Bon, reconnaissons que notre président et ses troupes avaient labouré le terrain : depuis 20 ans, si les pauvres s'appauvrissent de plus en plus, si notre système social bat de l'aile, les revenus des plus riches, eux, ont doublé, tandis que leur taux moyen d'imposition a, en fait, diminué.
Mais il ne fallait pas s'arrêter en si bon chemin et vous avez su, M le Premier Ministre, donner un grand coup de pied (de plus) dans la fourmilière de ces infâmes, quoique pauvres, profiteurs qui attendent de l’État protection et subsides immérités, les impudents ! Alors que seule la prospérité des riches est à prendre en compte ! Sans ces derniers, soyons-en certains, nous serions encore à l'âge de pierre, vêtus de peau de bêtes et réduits à manger des mûres sauvages et des pissenlits... Or ces héros des temps modernes risquent à chaque instant d'abandonner notre pays et d'aller dans des contrées plus favorables fiscalement pour eux (en tout cas, c'est ce que l'on entend en permanence dans les médias...). Que le ciel nous préserve à jamais d'une telle catastrophe! Si cela arrivait, la prospérité de ces ultra-riches cesserait de ruisseler sur nous comme pluie au printemps!
Gloire au petit père des riches qui sait faire fi du risque de censure en conseillant de prendre dans les classes moyenne et populaire l'argent qui manquait au budget. On se sent d'ailleurs fiers d'être ciblés comme étant les futurs sauveurs de la France!
C'est vrai que, si on y réfléchit, on peut se demander à quoi ça sert, ces « bons » principes d'égalité, de redistribution et de protection sociale ? Est-ce bien compatible avec l'orthodoxie budgétaire?
Pourquoi gagner beaucoup d'argent ne devrait pas servir à bénéficier de meilleurs soins, de meilleurs enseignements et de meilleurs services que ce que peut obtenir quelqu'un de pauvre ? Çà doit être douloureux, pour un ultra-riche, de savoir qu'un chômeur peut être indemnisé pendant des mois et bénéficier du même scanner que lui... C'est à se demander à quoi ça lui sert, tous ces millions (euh... milliards...) !
D'autant plus que gagner beaucoup d'argent, cela se mérite. Donc ceux qui n'en ont pas doivent ne pas le mériter. Et hop! Les pauvres et les chômeurs sont sûrement des paresseux...
Quant aux malades...
Comment les porteurs de maladies chroniques, osent-ils revendiquer une ALD (reconnaissance d'Affection de Longue Durée, réduisant le reste à charge) éternelle? Qu'ils retournent bosser, comme tout le monde !
Ah, ils ne peuvent pas ? Allez, un petit effort! Avec le télétravail, on peut travailler couché, alors...
Bon, on va faire un amendement pour la période de l'agonie, on est humains, quand même...
Si l'on arrive à s'extirper de ce concept ringard de démocratie (et encore plus de « démocratie sociale »...) peut-on trouver quelque chose de plus efficace que la loi du plus fort ? Celle-ci fonctionne depuis des millénaires dans tout le règne animal, pourquoi donc s'en priver et oser penser "justice sociale" ?
Cependant, certains esprits chagrins et rétrogrades diraient peut-être que les animaux tendent, malgré tout, à garder un équilibre entre les forts et les faibles et que les prédateurs non humains ne détruisent que les proies qui sont strictement nécessaires à leur survie. L'humanité est-elle capable d'une telle sagesse? On a quelques contre-exemples...
Dans l'extension du domaine de la lutte, l'humain peut aller trop loin. Ainsi, si l'on imagine que cette réforme était un vrai projet et allait se mettre en place, peut-être que les français déjà en difficulté, et soumis à des frais de santé supplémentaires, ou à des diminutions de leur pouvoir d'achat (retraite, RSA...) réduiraient encore leur consommation. Peut-être que s'ensuivraient des fermetures d'entreprises. Peut-être que surviendraient en conséquence des diminutions d'entrées fiscales, ce qui aboutirait in fine à augmenter la dette de la France, ce qui est l'inverse du but recherché... On peut faire l'hypothèse que, pour que la machine économique fonctionne il faut que les malades soient soignés, les chômeurs indemnisés et que l’État assure à chacun un minimum pour vivre décemment et donc consommer. Il faut aussi protéger de la misère sociale, entretenir les infrastructures publiques, etc. Sinon la machine néolibérale se grippe. Parce que, si les possédants gagnent de l'argent, c'est tout le reste de la population qui consomme (et fait accessoirement la richesse des capitalistes). Mais encore faut-il que celle-ci soit en mesure de le faire...
Mais ce n'est pas grave, une petite récession présente quelques avantages non négligeables, puisque le but de casser les services publics aura été atteint et que les entreprises privées, qui visent les marchés couverts encore par le public, auront pu faire une razzia sur ces domaines (services de santé, enseignement, retraites...). De plus, les règles protégeant les travailleurs et les chômeurs ayant été encore plus allégées, les grands patrons se frotteront les mains.
Et, surtout, la faillite de l’État pourra conduire à une reprise en main de la France par des instances européennes sous l'influence de la finance internationale et des grandes entreprises capitalistes, via les agences de notation, avec à la clé une destruction orchestrée de tout notre modèle social et un enrichissement sans limites des ultra-riches qui dirigent le monde.
On entend souvent, avant que ce genre de décisions ne soient prises « On n'a plus les moyens de financer... » : notre modèle social, ou nos retraites, ou le chômage etc.
Je me permets de faire remarquer que la question de l'arbitrage entre faire payer les plus riches et les grandes entreprises ou tirer à vue sur les retraités, les pauvres et les très malades n'a même pas été abordée, puisqu'il a été énoncé d'emblée que, de toute façon, on n'augmenterait pas les impôts. Or, il n'y a rien de plus simple que de prendre l'argent là où il y en a. Freiner des dépenses utiles paraît autrement plus problématique.
Je ne sais pas, Monsieur le Premier ministre, si vous survivrez à la prochaine motion de censure.
Mais je constate que cela ne vous fait pas peur, peut-être même avez-vous envie d'être libéré du fardeau que constitue votre fonction, en fait, et ce serait la raison pour laquelle vous faites ces propositions que l'on peut trouver inconséquentes et dangereuses.
En tout cas, en attendant (et en tenant compte du fait que je fais partie du troupeau) au nom de tous les moutons qui n'ont plus la force de faire la révolution, et avec l'espoir que nous allons nous réveiller, je vous dis, poliment mais fermement:
« Non merci, Monsieur le Premier Ministre ! ».