Nous sommes à un moment crucial de notre histoire. Un moment où, de notre inertie ou de notre action, dépendra l'avenir de nos enfants. Mais avant d'agir, il faut comprendre. Et pour comprendre, il faut ouvrir les yeux et les oreilles et secouer le joug de la propagande qui a conduit ces derniers temps nos grands peuples à une faiblesse, voire à une lâcheté, déshonorante.
Pourquoi est-ce que les choses pourraient changer aujourd'hui ? Parce que la lutte dramatique qui oppose le peuple grec, via son premier ministre, et les dirigeants de l'Europe, dévoile, à qui veut bien le voir, ce qui se cache depuis des décennies derrière la construction européenne. C'est-à-dire un projet de gestion politique se passant de l'avis des citoyens, et qui utilise ceux-ci pour assouvir l'appétit de puissance et de bénéfices des grands groupes et de la finance internationale.
Résumons. Un petit pays européen s'est endetté, comme d'autres, même beaucoup plus grands, et a subi de plein fouet la crise des subprimes. Mais il s'agissait de dettes privées. L'état grec a racheté ces dettes, en empruntant à des banques privées. En effet, la construction européenne interdit aux États d'emprunter directement à la BCE, alors que les grandes banques peuvent emprunter, elles, à la BCE, et à bas taux, ce qui leur permet de prêter aux États en prélevant des bénéfices au passage. Mais les banques font monter les taux de remboursement en fonction du supposé taux de « fiabilité » de l’État en question (d'où les évaluations, contestées, des agences de notation). Plus un État est en difficulté, plus il empruntera cher… on voit bien déjà comment le ver est dans le fruit, c'est-à-dire comment un système qui devrait être un système de solidarité inter-États, est en fait un système qui nourrit la finance aux dépends des pays, et en particulier des pays les plus en difficulté.
Continuons.
Ce petit pays, n'arrivant pas à honorer ses emprunts indûment augmentés, doit emprunter à l'Europe. Là, tout est prévu : l'Europe, via la Troïka (commission européenne, BCE et FMI) et utilisant les différents traités ratifiés, peut prêter de l'argent, mais contre l'exigence de réformes « structurelles ». Le prétexte de ces réformes structurelles serait que, si un pays se trouve en difficulté, c'est de sa faute, et que s'il appliquait une politique économique ultralibérale, il n'en serait pas là. C'est complètement faux : imaginons un pays en difficulté parce qu'il doit faire face à une épidémie majeure ou une catastrophe écologique, ce serait aussi une raison pour privatiser les services publics ? Donc, ce faux prétexte sert de vade-mecum à l'instauration dans le petit pays en difficulté (que je ne nomme pas parce que ce sera bientôt le tour des autres pays du sud de l'Europe, autant se sentir concerné tout de suite…) d'une politique imposée de destruction progressive des services publics, d'altération de l’État social, une politique de vente des biens publics, etc. Tout cela au bénéfice des investisseurs étrangers et des assurances et organismes privés qui sont tous là sur la ligne de départ. Et, pour bien forcer le pays cible de ce chantage, on lui coupe les vivres, ce qui aggrave son déficit et sa dette à la vitesse grand V.
Mais les prémisses étant faux, les conséquences seront catastrophiques : les personnes employées dans les services publiques perdent leur pouvoir d'achat, la consommation diminue, les malades sont mal soignés, le chômage augmente : l'argent prêté ne sert pas à payer la dette mais seulement une partie des intérêts qui augmentent puisque les rentrées fiscales baissent dans un pays qui rentre rapidement en récession forcée.
Ce petit pays prévient ses créanciers et l'Europe (des banques européennes pour la plupart) qu'il est au bord de la faillite et en difficulté pour payer sa dette, et ce malgré (en fait, à cause de…) les réformes structurelles déjà engagées. Normalement, que ce soit dans la vie des citoyens, ou au niveau des et États, c'est à ce moment-là que l'on conseille au particulier d'aller à la banque de France pour obtenir un étalement de sa dette, ou que l'on efface d'un trait les dettes du pays au bord de la faillite, comme cela s'est fait pour l'Allemagne après la guerre.
Mais là, non.
Et c'est à ce moment précis qu'il devient urgent d'ouvrir les yeux, et d'oser regarder en face notre propre lâcheté et celle de nos gouvernants qui, eux, en plus, agissent avec une duplicité dont j'espère qu'elle ne restera pas impunie.
Suivant la stratégie de l'engagement, les gouvernants de l'Europe décident résolument d'obliger ce petit pays à continuer la politique d'ajustement qui le mène à la ruine. Violant le vote des citoyens, contrant la constitution d'un gouvernement de coalition, les gouvernants européens, serviles laquais des financiers, exigent encore plus d'affaiblissement de services publics, d'atteinte aux lois sociales, et de ventes du patrimoine public au privé. Et augmentent encore plus la pression économique, précipitant une faillite qu'ils prétendent vouloir contrer.
Pourquoi ? Pour que les autres pays européens soient bien persuadés qu'il n'y a pas d'alternative, et qu'il ne sert à rien de voter, en particulier pour un régime politique alternatif à l'ultralibéralisme. Sans compter les bénéfices attendus pour les investisseurs qui vont se sucrer sur le pays à terre ( http://blogs.mediapart.fr/blog/liliane-baie/140812/privatisation-des-services-publics-la-catastrophe-qui-vient-catastroik ).
Nous avons, en France, élu un régime théoriquement de gauche et qui s'est révélé au moins aussi libéral que le gouvernement de droite qui l'a précédé. Dans l'esprit des citoyens, il existe pourtant la possibilité d'une alternative à gauche. Mais pas dans celle des élites à la tête de l'Europe et des instances qui l'organisent. Ainsi, vis-à-vis de la Grèce, le message est clair : si vous votez pour un gouvernement vraiment de gauche, nous vous ferons manger la poussière. Il s'agit d'un rapport de force, qui utilise l'intimidation.
Ouvrons les yeux sur le fait que nous sommes en guerre, une guerre économique, qui est aussi une guerre politique. Ses armes en sont la propagande politique et économique, sur tous les champs médiatiques possibles, et il y en a beaucoup, et le chantage financier. Qui a des conséquences réelles : la pauvreté, le chômage, la maladie, la perte d'espoir...
Ouvrons les yeux sur le fait que nous avons été dupés, lors de la construction européenne, et depuis le début, sur une prétendue Europe des peuples, sur une Europe sociale : toute la construction européenne, ou presque, n'a abouti qu'à des pertes en terme de lois de protection sociale, de souveraineté du peuple. Des fonctionnaires, de grands commis de l'état, des élus, soumis au lobbying intense des grands groupes industriels et financiers, ou faisant partie de ce monde et pratiquant l'alternance public-privé d'une façon qui aurait dû nous alerter (Christine Lagarde, Emmanuel Macron, mais, autrefois, Georges Pompidou, etc. mais aussi tant d'autres moins connus mais non moins efficaces pour mettre en place une Europe néolibérale) réglementent à tour de bras détruisant chaque jour un peu plus le poids de la démocratie, sous l'égide du FMI, de la BCE et de la Commission Européenne.
L'Europe des peuples ?
Un gouvernement doit être au service du peuple, c'est-à-dire des populations les moins favorisées et des classes moyennes. Pourquoi ? Parce que les riches et les puissants ont déjà le pouvoir. Ils ont l'argent, ils ont les avocats de haut-vol, ils ont la volonté de se développer encore et toujours, et ils savent le faire. C'est encore de la propagande de nous faire pleurer sur ces pauvres riches qui paieraient trop d'impôts. S'ils paient « trop » d'impôts, c'est qu'ils gagnent beaucoup d'argent : qu'ils échangent avec un foyer non imposable, ils verraient s'ils n'auraient pas, alors, davantage de raisons de se plaindre…
Et que l'on arrête aussi de nous faire croire que les riches méritent de l'être, et que les pauvres n'ont que ce qu'ils méritent : l’ascenseur social est en panne (et vu l'affaiblissement volontaire de l'ambition de l'école publique, ce n'est pas prêt de s'arranger…) et l'on observe bien plus de déclassements que de récentes fortunes.
Il me semble essentiel que l'on se sente solidaire des grecs, que l'on comprenne bien l'engrenage ( créé par ceux qui y ont intérêt) qui mène un pays à la faillite. J'aimerais que l'on admette qu'il ne s'agit pas d'erreur, ni de hasard, mais d'une stratégie délibérée, présente dès le début de la construction européenne (construction qui a bénéficié d'un regard bienveillant des USA, ce qui n'est pas tout-à-fait un hasard). J'aimerais que l'on se souvienne de ce qu'a déjà commis le FMI dans de nombreuses régions du monde. Et que l'on s'interroge enfin sur la place exorbitante qu'on a donné à une structure internationale telle que le FMI dans la construction européenne ! J'avais, comme d'autres, alerté sur le MES et la règle d'or. Nous avions prêché peu ou prou dans le désert. Cela à l'air si complexe, l'économie. Moi-même, vous vous en serez peut-être rendu compte, je ne suis pas économiste, j'ai juste essayé de comprendre, aidée en cela par l'encouragement d'une amie qui m'avait dit « C'est simple, c'est de la plomberie, si l'argent rentre d'un côté, c'est qu'il sort de l'autre ». Essayez, vous aller voir que cela donne un grand choc de simplification à la chose économique qui est volontairement obscurcie pour que le commun des mortels ait l'impression de ne pas pouvoir comprendre. Quand on pense que des gens très riches et très intelligents ont cru à une pyramide de Ponzi… ( http://www.mediapart.fr/journal/france/241208/le-gotha-francais-piege-dans-le-scandale-madoff ).
Soyons plus malins qu'eux, et prenons notre destin en main pour défendre la démocratie. Pas celle des grecs, la nôtre à tous. Ne nous laissons pas diviser. Si nous croyons qu'en lâchant les grecs nous resteront du bon côté d'une scission en train de se faire au sein de l'Europe, nous reproduisons une attitude pétainiste de fort triste mémoire et de très mauvais augure. Même une révolte contre l'Allemagne serait mal venue : le miracle allemand, c'est aussi des emplois à un euro de l'heure (http://www.lepoint.fr/economie/en-allemagne-le-marche-du-travail-s-americanise-12-08-2013-1713451_28.php ). Les allemands pauvres, eux aussi, paient un lourd tribu au néolibéralisme triomphant… Il y a une guerre, oui, mais ce n'est pas la guerre de l'Europe du Nord contre l'Europe du Sud, c'est la guerre des riches contre les pauvres, de ceux qui ont le pouvoir de l'argent, et le désir d'accroître encore cette richesse et ce pouvoir, contre ceux qui avaient le pouvoir du nombre et celui que leur donnait la démocratie : la souveraineté du peuple. La guerre que nous vivons, guerre où les grecs sont en train de tomber au champ d'honneur, c'est la lutte des classes, qui a rarement été aussi féroce, mais qui est dissimulée parce que ses armes sont la propagande et la manipulation mentale collective (la fabrique de l'opinion publique).
Ouvrons les yeux sur ces innombrables mensonges d' État et défendons la démocratie avant qu'il ne soit trop tard.