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Billet de blog 17 décembre 2009

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Refuser un débat, ce n'est pas forcément contraire à la liberté d'expression

Existe-t-il de faux-débats, de mauvais débats ? La liberté d'expression est-elle atteinte par le refus de débattre de tel ou tel point, précis ou vague ? Ce sont de vraies questions, qui recouvrent ce que l'on peut considèrer comme le talon d'Achille de la démocratie.Tout serait simple si, dans les échanges, qu'ils soient publiques ou privés, il n'existait pas d'arrière-pensées. Chacun dirait ce qu'il pense et s'exprimerait, à partir de son point de vue et avec ses présupposés : les conflits et points d'accord seraient explicites, et l'on arriverait, soit à un consensus, soit à l'évidence de l'irréductible d'un désaccord.

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Existe-t-il de faux-débats, de mauvais débats ? La liberté d'expression est-elle atteinte par le refus de débattre de tel ou tel point, précis ou vague ? Ce sont de vraies questions, qui recouvrent ce que l'on peut considèrer comme le talon d'Achille de la démocratie.

Tout serait simple si, dans les échanges, qu'ils soient publiques ou privés, il n'existait pas d'arrière-pensées. Chacun dirait ce qu'il pense et s'exprimerait, à partir de son point de vue et avec ses présupposés : les conflits et points d'accord seraient explicites, et l'on arriverait, soit à un consensus, soit à l'évidence de l'irréductible d'un désaccord.

Comme la vie n'est pas un long fleuve tranquille et que le fait de réfléchir à ce que l'on va dire pour tenter d'obtenir ce que l'on veut fait partie du processus de développement de tout être humain, on peut considérer que la vision idyllique de la communication que je viens de présenter n'existe pas, sauf dans les cas où il n'y a aucun enjeu. Ce qui est rare.

Donc, souvent, quand on énonce quelque chose, c'est que l'on a une intention. Cette intention n'est pas forcément explicite. Plus on est expert dans l'art de séduire, ou de manipuler, autrui, plus l'intention sera dissimulée et indétectable pour le destinataire de la stratégie. Ainsi, poser une question qui semble désintéressée, est une bonne façon de conduire l'autre à se mettre en position de réponse, donc dépendant de ce que l'on lui dit "Est-ce que vous avez l'heure ?", suivi de "Est-ce que vous pouvez me donner un euro ?" est beaucoup plus efficace que de demander à quelqu'un un euro (cf "Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens" de RV Joule et JL Beauvois, Presses Universitaires de Grenoble 2002). Ainsi certaines enquêtes ne sont pas faites pour renseigner les enquêteurs mais pour conditionner les enquêtés.

Si l'on n'est pas dans une relation de proximité avec l'interlocuteur que l'on connait assez pour connaitre ses intentions, il n'est pas prudent de présupposer que les intentions de l'autre sont forcément pures et qu'il ne veut dire que ce qu'il dit, ou que sa question est innocente. Surtout dans une société de "communication" ( en fait de propagande), où les techniques de manipulation de l'individu et du groupe n'ont jamais été aussi élaborées et répandues, quoique niées en tant que telles ( on parle, au mieux, d'influence).

Parmi celles-ci, se servir de règles morales que l'autre possède pour les utiliser contre lui, est une tactique très efficace. Mettre l'autre dans une alternative ou il ne peut exprimer sa réponse sans sembler renier ses idéaux est simplement du marketing. Tel ce démarcheur qui m'interpelait "Vous aimez les enfants ?". Comment répondre non ? "Alors si vous aimez les enfants vous ne voulez pas que des enfants soient malheureux ?" (idem...) "Alors vous pouvez faire quelque chose pour empêcher que des enfants soient malheureux en achetant cette peluche" (cela a l'air si simple, comment pourrais-je refuser de sortir un enfant du malheur pour épargner quelques euros ?). C'est la stratégie de l'engagement qui est utilisée là.

Répondre non, à ce moment-là, est sensé être vécu comme se renier sur l'énoncé initial. C'est faux, mais c'est la maitrise de la communication par l'énonciateur (et ses arrières-pensées) qui ont guidé l'échange, et l'enfoncement de celui qui est démarché dans une position d'engagement : on l'engage et il croit qu'il s'engage tout seul. Seule la conscience que le débat est mal posé, et qu'il n'y a aucune réponse à donner à une mauvaise question, peut libérer le démarché.

C'est ce que j'appelle le talon d'Achille de la démocratie. Un démocrate croit qu'il trahit ses propres valeurs s'il est amené à utiliser les mêmes armes que ceux qui attaquent la démocratie. Il pense donc qu'en étant du côté du vrai on doit forcément l'emporter. Mais c'est sans compter que les arrières-pensées existent, et que l'échange est souvent un rapport de force où c'est le plus informé, et celui qui décide des modalités de l'échange, qui gagne.

Il faut savoir que, dans ces cas, ne pas répondre, retourner la question, est toujours possible. Et que ce n'est pas se dérober, ni lâche : c'est légitime et souvent nécessaire.

La liberté d'expression est un droit, pas un devoir.

"Il faut en débattre", "On ne peut refuser ce débat", "On ne peut se soustraire à ce questionnement", ce sont des phrases que l'on entend souvent, et qui ont été surlignées lors de la mise en place par le gouvernement du débat sur l'identité nationale. Qui dit quoi ? Le gouvernement a quelque chose à dire sur l'identité nationale ? C'est intéressant : qu'il le dise. On verra si la société civile a quelque chose à lui répondre. Par l'intermédiaire de ses représentants, et par son vote.

Le peuple a quelque chose à dire sur l'identité nationale ? Surement, beaucoup de choses, autant que sur nombre d'autres sujets. Il n'y a plus d'agora, mais il y a internet : on peut avoir une idée de ce que pense une partie du peuple en lisant les forums. Et c'est passionnant. Là, il existe une vraie liberté d'expression. Pour le moment.

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