Depuis deux ans, et grâce au 49.3 et à son usage systématique, nous avons pu constater qu'un gouvernement et un président d'une couleur minoritaire à l'Assemblée pouvait faire passer des lois sans vote et même, parfois, sans discussion, même si ces lois étaient largement combattues par le peuple.
Depuis, nous venons de vivre l'agression d'une dissolution de l'Assemblée Nationale, décidée par un président seul, probablement fâché du score de son camp et utilisant, comme souvent, la technique choc/contre-choc.
Choc/contre-choc
Je précise : notre président a l'habitude de transformer un échec en réussite personnelle en contre-attaquant ceux qui l'ont mis en défaut. C'est une vieille technique, connue, mais qu'il utilise très souvent. La première fois que j'ai constaté cela c'est quand, après des études prouvant que les français étaient davantage opposés aux vaccins que d'autres peuples, il a été décidé de passer de 3 vaccins obligatoires pour les enfants à 11. Si l'on fait attention, on trouvera d'autres exemples de cette attitude qui lui évite souvent d'avoir à assumer ses erreurs, parce que la pression est mise par lui précisément sur ceux qui ont des raisons de l'accuser.
Ainsi les Gilets jaunes, témoins actifs de l'absence de bienveillance de l'État vis-à-vis du peuple d'en-bas (ou de juste au-dessus) et qui ont été maltraités tout en étant accusés eux-mêmes d'être maltraitants.
Je passe sur la complaisance de certains médias qui ont suivi et fait enfler le discours du camp présidentiel. Je passe aussi sur tous ces politiques qui ont répétés les éléments de langage sans mettre en question ce qu'ils répétaient en boucle (ainsi le prétendu antisémitisme de la France Insoumise, ou sa désignation comme « extrême-gauche », alors que le Conseil d’État lui-même a reconnu que c'était faux).
Pour moi, tout cela c'est de l'emprise, une emprise collective savamment orchestrée, que l'on pourrait aussi nommer « propagande » mais le mot, bien que tout-à-fait d'actualité, est actuellement démonétisé (pour mieux en dissimuler la réalité).
La dissolution
Le coup d'éclat de notre président, nous contraignant à revenir dans les bureaux de vote trois semaines après les Européennes, et contraignant les partis politiques à se lancer au débotté dans une campagne électorale imprévue, a eu un effet de choc. La peur de voir un parti d'extrême-droite gagner la majorité absolue à l'Assemblée a réussi à mobiliser les forces de gauche et leurs électeurs. D'où le résultat, dont je pense que le président ne l'attendait pas, qui a donné à la gauche le plus grand nombre de députés à l'Assemblée. On a, en général, tort de sous-estimer ses adversaires...
Le parti arrivé en tête, ici le Nouveau Front Populaire, doit choisir un premier ministre dans son camp, qui sera désigné par le Président de la République.
Et là, nous constatons que le président n'a pas (apparemment) de délai pour le faire. Ni même qu'il est obligé de la faire.
Les failles de la cinquième
Ainsi nous constatons que notre Constitution recèle de nombreux éléments (comme les conditions d'usage du 49.3) consacrant le présidentialisme et attaquant les principes de séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif.
Si l'on a un président soucieux de démocratie et protégeant l'esprit de la constitution, cela n'a pas de conséquences. Mais si l'habitant de l’Élysée utilise sa fonction comme un PDG qui veut emporter le morceau à tout prix, sans beaucoup de scrupules, alors les failles de notre cinquième République se révèlent béantes. On le craignait en cas de victoire du RN aux législatives, mais le risque, à mon avis, est déjà là, et les attaques à notre démocratie, notamment sociale, et aux principes de notre constitution (« Liberté-Egalité-Fraternité) se succèdent depuis des années.
Alors quoi faire ?
Comme de nombreux observateurs, je pense qu'il faut que l'on passe à une vraie démocratie parlementaire, c'est-à-dire que l'on en finisse avec le présidentialisme. Certes, il y aura davantage de conflits et de situations apparemment bloquées. Alors on fera comme dans les autres démocraties parlementaires : on discutera et on fera des alliances. Mais les parlementaires, qui sont les représentants du peuple, reprendront la place qu'ils doivent avoir. Le présidentialisme fait taire le peuple : c'est la raison pour laquelle, chez nous, le peuple crie dans la rue, et davantage que dans d'autres démocraties. Car, en France, un président peut ne pas écouter celui-ci, le léser (succession d'atteintes aux droits sociaux), le faire payer pour enrichir les plus riches (cadeaux fiscaux aux entreprises)... Quand l'Assemblée n'est qu'un ensemble de godillots, les citoyens n'ont plus que la rue pour se faire entendre.
L'histoire d'amour entre Emmanuel Macron et le peuple français est désormais terminée. Je ne sais pas, cependant, si le président a compris à quel point les citoyens ne sont plus dupes de ses sourires ni de ses paroles enjôleuses : il faut dire qu'ils payent au prix fort sa politique antisociale, et qu'ils ont perçu la place de « riens » où ils étaient situés. Certains le haïssent désormais.
Mais la vraie question est : comment peut-on l'empêcher ?
Il semble que, justement, la Constitution ne laisse pas beaucoup de possibilités pour freiner un président. Ce qui ne me semble pas prudent en général.
C'est là que j'en reviens à la difficile situation actuelle.
Simplifions :
- à l'Assemblée la gauche, le NFP, a obtenu le plus de sièges, mais sans majorité absolue, or le reste de l'Assemblée est globalement à droite
- le parti macroniste est en seconde position, mais aura du mal à trouver des alliances pour obtenir la majorité absolue, sauf à s'allier avec l'extrême-droite
- le RN, même s'il n'a pas la majorité, peut servir d'arbitre, ce qui n'est pas forcément souhaitable
En outre on a un président qui n'acte pas sa défaite et va semble-t-il tout faire pour empêcher le NFP d'accéder au pouvoir. La situation est très instable.
Alors ?
Il y a un élément que les commentateurs oublient et, même moi, je l'ai peu convoqué dans ce texte, or il est fondamental : c'est le peuple.
Que veut le peuple ? Qu'on lui demande son avis, et pas comme dans des faux « grands débats » qui ne servent à rien.
Pour ces dernières élections, le peuple est venu voter, sur ses vacances parfois, alors qu'il était fâché de cette dissolution inopportune. Le peuple français est politisé, et il en a marre de de se faire avoir. Souvent l'abstention n'est pas due à l'indifférence mais au dégoût consécutif à des promesses électorales non tenues.
Contrairement à ce que disait notre président au début de son premier mandat, non, les français ne sont pas nostalgiques d'un roi. Certes ils peuvent se laisser séduire, un temps, mais leur lucidité politique finit par se réveiller, et ils cessent d'être des veaux que l'on mène tranquillement à l’abattoir. Les résultats des dernières élections le prouvent, et encore plus si l'on considère que le vote RN est souvent un vote de refus.
Pour sortir de la situation actuelle et parvenir à une situation stable, pour mettre en place les conditions empêchant la réémergence de situations de blocages ou de risques démocratiques, pour ouvrir vers un avenir de progrès où les citoyens participent au gouvernement de leur État il n'y a, me semble-t-il, qu'une solution : mettre tout en œuvre pour l'avènement d'une sixième République, démocratique et parlementaire.
La sixième République
Pour cet avènement éventuel, il faudrait que les partis responsables s'entendent afin de créer les conditions de celui-ci : mise en place d'Assemblées Constituantes, principes discutés et définis, calendrier de travail pour ce passage à une nouvelle Constitution, référendums répétés, contrôle au fur et à mesure du processus etc.
Pendant cette période, le gouvernement devrait s'engager à ne pas discuter de réformes importantes, et donc il faudrait mettre en place un gouvernement « technique », pluripartite, dont les membres seront soucieux du bien commun et sous le contrôle de l'Assemblée qui pourra voter une motion de censure en cas de manquement.
A ce moment de votre lecture vous pensez que je suis une douce utopiste, que jamais les députés non NFP ne voudront changer la Constitution et enlever du pouvoir au président et, surtout, que jamais ils n'accepteront de s'unir avec des députés de gauche pour ce projet.
Mais je crois que vous vous trompez : tous ces gens, ou presque, ont un ennemi commun, le même que nous. C'est celui qui a décidé de leur enlever un siège sur lequel ils étaient assis pour cinq ans, pour rien, du seul fait du prince. Les couleuvres, ils les ont avalées aussi, et pas seulement cette fois. Il n'y a pas qu'à gauche qu'on n'a pas, ou plus, les yeux de Chimène pour le « prodige de la finance » (chef des déficits), le « champion du climat » (et des pesticides), le « maître des horloges » (qui nous soumet à son bon plaisir)... Dans leurs circonscriptions les députés en entendent, des déçus du macronisme... Désormais le sortilège n'agit plus, même sur ceux qui ont cru en lui. Certes, il y a des réactionnaires qui voudront garder leurs privilèges et empêcher ce processus de se dérouler: ceux-là feront mine d'adhérer et mettrons des bâtons dans les roues des constituants sérieux et motivés. Mais j'espère que d'autres vont se saisir de cette possibilité de faire vraiment acte politique.
Je trouve que ce moment de crise est LE moment où peut s'ouvrir cette possibilité : cela donnerait une bonne raison à des hommes et des femmes politiques de travailler ensemble pour quelque chose de vraiment valable, qui pourra changer la vie des femmes et des hommes de ce pays, ce vieux pays qui mérite mieux qu 'une constitution rétrograde qui nous empêche d'avancer.
Car, que ce soit pour les lois concernant la retraite, ou celles concernant les pesticides ou les freins à donner au réchauffement climatiques en planifiant une désescalade des énergies toxiques pour la planète, ou sur la question d'un engagement de troupes au sol en Ukraine, etc. on ne peut pas se contenter de la décision d'un seul homme, fût-il élu. Ces décisions sont trop graves et nous concernent tous, et elles engagent l'avenir de nos enfants : il faut que nous ayons notre mot à dire afin que les décisions aillent dans le bon sens.
Et si c'était maintenant?