Pour moi, c’est le moment où une nation a traversé sa phase d’expansion et de développement, puis la phase de consolidation de ses acquis, à l’intérieur de ses frontières et vis-à-vis des relations avec les pays voisins, et qu’elle n’a plus comme projet que d’enrichir les détenteurs du pouvoir (politique, patrimonial et financier) et les familles de ceux-ci.
L’idée de nation et de progrès social a fondu derrière un pragmatisme cynique où les plus riches n’aspirent qu’à devenir plus riches, en exploitant de plus en plus les populations dont ils se nourrissent.
Ceux-ci n’ont plus de notion de progrès puisque celui-ci est déjà advenu et ils bornent leur ambition à avoir plus pour profiter plus, même si cet absence d’investissement dans l’avenir ne peut que conduire à terme à la chute de leur paradis. Il n’y a presque plus d’inventions, ni de créations : il s’agit de faire fructifier ce qui existe déjà en s’entendant entre puissants. Du coup, une régression, voire un effondrement se profile.
Dans un pays en phase d’expansion, la coopération de tous est nécessaire, et l’on fait croire aux « masses laborieuses » qu’elles doivent travailler beaucoup pour pouvoir recevoir un jour une part du gâteau à venir. Mais, en vérité, on leur donne quand même quelques miettes pour éviter de les voir se révolter et cesser d’œuvrer à la construction de la nation. Dans un vieux pays décadent, ceux qui ont le pouvoir et l’argent depuis des générations ne voient plus la nécessité de ces précautions : le pouvoir leur est consubstantiel, et ils pensent en jouir de droit, que ce soit de droit divin ou par les droits que sont censés leur accorder leur intelligence supérieure ou leur origine familiale, sociale ou territoriale. Ils ne prennent plus de décisions en pensant à l’avenir de leur pays ni à celui des hommes et des femmes qui le constituent, et encore moins de la future descendance de ces derniers.
C’est très pratique, d’ailleurs, de se persuader que ce que l’on a, on le mérite : cela permet d’exploiter, voire même de détruire, autrui quand on considère que celui-ci ne mérite pas d’avoir autant de biens que soi-même, ou autant de pouvoir. Les femmes de ma génération, et nos mères et grands-mères, savent bien ce dont je parle, pour avoir dû lutter pied à pied contre l’idée que les femmes étaient d’un genre inférieur ce qui justifiait de les exploiter en restreignant leurs droits. Les immigrés et tous ceux qui sont d’une origine ou d’une classe non dominante le savent aussi.
En écrivant cela, j’ai l’impression d’enfoncer des portes ouvertes, mais je le décris pour arriver à ce qui se passe en ce moment, selon moi, dans notre vieux monde.
Sommes-nous en décadence ? Les gouvernants pactisent-ils avec les capitaines d’industrie et du monde de la tech, et les financiers, pour que tout ce petit monde d’ultra-riches continue de s’enrichir en recevant de plus en plus de fruits d’une croissance de moins en moins fiable, tandis que les pauvres et les classes moyennes vivent dans des conditions de plus en plus difficiles ? Avec une atteinte concertée aux services publics afin que l’argent de nos impôts ne servent pas à la redistribution, mais au soutien financier des entreprises...
Est-ce que ces gens s’inquiètent du fait que l’appauvrissement des classes non dominantes va, forcément, finir par diminuer leur consommation et que donc le système qu’ils ont mis en place va imploser à cause d’une récession qu’ils auront eux-mêmes induite ?
Devant l’altération définitive et exponentielle du climat et l’atteinte massive au vivant (disparition d’un nombre immense d’espèces animales et de la biodiversité en général, pollution des sols et des mers etc.) ainsi que devant la fin proche des énergies fossiles, prennent-ils les décisions courageuses qui permettraient d’entrevoir un avenir possible pour nos enfants ?
Non, ils ont transformé notre terre en Titanic et ils avancent en faisant la fête et en fermant les yeux.
On aura compris que je pense profondément que nous sommes en décadence.
Cela finit mal, une décadence, en général.
Cependant, il reste un espoir.
Cet espoir, c’est nous.
Allons-nous laisser ces vieillards cupides et manipulateurs, et parfois idiots (là, on imagine un chef d’État de grand pays qui se croit très malin alors qu’il est en train d’accélérer le processus que j’ai décrit et ce, d’une façon inimaginable, et profondément débile : je ne désigne personne en particulier, je tiens à ma vie…) ?
Mais il n’est pas le seul. Combien sont-ils ces nouveaux dirigeants élus sous le prétexte d’aider le peuple et d’apporter un « changement » alors qu’ils vont gouverner d’une façon perverse en divisant les citoyens (sus à l’immigré, censé être la cause d’un appauvrissement qu’il vit lui-même encore plus douloureusement) et en mentant en permanence sur le contrôle des populations et une gouvernance profondément réactionnaire et au service de l’oligarchie et de la finance ?
La perspective de l’arrivée en France d’un gouvernement d’extrême-droite n’est plus de la politique-fiction, et la droitisation, ainsi que les dérives anti-démocratiques, de ceux qui sont censés être, sinon de gauche, du moins « en même temps de droite et de gauche », sont à l’image de ce qui se passe dans de nombreux pays, où la défense de la démocratie semble rétrograde et ne recueille plus les suffrages qui seraient nécessaires pour enrayer cette droitisation du monde.
Pourquoi ça marche ? Pourquoi les démocrates ne se lèvent-ils pas comme un seul homme pour dire « Stop ! ».
Depuis longtemps j’incrimine les médias, récupérés partout par les forces du Capital. C’est vrai.
Mais je pense maintenant que ceux-ci ne sont que l’outil. Les dirigeants politiques aussi qui, finalement, font là où on leur dit de faire.
En fait, la grosse artillerie capitaliste s’est donné les moyens de nuire aux citoyens, et elle les utilise sans vergogne : pouvoir politique, pouvoir économique, pouvoir médiatique. Et jusqu’à la fin.
Dans la dernière chaloupe du Titanic on trouvera un banquier, un cigare à la bouche, tapant sur la tête d’un naufragé avec la dernière rame qui pourrait les sauver tous…
Comment éviter cela ? Ce n’est pas compliqué, en théorie : il suffit que ce soit nous, les citoyens, qui leur tapions dessus. Par-dessus bord, les capitalistes (c’est une image...). Et revenons à une façon éclairée de gouverner qui tient compte de la vie et du bien-être des citoyens, des animaux et de la nature, et qui pense et programme les choses en terme d’équilibre et pas de fuite en avant. Quitte à ce que certains fassent des efforts, mais plutôt ceux qui sont largement bénéficiaires du système...
En théorie, oui, c’est facile. Mais il y a un gros problème. Et ce problème, c’est le syndrome de Stockholm.
Nous sommes tous des otages de terroristes capitalistes qui ont des armes (les pouvoirs sus-nommés) et nous menacent. Et nous avons peur.
Et nous sommes donc conditionnés par ce foutu syndrome à penser qu’il vaut mieux avoir nos tyrans avec nous que contre nous.
Alors nous cherchons à leur complaire, de peur d’être rejetés (peur du chômage, déclin de l’engagement syndical…) nous nous conditionnons à penser comme ils veulent que nous pensions (« Il faut être « pragmatique », « On ne peut rien contre la mondialisation », la gauche est forcément « extrême », et même maintenant soi-disant antisémite si elle n’est pas d'accord avec le néolibéralisme…) nous perdons l’idée que l’on peut lutter etc.
Mais, surtout, nous votons de plus en plus pour ces fossoyeurs de l’humanité !
A vrai dire, ce n’est pas tout-à-fait vrai : il y a de plus en plus de personnes qui votent pour les systèmes favorisant ce capitalisme mortifère, mais il y a aussi un très grand nombre d’opposants potentiels qui ne votent plus, dégoutés qu’ils sont du détournement de vote qui est souvent opéré par les élus.
J’ai milité pour que les opposants votent, essayant de les convaincre que ne pas voter c’est voter pour ceux que l’on ne veut pas. Mais je ne suis pas certaine d’avoir convaincue une seule personne.
Pourquoi ?
Parce que, à mon sens, il s’agit encore du syndrome de Stockholm.
Pourquoi une femme maltraitée par son mari, et disant à ses enfants qu’elle reste à cause d’eux, ne quitte pas son persécuteur quand les enfants sont devenus adultes ?
Souvent c’est parce qu’elle se dit qu’être séparés, ce serait pire, que, finalement, elle sait le prendre et que ce n’est pas si grave etc. En fait, elle obéit à une peur inconsciente mais elle ne le sait pas. Elle se donne de bonnes raisons de continuer à se soumettre, en se racontant que, finalement, elle tire bien son épingle du jeu.
Les opposants non votants disent souvent « Je ne veux que mon vote soit une caution pour untel ». Un vote n’est pas une caution, c’est un chiffre, un « +1 » sur une somme. Et s’il n’est pas là, cela permet à un +1 sur d’autres listes, qui aurait été annihilé par leur vote, à compter. C’est, entre autre, le fait que plein de « +1 » manquent qui permet à la droite de faire les scores qu’elle fait.
Mais ce raisonnement mathématique n’a pas de prise devant celui qui se sent dépossédé de son vote parce qu’un élu a agi différemment de ce qu’il attendait.
Abstenons-nous, ne disons rien, allons cultiver notre jardin bio et nous éviterons la déception d’avoir voté pour un dirigeant qui ne respecte pas ses promesses. Cela semble mieux, on est tranquille, ce sont d’autres qui votent. Finalement, ce n’est pas si grave, on tire son épingle du jeu, de toute façon il va falloir faire avec, alors… « Pourquoi tu t’énerves ? Cela se passe en-dehors de nous. Et puis cela a toujours été comme ça. Tu devrais faire comme moi, il faut être pragmatique, et philosophe, ce n’est pas un vote qui va changer quelque chose... ».
Un, non, mais des millions ?
Ça ne vaut pas le coup de réintroduire dans la direction des affaires du monde autre chose que le bien-être du capitalisme financier ? De penser à nouveau en terme d’équilibre des forces et donc de lutte des classes ? Cet équilibre dynamique et forcément conflictuel n’est jamais atteint, mais selon moi, c’est la seule recherche de cet équilibre qui peut permettre, en tenant compte de toutes les parties en cause, de freiner la machine à détruire dont nous observons tous les jours les désastres présents et à venir que celle-ci favorise.