deux mouvements : l'efficacité électorale. Et ce qui est en train de se passer dans le reste du monde ne peut que nous en convaincre.

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A gauche, pour un seul « programme commun », combien de divisions suicidaires ? Tandis que les dirigeants de droite savent à peu prés taire leurs différences et leurs rivalités dans un but électoral, les leaders de gauche semblent au contraire profiter de ces échéances pour faire savoir à quel point ils ne sont pas d'accord entre eux. Mais, et c'est encore pire et lourd de conséquences, les citoyens de gauche eux-mêmes en arrivent à une détestation de personnes qui sont grosso modo de leur bord, allant jusqu'à ne pas voter ou voter contre eux, ce qui contribue largement à la non-accession d'un (vrai) mouvement de gauche au pouvoir.

Or nous vivons un moment où il serait plus qu'urgent que la gauche prenne le pouvoir et remette en place un régime social et redistributif, démocratique et libre de l'influence des puissances d'argent, et cherchant à développer le pays dans un sens respectueux de l'avenir des hommes et de la planète. Le pouvoir exorbitant laissé aux banques par les dirigeants successifs et par l'Europe telle qu'elle a été construite nous conduit à une catastrophe sociale et écologique dont on ne vit que les prémisses et qui s'accélère très vite. Alors qu'il faudrait un rétro-pédalage, les grandes puissances, et notre gouvernement avec elles, appuient sur le champignon d'une pseudo-croissance qui développe la production industrielle à seule fin d'augmenter les dividendes des capitalistes, en dégradant les conditions de vie des salariés et des pauvres pour les rapprocher de ceux qu'ils vivaient au 19ième siècle, tout en détruisant les réserves d'énergie, la faune et la flore, ainsi que le climat.

Donc tous les gens qui partagent ce point de vue devraient s'unir pour tenter d'enrayer ce mouvement et, surtout, puisque c'est un des seuls leviers démocratiques qui nous reste, devraient voter comme un seul homme pour le programme dont ils partagent le projet.

Et pourtant non, ce n'est pas ça qui se passe. Pourquoi ?

Jeune étudiante, et désireuse de découvrir le monde, j'achetais chaque semaine un journal différent par curiosité. Un jour, j'ai acheté « Rouge ». Et j'ai été fort étonnée de constater qu'une grosse partie du contenu éditorial consistait à attaquer un autre mouvement d'extrême-gauche.

Nous en sommes toujours là. Autour de moi, mais dans les médias de gauche aussi, les sympathisants de cette couleur politique, disons de rose foncé à rouge, tirent à boulets rouges (!) sur des dirigeants de leur couleur. Enfin, « de leur couleur » n'est pas tout-à-fait exact, puisque justement, le problème, c'est la nuance. A gauche, on aime la nuance, on l'adore. On s'y reconnaît, on la revendique. Et donc on attaque la nuance proche, toute proche.

Ou alors, on attaque celui qui a exactement la même nuance, mais qui a des caractéristiques qui ne nous conviennent pas : trop discret, trop m'as-tu-vu, « On l'a vu parler avec quelqu'un du PR », ou... trop en colère... Ainsi, le pire ennemi d'un homme ou d'une femme politique, à gauche, c'est son frère (ou sa sœur). Je ne donnerai pas d'exemple : outre le dernier en date qui a fait le bonheur des gazettes (pardon, des médias) ils sont légions. A droite non ? Non, pas tout-à-fait. Ni les dirigeants, qui savent ce qu'une alliance politique veut dire, ni les sympathisants, ne perdent autant d'énergie, et de voix potentielles, à mettre leurs différents sur la place publique. Et sur le plan électoral, leurs électeurs se drapent rarement dans une cape de pureté fort délétère comme peuvent le faire nombre d’électeurs potentiels de gauche, amenant ces derniers à ne pas voter (« Jamais je ne cautionnerai « Untel » ») quitte à laisser du coup un boulevard à la droite (officielle-PR ou cachée-LREM).

Mais pourquoi ? Étant plutôt complotiste, je ne refuserai pas d'emblée l'idée de l'entrisme. Je l'ai vu, je sais que cela existe, et que certains mouvements s'auto-sabordent sans réaliser qu'ils ont été subtilement poussés par des injonctions dont ils n'ont pas repéré l'origine (ainsi, je me méfie des conseils à l'abstention sur les forums de gauche en période pré-électorale).

Mais je crois que le problème est bien plus important, et qu'il a trait à l'idéologie de gauche.

Avoir des idées de gauche, c'est, souvent, avoir un idéal. C'est penser qu'en si mettant à tous, on peut rendre le monde meilleur. C'est croire que les petits, s'ils s'unissent, peuvent gagner contre les gros, le peuple contre le 1% . Être de gauche, c'est souvent partager un idéal humaniste : en même temps être lucide sur les forces en présence et la lutte des classes, et optimiste sur la capacité à faire advenir des forces s'opposant à ce système.

Mais, on le sait, la vie n'est pas humaniste, et fonctionne plutôt selon le principe de la loi de la jungle : les plus forts utilisent la force des plus faibles et essaient d'avoir un profit maximum. Pour lutter contre l'abdication à ce principe général, il faut armer son idéal, lui donner de la force. Et, pour cela, il y a les théoriciens, donc les lectures, mais aussi il y a les hommes, ceux qui arrivent à nous donner l'espoir qu'on peut lutter contre les puissants et leur tentation hégémonique.

Je fais l’hypothèse que, sans cet idéal, et sans des hommes pour le porter, il n'y a pas de gauche possible (c'est ce qui est arrivé au PS). Mais aussi que c'est la présence nécessaire de cet idéal qui est le talon d'Achille des mouvements de gauche.

En effet c'est, selon moi, parce que l'on croit à un idéal que l'on va être blessé par tout ce qui va mettre à mal cet idéal. Et, par exemple dans les mouvements politiques, ce sont les adhérents eux-mêmes qui vont chercher des poux à leur représentants, ce que les adhérents des parties de droite font beaucoup moins.

Ces querelles intestines, à l'intérieur des partis, nuisent à leur image (voir Europe-Ecologie-lesVerts) mais elles se constatent aussi dans toute la population de gauche (« Ah non, moi je ne voterai jamais pour un homme qui gueule comme ça ! » à propos de Mélenchon, de la part de quelqu'un qui partage entièrement les idées de la France Insoumise). Et c'est cette infrastructure qui donne son efficacité à la propagande médiatique de droite managée par les grands groupes ( le lynchage médiatique de Mélenchon lors des perquisitions que lui et son mouvement ont subies).

D'où vient le fait qu'être porté par un idéal peut conduire à s'empêcher d'agir dans le sens de son idéal ?

Selon moi, cela vient d'une confusion entre idéal et projet. L'idéal, c'est la vision à long terme. Ce dont on sait, ou dont on devrait savoir, qu'on ne l'atteindra jamais, la ligne d'horizon. Le projet, c'est l'ensemble des choses que l'on peut mettre en place pour aller dans le sens de cet idéal, s'en rapprocher. Sachant que les hommes sont faillibles, que le mal existe, et que les forces s'opposant à l'idéal sont puissantes.

Considérant que l'idéal n'est pas de ce monde, on devrait être moins déçu de telle ou telle faille des leaders, ou moins furieux contre les tenants d'une autre théorie de gauche qui essaient aussi d'avancer dans le même sens, mais pas exactement sur le même chemin.

Un peu de pragmatisme et de lucidité devrait nous faire comprendre que le plus important, c'est de lutter contre les forces capitalistes qui détruisent la planète et créent du malheur, alors que les progrès du 20ème siècle nous permettraient amplement de vivre tous ensemble sans personne qui meurt de faim, et d'utiliser nos énergies conjuguées pour arrêter le désastre écologique en cours.

Mais pour cela il faut faire un vrai travail de différenciation, que le peuple de droite a moins à faire puisqu'il est moins que celui de gauche au prise avec un idéal. Il faut différencier idéal, indispensable pour orienter la direction de nos actions, et projet, considération lucide de ce que l'on veut mettre en place, pragmatiquement, pour aller dans le sens de cet idéal.

Et il faut aussi arrêter de déifier les hommes, fussent-ils talentueux. Un homme est un homme, avec ses forces et ses faiblesses. S'il peut porter un mouvement dans le sens que l'on trouve bon et juste, tant mieux. De là à le prendre pour un demi-dieu, et être déçu de tout ce qui prouve qu'il n'en n'est pas un... Ne serait-ce pas un reste de nos idéaux d'adolescent qui vient se porter là, d'une façon dont j'espère avoir montré qu'elle est, non seulement décalée de la réalité, mais en plus un élément de l'auto-destruction de la gauche, ici comme ailleurs (d'où le succès des accusations de corruption contre les dirigeants de gauche, méthode très employée dans plusieurs pays, succès dû, non à la véracité des accusations, mais à la déconsidération de ces dirigeants qui en résulte dans les peuples de gauche) ? Mais peut-être est-ce moins facile de lutter en restant lucide sur la faillibilité des hommes et le côté partiel et aléatoire du résultat, que de se leurrer en y croyant à fond, alors que c'est pourtant ce leurre qui entraîne beaucoup des désillusions freinant gravement l'avancée des forces de gauche.

J'espère que nous saurons, collectivement, faire le tri entre ce qui est important, s'opposer à la course en avant d'un capitalisme mortifère destructeur de démocratie, et ce qui est secondaire, les différentes nuances de rouge, et la faillibilité des leaders. Franchement, pour l'avenir de nos enfants et de la planète, je nous le souhaite.

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