J'envie les lanceurs d'alerte. Certes, ceux-ci paient souvent cher leur désir de faire savoir les ignominies dont ils sont témoins. Mais, quand ils parviennent à se faire entendre, quel soulagement ce doit être pour eux d'avoir fait avancer le monde d'un peu de compréhension et d'intelligence ! D'avoir soulevé le voile noir de la propagande et des abus institutionnels qui écrasent peu à peu notre démocratie et son peuple.
Je les envie, oui, parce qu'ils ont trouvé un combat à mener, parce que, malgré la léthargie générale, ils ont su se lever avec courage pour éveiller les consciences.
Pourquoi pas nous ? Pourquoi pas moi ?
Pourtant, j'en vu, des choses dont j'aurais pu témoigner au quotidien, et qui me hérissent, me scandalisent. Mais je n'en n'ai pas témoigné publiquement. Pourquoi ? Parce que j'ai peur. Parce que mon métier m'impose une discrétion publique dont la transgression me ferait réellement courir des risques. Et je ne suis pas la seule dans ce cas. Alors je suis prudente, je fais attention, dans mes écrits, à rester dans le commentaire sur des faits avérés, sans avancer sur ce que moi, de par mon expérience, je pourrais donner comme information démontrant la marche en avant infernale d'un ordre néolibéral totalitaire et aliénant.
Est-ce que ce sont tous ces combats rentrés qui m'étouffent et me poussent à me taire davantage, comme le désarroi de l'électeur devant le détournement de son vote le pousse à l'abstention ? Je le crains fort.
Or, j'ai beaucoup lutté, à mon niveau, contre l'abstention. L'abstention, c'est ce que veulent ceux qui nos gouvernent (je ne parle pas des hommes politiques, mais des lobbies financiers et industriels) car c'est ce qui permet à une minorité décidée d'emporter les suffrages, et donc de continuer à régner, à cause de la démobilisation massive des opposants potentiels. C'est aussi ce qui se passe dans les entreprises.
Ils sont forts, ceux qui décident. Ils savent que, plus quelqu'un se rend compte de l'inanité de ses efforts, plus il a tendance à baisser les bras. Je pense, comme d'autres, que c'est une des raisons de la poursuite du projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes. Ne pas laisser croire aux opposants qu'il suffit de s'unir pour faire plier le gouvernement. On peut d'ailleurs constater un équilibre dynamique entre les combats très mobilisés où il s'agit pour le pouvoir de se montrer inflexible, et les débuts d'opposition où celui-ci cède rapidement pour qu'il n'y ait pas trop de mobilisations concomitantes qui pourraient faire boule de neige (l'allocation logement des étudiants, les étudiants représentant un danger potentiel pour le pouvoir, les restrictions sur l'allocation adulte handicapé, les avantages pour les veuves… ).
On constate tellement d'attaques contre notre état social, contre le droit du travail, et à une retraite décente à un taux décent, contre le principe de la redistribution et l'aide aux plus démunis, contre le droit à un enseignement de qualité pour tous (et pas le projet d'un « socle de connaissance », à peine équivalent à un savoir-faire médiocre) contre l'environnement et donc l'avenir de nos enfants, contre une médecine dispensée de façon équivalente à tous, contre la notion même de service public…
L'entreprise de démolition se fait sur tous les fronts. Mais elle se fait par petites touches, sous des prétextes fallacieux : la dette, la soi-disant meilleure efficacité du privé, cf le suivi médical des USA, ou l'évolution des chemins de fer britanniques quand ils ont été privatisés (voir « Catastroïka », le lien renvoie vers mon billet présentant le film, et son accés, qui est libre), l'inéluctabilité de la « mondialisation », le prétendu effet bénéfique de la concurrence, etc. Et avec une propagande déversée en grand dans les médias main-stream. Agrémentée d'une large louche d'abêtissement généralisé via les addictions induites aux écrans et à leurs contenus, sports montés en épingles, actualités en visionnage permanent, focus sur des événements mineurs repassés en boucle…
De temps en temps, je me dis que c'est l'âge qui me donne cette vision pessimiste du monde, que je dois trop m'attacher à la perte de ce qui m'est connu, sans connaître encore ce qui va advenir.
Mais je dois me rendre à l'évidence que tout ce que je soupçonne depuis des années est réellement en train de se passer. Et qu'il est peut-être trop tard.
En tout cas, en ce qui concerne le climat, oui, c'est trop tard. Certes, on peut tenter de réduire les effets de la catastrophe, mais la catastrophe est là. Et nous devrions tous demander pardon aux générations futures de ce que nous avons laissé faire.
Quand on n'est pas lanceur d'alerte, il reste la possibilité d'agir au niveau individuel. Faire attention à ce que l'on achète, ce que l'on consomme.
Mais une somme d'individualités ne crée pas un collectif. Ceux qui ont effectué le retour à la terre dans les années 70 n'ont pas freiné l'évolution vers une société de consommation.
Pour sortir de notre léthargie, il faut de l'espoir. Et c'est cet espoir qui peut permettre un mouvement collectif : celui-ci correspondant à l'ultime recours pour passer du désespoir à l'espoir.
Manger bio, local et équitable, c'est bien. Boycotter collectivement les marques qui maltraitent leurs employés, leurs fournisseurs, les animaux ou l'environnement, c'est mieux. S'unir pour lutter contre les abus de toutes sortes, en incluant ceux des politiques qui agissent contre l'intérêt général, cela nous permettra de sortir de notre immobilisme.
C'est de l'union que naît la force. Utilisons internet et les réseaux sociaux pour nous dégager de l'individualisme induit. Mais n'hésitons pas non plus à nous rencontrer IRL (in real life). En pensant à ce qui nous anime (la conscience commune de ce qui est en train de se passer et contre quoi il faut lutter) et en dépassant ce qui nous divise. C'est un effort permanent de tolérer l'autre dans sa différence, notamment la différence de point de vue, pour parvenir à un projet collectif, lequel peut s'avérer, du coup, enthousiasmant.
Ce sera alors la fin de la léthargie et le début de l'action.