Huit. Ils sont au nombre de huit, les livres que me conseille aujourd'hui mon libraire en ligne préféré.
Enfin, « préféré », c'est une façon de parler : si je suis apparemment moi-même l'objet de l'attention presque exclusive de ce libraire virtuel ( c'est du moins l'impression qu'il veut me donner) je lui préfère quant à moi ceux que je fréquente depuis des lunes, dont je connais les magasins par coeur, et avec lesquels je sais partager un amour immodéré de la lecture. Avec eux, mes « vrais » libraires, j'échange sourires et conseils, et ils peuvent parfois me dénicher des titres improbables. Je sors souvent de leur boutique le sac alourdi de plusieurs volumes, et aussi fière de moi que si j'avais trouvé un champ de cèpes au détour d'un chemin forestier...
Donc, tentant de rivaliser avec ses frères de chair et de sang, mon libraire virtuel se pique désormais de me donner, lui aussi, des conseils.
Parfois il tombe juste, ou presque juste. Parfois, il tombe à côté...
Les premières fois que mes déambulations sur la toile m'ont ramenée à des publicités sur des livres rares qui me plaisaient, j'ai cru à une coïncidence. Celle-ci se répétant, j'ai dû admettre qu'il ne s'agissait pas du passage dans le domaine grand-public de publications confidentielles, mais que des logiciels permettaient d'intégrer mes achats ou mes recherches dans le choix des publicités qui m'étaient présentées. Déception...
Mais aujourd'hui nous passons manifestement un nouveau degré dans l'adaptation de la machine à l'homme.
Aujourd'hui, j'ai reçu un mail dans lequel on me propose huit livres différents pour m'aider à maigrir.
Pas un, pas deux, non, huit !
Et pas pour être en forme, épanouie, informée, cultivée, amusée : non, juste pour perdre du poids. Ce qui s'appelle, en jargon publicitaire « prendre soin de sa silhouette ».
Je sais que l'hiver a été rude, et que, comme par miracle, mon métabolisme, s'adaptant aux frimas, a fait du stock.
Je sais que, contrairement aux ours, je ne vais pas émerger de cette hibernation allégée et amaigrie, puisque ma phase stockage a été doublée d'une phase remplissage, laquelle n'est pas encore terminée ( aujourd'hui, c'est Pâques : merci pour le chocolat !).
Je sais tout cela, et bien d'autres choses encore.
Mais mon ami libraire en ligne, comment il le sait, lui ?
Il le sait, d'ailleurs, ou il le suppose ?
Il le suppose, ou il l'impose ?
Vrai, je n'avais pas pensé régime avant de recevoir ce mail. Faire de l'exercice, du vélo, prendre l'air pour profiter des quelques rares rayons de soleil de ce pauvre printemps : ça oui.
Mais me priver de manger ? Compter les calories comme d'autres comptent les moutons, pour endormir mon appétit derrière des additions obsessionnelles ? Et risquer de le perdre, ce bel appétit, en devenant anorexique au péril de ma vie ? ( là, j'exagère : il y a peu de risque pour moi de ce côté-là... Mais je sais que de nombreuses jeunes filles voient évoluer un simple régime en un trouble inquiétant du comportement alimentaire.)
Non, jamais, sauf raison médicale, je ne ferai un régime.
Mais là, ce soir, je crains de ne pas pouvoir profiter des délicieux restes du repas dominical ( et pascal...) avec le même plaisir.
Et une question me taraude : quels sont les critères qui ont présidé à ce choix marketing ? Quel ouvrage consulté a-t-il pu laisser penser à Mr Logiciel que j'allais m'adonner aux plaisirs de la privation volontaire ? Je l'ignore. J'ai bien en ma possession un livre concernant les régimes mais c'est « Maigrir sans régime » du Dr Jean-Philippe Zermati, chez Odile Jacob (2002). Un livre revigorant qui nous démontre à quel point les régimes peuvent être nocifs et même favorisent souvent l'obésité, et qui donne des conseils très sains pour se réconcilier avec la nourriture ( enfin, pour ceux qui ont appris à voir en elle un ennemi, ce qui n'a jamais été mon cas...). D'ailleurs, je l'avais trouvé chez un de mes libraires "réels", ce livre...
Non, je crains, hélas, représenter, du seul fait que le logiciel de la librairie en ligne suppose que je suis une femme, le coeur de cible de ces stratégies.
Cela me confirme que mon libraire virtuel n'est pas féministe, et qu'il doit penser qu'en insistant sur la possibilité, par la simple lecture, de perdre des bourrelets, il va, en fait, me convaincre de la nécessité de le faire. Et d'acheter dans ce but un certain nombre de ces livres déprimants.
Dommage, il est tombé, cette fois, pile à côté.
Désormais, entre nous, le torchon brûle !
Vous reprendrez bien un oeuf en chocolat ?