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Billet de blog 11 mai 2011

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"Soins sans consentement" en psychiatrie : sommes-nous d'accord ?

Ceci est la reprise d'un commentaire sur le billet de Sophie Dufau : "Soins sous contrainte en psychiatrie : semaine décisive pour la psychiatrie" Autant la question ne se pose pas de la nécessité des mesures permettant d'hospitaliser en urgence quelqu'un dont la décompensation psychiatrique implique un danger pour lui ou pour autrui, et qui refuse l'hospitalisation, autant l'évolution de ce principe ancien vers la notion de "soins sans consentement", c'est-à-dire de la poursuite de l'obligation, pour le patient, de prendre un traitement, sans son accord, une fois sorti des murs de l'hôpital, donc en-dehors de la notion de danger immédiat, est considérée comme contestable par de nombreux intervenants de ce champ.

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Ceci est la reprise d'un commentaire sur le billet de Sophie Dufau : "Soins sous contrainte en psychiatrie : semaine décisive pour la psychiatrie"

Autant la question ne se pose pas de la nécessité des mesures permettant d'hospitaliser en urgence quelqu'un dont la décompensation psychiatrique implique un danger pour lui ou pour autrui, et qui refuse l'hospitalisation, autant l'évolution de ce principe ancien vers la notion de "soins sans consentement", c'est-à-dire de la poursuite de l'obligation, pour le patient, de prendre un traitement, sans son accord, une fois sorti des murs de l'hôpital, donc en-dehors de la notion de danger immédiat, est considérée comme contestable par de nombreux intervenants de ce champ.

D'abord, la question va se poser de qui décide de la nécessité d'un traitement qui ne sera plus un traitement d'urgence : le psychiatre hospitalier ? Et si le médecin ou psychiatre traitant n'est pas d'accord avec la prescription ? Et si le patient ou les proches sont persuadés que le traitement est inefficace ou nocif ? Le consensus sur le type de prise en charge et de traitement nécessaire pour un patient est assez facile dans l'urgence psychiatrique, plus difficile une fois sorti de la période aiguë. La mesure des soins sous contrainte va-t-elle battre en brèche le principe du libre choix de son médecin ? Dans un domaine où la confiance dans son médecin est justement primordiale pour l'observance médicamenteuse et pour que le patient puisse informer son psychiatre du retour de ses symptômes en cas de début de rechute ? La médecine ne fait pas partie des sciences exactes, la psychiatrie encore moins : c'est une science "humaine" où la part relationnelle est fondamentale. Comment penser qu'un patient va pouvoir faire confiance à une équipe qui viendra le fliquer à son domicile ? L'évolution d'un patient, ce n'est pas équivalent à sa prise de médicaments : une rechute peut se produire sous traitement, et une amélioration s'observer bien que la prise de médicaments soient hasardeuse (en psychiatrie aussi, il y a un effet placebo, et la prise en charge comprend tout un volet de psychothérapie individuelle ou de soutien pluridisciplinaire : va-t-on aussi rendre obligatoires les divers ateliers ou entretiens de groupe ?...).

Cette question peut être comprise par tous : imaginons quelqu'un ayant fait une dépression grave ayant nécessité une hospitalisation sous contrainte pour éviter un suicide probable. Et que, au décours de cette prise en charge, et ayant retrouvé sa façon habituelle de fonctionner, cette personne soit contrainte de rendre des comptes sur le traitement qu'elle serait obligée de prendre pendant des mois, voire des années : n'aurait-elle pas le sentiment que l'on porte atteinte à sa liberté ? Et si elle constate des effets secondaires invalidants de ces traitements obligatoires, contre qui va-t-elle se retourner ? Contre l'hôpital ? Contre l'état ?

La décompensation aiguë ayant nécessité une hospitalisation sous contrainte est toujours un évènement grave dans la vie d'une personne. Il semble souhaitable que l'hospitalisation, après l'amélioration des symptômes, serve à empêcher que de telles circonstances ne se reproduisent. Pour cela, il est important que le patient et l'équipe comprennent la chaîne d'évènements ayant entrainé la situation de décompensation. Alors le patient peut, même s'il a encore des difficultés à gérer ses difficultés, s'appuyer sur la prise en charge proposée pour éviter la rechute ou prévenir si cela recommence à aller mal. Or, si les soins sous contraintes persistent à domicile, il risque fort de continuer à se vivre comme l'objet d'un système qui le considère comme un irresponsable et se méfie de lui, voire le persécute dans sa propre demeure. Non seulement il y a fort à parier que l'alliance thérapeutique, nécessaire dans ce type de prise en charge, ne devienne impossible, mais la situation elle-même peut favoriser le vécu persécutif du patient. Cela ne veut pas dire qu'il faut laisser les patients sans traitement, mais qu'il faut avoir des moyens pour suivre ces patients en post-cure si c'est nécessaire( les professionnels expérimentés savent obtenir l'accord du patient, et pour cela il faut de la psychologie, du temps et du respect) ou les garder en hospitalisation s'ils ne sont pas stabilisés. Ce sont ces moyens qui manquent : on ne peut pas à la fois restreindre les temps d'hospitalisation, et en rester à une prise en charge ambulatoire insuffisante. Sauf à appliquer des principes qui s'observent ailleurs : augmentation des exigences de résultats, avec restriction des moyens. Ce qui entraine en général une culpabilisation accrue des professionnels à qui on ne donne pas les moyens de bien travailler.

Je pense que les proches de patients qui ont été favorables à ce projet, ont pensé à ces patients gravement atteints, livrés à eux-mêmes et ne prenant plus de traitement : ceci est un vrai et grave problème, mais n'oublions pas la réduction volontaire des durées d'hospitalisation (volontaire pour des raisons économiques) et des lits d'hospitalisation, ce qui fait que se faire hospitaliser rapidement de façon libre est parfois très difficile par manque de place, et la diminution de l'investissement dans la politique de suivi de secteur.

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