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Billet de blog 9 octobre 2024

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Le Mozart de la finance jouait du pipeau

Bon, bien sûr, notre musicien en chef n'est pas le seul à pratiquer de cet instrument : mais reconnaissons-lui un talent particulier dans l'art de nous mener où il veut en agitant son petit tuyau à trou.

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C'est une interview dans Blast de Marc Joly, auteur de « La pensée perverse au pouvoir » (qui va sortir le 10 octobre) qui a réveillé mon obsession macronienne*. Le sociologue présente d'une façon très claire le fonctionnement psychique et relationnel, et donc politique, de celui qui est encore notre président. J'ai reconnu dans sa description le personnage que j'ai découvert quand il était encore secrétaire général adjoint de François Hollande et dont le positionnement politique m'apparaissait déjà fort inquiétant. On sait que, contrairement à ceux qui tentaient d'alerter sur le danger d'élire quelqu'un osant se dire de gauche alors qu'il venait de la banque d'affaire, nombre de nos concitoyens, inconnus ou faisant partie de l'intelligentsia ou des médias, sont tombé en amour devant ce « presque » jeune homme au parcours pourtant éclairant.

A l'époque, si je n'ai pas perdu mes amis de gauche c'est parce que j'ai fini par décider de ne plus essayer de leur faire prendre conscience de l'entourloupe absolue que représentait ce monsieur et sa candidature à l'élection présidentielle.

Je me réconfortais en me disant qu'il ne tiendrait pas plus de 3 ans, temps maximum pendant lequel il avait occupé une fonction jusque-là (ou à peu prés... je n'ai pas envie de me replonger dans le CV de celui-ci pour vérifier mes dires : mais c'est à peu prés ça). C'était logique, puisque, pour mettre en évidence une manipulation, il faut du temps. Au début tout le monde est incrédule, ensuite il va être nécessaire que les conséquences des choix apparaissent dans la réalité pour que les observateurs, ou les victimes, parviennent à faire le lien entre ces conséquences et leurs causes.

Hélas, j'avais sous-estimé le fait que, plus le système est complexe, plus les mystifications prennent du temps à apparaître. J'avais aussi sous-estimé l'engagement absolu des médias, y compris publics, dans une allégeance à la figure macronienne, et à sa politique, allégeance qui frisait l'idolâtrie.

Ainsi, quand presque tous les médias reprennent les mêmes éléments de langage, ou quand ils acceptent la tyrannie temporelle du maître des horloges, expert en contre-feux médiatiques, il est difficile de tenir contre vents et marée en cherchant l'information, la vraie, sur des sites alternatifs. Il faut du courage et de la ténacité pour ne pas absorber malgré soi la propagande déversée à grande eau sous le vocable d'«information».

Bref, tout cela, plus la stratégie de diabolisation de la gauche et de dédiabolisation du RN, a permis non seulement que l'ancien banquier termine son quinquennat et sa politique de casse sociale, mais qu'en plus, il soit réélu.

Franchement, je dois avouer que mon engagement politique a flageolé... On ne peut pas aider les gens malgré eux, me suis-je dit, et donc tant pis, "alea jacta est", qu'on aille où la majorité de mes concitoyens veut que l'on aille...

L'interview de Marc Joly m'a (un peu) réveillée. Certes, il dit des choses que je sais déjà, mais j'espère trouver dans son livre d'autres arguments ou d'autres preuves. Mais, surtout, la parution de ce livre, comme ceux de Marc Endeweld, met des mots sur les maux : oui, nous souffrons d'une emprise politique et médiatique. Oui, nous sommes manipulés, nous perdons notre libre-arbitre, nous votons contre nous-même. Les pauvres et les classes moyennes élisent des gens qui vont les appauvrir encore plus pour enrichir les plus riches, disons les capitalistes, qui ne se sont jamais mieux portés. Les chiffres, cruels, sont là.

Dans les campagnes, ou en banlieue, on ne peut plus se soigner correctement. Et l'on parle à nouveau d'économie à faire dans la santé : par exemple, ces jours-ci, de réduire les dépenses de transport sanitaires. Mais déjà les pauvres ne peuvent plus aller à l'hôpital ou chez un médecin qui est de plus en plus loin. Les riches peuvent prendre un taxi et aller en clinique, cela va pour eux. Ils peuvent bénéficier de soins de support que ceux qui ont des difficultés financières ne pourront pas s'offrir. Quand à la question des retraités pauvres qui risquent ne pas avoir de revalorisation de leur pension : on s'approche là du cynisme le plus absolu...

Malgré cette évidence, et il y en a tellement d'autres preuves, certains relaient les inepties répétées en boucle par les médias : « On a vécu au-dessus de nos moyens, maintenant il faut accepter de faire des réformes ». Mais qui a vécu au-dessus de « nos » moyens ? Pas les pauvres, c'est sûr... Et quelles réformes? C'est à la suite de nombreuses réformes que nous en sommes là. Et le maître de l’Élysée , avec ses cadeaux aux très riches et aux grosses entreprises, n'est pas le dernier à avoir cassé notre équilibre économique...

La sécurité sociale a été mise en place, après-guerre, à un moment où l'économie de notre pays n'était pas florissante. Mais cela a marché quand même. Pourquoi? Parce que l'économie du pays (en plus de la morale...) a intérêt à ce que les citoyens soient dans la meilleure santé possible. Parce que ce qui coûte cher à une société, c'est que les personnes, quelles qu'elles soient, soient malades. C'est un calcul débile d'économiser sur la santé. Que les riches paient davantage leur santé, d'accord, mais les autres? Qu'ils crèvent? On sait bien qu'un décès ou une incapacité de quelqu'un en âge de travailler a un coût pour l’État, surtout si l'on tient compte de tout ce que cet État a investi en formation pour cette personne. Même une personne a la retraite qui assure une fonction sociale ou familiale est un plus pour la société.

Comment peut-on réellement penser faire faire des économies à un État en ne soignant pas (ou mal) les habitants de ce pays ? Les médecins ne cessent d'alerter sur la bêtise avancée de l'idée de supprimer l'aide médicale d’État. Un malade infectieux non soigné, en situation régulière ou pas, va propager davantage sa maladie. Cela ne se discute pas.

Qui peut envisager que détruire les capacités d'achat des classes moyennes c'est bon pour l'économie ? Qui peut croire que l'on est plus efficace au travail si l'on est sur un siège éjectable et que l'on est mal payé ? Ou si l'on souffre au travail à cause de pression managériale? Quel est le coût des départs forcés des agents expérimentés parce qu'embaucher des jeunes ça coûte moins « cher » ? Quel est l'effet sur l'efficacité d'une entreprise de la compétition entretenue entre salariés ? Et de l'externalisation vers des boîtes qui baissent leurs coûts pour emporter le marché au détriment de la qualité de leurs prestations ?

Un membre de l'équipe au pouvoir a lâché que, s'il fallait réduire le déficit, c'était pour que l'on soit autorisé, par les autorités de régulation, à emprunter à un meilleur taux... Ce n'est donc pas demain la veille que l'on n'aura plus de dettes. Il s'agit donc bien, pour ces autorités de régulation et ceux qui leur obéissent, de casser notre système social.

C'est bon, vous pouvez arrêter, on y est presque...

En fait, outre les intérêts sonnants et trébuchants de la caste capitaliste, il s'agit d'idéologie.

Si ce n'était pas de l'idéologie, notre Mozart aurait réduit la dette depuis qu'il est au pouvoir, ou tout le monde l'aurait clouer au piloris à cause de son échec patent en ce domaine. Or, rien de cela n'a eu lieu...

Je fais l'hypothèse que pour s'auto-justifier d'être extrêmement riche, il est bon de se dire que l'on mérite cette richesse, ce qui entraîne comme corollaire que les autres, les « pas riches » méritent ce qui leur arrive. Donc la question du mal que l'on fait à ces derniers en les appauvrissant encore plus ne se pose pas. C'est comme à la guerre. Si l'on pense qu'on a en face de nous un frère, on ne peut pas lui tirer dessus. Si c'est un «chien», un monstre, un objet, un moins que rien, on n'a plus de scrupules à avoir.

Ces capitalistes mortifères pensent avoir en face d'eux des riens, et ils leur font la guerre. Leur gain territorial, c'est leur argent et leurs possessions, plus le pouvoir que cela leur confère, pouvoir qui s'accroit démesurément. Qui dirige le monde? Les politiques élus ou les dirigeants des GAFAM, des banques et des entreprises mondialisées (énergie, agrochimie...) ? Le prétexte de la dette n'est qu'un outil de plus dans l'exercice de ce pouvoir. Mozart, ici, n'est qu'un exécutant qui obéit aux ordres. Mais un Mozart qui ment comme un arracheur de dents...

Qui croit que tous ceux qui étaient au pouvoir ignoraient l'état des finances publiques? C'est même pour cela qu'a eu lieu la dissolution, pour trouver les lampistes qui allaient faire passer la potion amère d'une austérité due essentiellement aux cadeaux faits aux très riches...

Bref, Il n'y a selon moi, pas que le Mozart de la finance qui est en cause dans ce qui est en train d'arriver à ce pays. Le joueur de pipeau n'est, me semble-t-il, que le symptôme actif d'une maladie qui pollue nos sociétés. Cette maladie c'est le capitalisme autoritaire, agissant sans foi ni loi, utilisant tous les ressorts de la propagande et de la communication d'emprise, au niveau politique, médiatique (possession des grands médias par les groupes capitalistiques), social (diabolisation et ridiculisation de toute volonté altruiste, et humaniste), professionnel (new-management et utilisation du salarié comme une chose interchangeable à jeter, à humilier et isoler pour qu'il ne puisse pas s'aider du collectif ou des syndicats) et au niveau de la formation (obligation d'un état de « formation permanente » qui conduit chacun à ne plus pouvoir se sentir détenteur d'un savoir et d'une expérience- les séniors en entreprise en paient le prix fort...).

Ce capitalisme n'hésite pas à utiliser la force dans son intérêt, sans scrupules (limites au droit de manifester, « bavures » policières, conduites envers les migrants en mer...) et sans souci aucun de son action destructrice et des conséquences humaines de celles-ci. Mais il utilise aussi les techniques éprouvées de la manipulation de l'opinion publique.

Ce capitalisme est en phase terminale : c'est celui de la décadence, quand les possédants ne souhaitent que s'empiffrer de plus en plus, sans penser à l'avenir. Le rapport de nos décideurs à l'écologie et à la catastrophe climatique en cours est plus qu'éclairant sur le côté « fin de règne » de nos dirigeants, fussent-ils encore jeunes.**

La seule chose que je trouve réjouissante dans le moment que nous traversons c'est que tout cela commence à se savoir. Le tour de bonneteau d'un président qui n'a pas donné la possibilité au groupe ayant le plus grand nombre de voix aux législatives de choisir le premier ministre, au prétexte que celui-ci n'aurait pas de majorité de fait, devient encore plus évident maintenant que l'équipe gouvernementale démontre sa difficulté à s'entendre et à s'assurer d'une majorité des votes à l'Assemblée.

Quand on parlait, il y a des années de « démocrature » on était traité de complotiste. Mais c'est quoi, une démocratie où le président décide seul de ce qui est bon, selon lui, contre toute évidence et contre toute raison ?

Combien de temps cela va-t-il prendre pour que l'on secoue nos chaînes et que l'on revienne à la réalité ? Pour que l'on cesse d'avaler des mensonges à longueur de temps ?

Pour, qu'enfin, on agisse ?

*Interview par Denis Robert sur Blast ici, et lien sur la présentation de son livre paru chez Anamosa "La pensée perverse au pouvoir" ici

**Je ne traite pas ici du rapport entre ce qui se passe en France et ce qui se passe dans le monde, ni de la position du monde occidental face aux BRICS+. Ces derniers sont-ils en décadence ou en expansion ?

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