Longues, si longues... Et minces... Pas plus épaisses, d'ailleurs, que les mollets étroits qu'elles surmontent, et dont elles sont séparées par un genou où la rotule est reine, dégagée de toute parcelle de graisse qui aurait pu en dissimuler la précision clinique.
La jambe des femmes, cet automne, est une pièce d'anatomie. On y décèle l'insertion des muscles, la raideur des tendons. Dans les défilés, la volonté de chalouper la démarche ne cache pas la sécheresse des formes. Sécheresse voulue, qui exalte le fameux, et éternel, masochisme féminin.
Après avoir étiré notre cou, après nous avoir écrasé les pieds, serré la taille, et entravé notre démarche par des jupes étroites ou des talons aiguilles, voilà des décennies que vous nous affamez. Ou nous réduisez à l'état de larves quand nous savons ne pas pouvoir concourir à l'épreuve de la plus maigre...
Cet automne, la jupe se fait short, le short se fait culotte, et la cuisse maigre s'exhibe.
Les jeunes filles, les plus vulnérables, éperdues dans leur désir d'exister, sont à la recherche du trou entre les cuisses. Pas celui auquel on pense, non, bien sûr, mais celui qui ferait que l'espace entre leurs deux membres inférieurs resterait un espace interdit, un espace de non-droit pour le peau à peau des deux jambes : chez les jeunes filles, la cuisse droite ne doit plus toucher la gauche. Et vice-versa. Au péril de leur vie, ou de leur santé mentale ou physique, les jeunes filles réduisent leur alimentation en surveillant l'écart entre leurs deux jambes.
Où est la chair ? Comme le poil, et le parfum naturel, a-t-elle disparu de ce qu'est dorénavant censé être une femme ? Devons-nous désormais ressembler à ces squelettes ambulants, à la joue creuse et au regard triste, qui semblent davantage sortir d'une clinique pour anorexique que d'un salon de couture ?
Et l'aliénation des femmes ? L'éternelle aliénation des femmes ? Ne trouve-t-elle pas là, encore plus qu'avant, une occasion de réduire le champ d'action de cette branche essentielle de l'humanité ?
Quand on ne pense qu'à faire des régimes, du jogging, de la liposuccion, de la chirurgie esthétique, des abdos-fessiers....
Quand on est déprimé à l'approche de l'été à l'idée de se mettre en maillot...
Quand on ne mange pas au restaurant avec des amis de peur de ne pas pouvoir se retenir de manger normalement, ou d'avoir à cacher ses conduites alimentaires bizarres...
Quand on hésite à se mettre en avant parce qu'on n'a plus 20 ans et que cela se voit, ou que l'on a 20 ans, et plus de 50 kilos...
Quand on pense en permanence à son apparence, ou que, même si l'on n'y pense pas, on est freiné dans son expression sociale ou privée parce que l'on se sent physiquement en-dehors du coup...
Est-ce que l'on ne continue pas, activement, même si c'est involontaire, à perpétrer la domination masculine ?
Libérons-nous de ces carcans.
Cela a déjà été fait, il y a longtemps.
Mais la contre-révolution est en marche. Et elle avance à grand pas. Maigre.
En lien, une interview de Christophe Bagot, psychiatre, à propos de « l'écart entre les cuisses » des jeunes filles :
Et une illustration, magnifique pourtant, de mon propos : le défilé haute-couture de Christian Dior. Une chorégraphie impeccable, des vêtements sublimes, des mannequins très professionnels... mais aussi un hymne à l'omoplate saillante et à l'interminable jambe maigre...
http://www.dior.com/couture/fr_fr/mode-accessoires/femme/haute-couture