Depuis que notre pays est la cible d'attentats sanglants aux très nombreuses victimes, je suis alarmée de constater que la principale question qui agite les médias c'est de savoir si l'attentat a été revendiqué, et si cette revendication concerne DAECH. Or, selon moi, insister sur une revendication revient à faire une publicité pour les éventuels commanditaires de ces attentats, et pour leurs idéologies. Puisque, en marketing, parler médiatiquement d'un sujet, même en mal, c'est toujours en faire de la publicité.
Or, quelle différence pour les victimes si le camion qui les renverse a subi une rupture du système de freinage, était conduit par quelqu'un de dérangé psychiquement, ou avait aux commandes un fanatique agissant au nom d'un groupe terroriste religieux ? Existerait-il une hiérarchie des morts ? On peut penser que, pour certains, oui, puisque les migrants morts en Méditerranée semblent peser bien moins lourds que ceux qui sont assassinés sur notre sol : voir ici ( http://www.sudouest.fr/2016/05/29/mediterranee-700-migrants-seraient-morts-en-une-semaine-2380121-6116.php ).
En insistant sur la revendication idéologique d'un massacre, ne court-on pas le risque de donner à ce massacre, sinon une légitimité, du moins un statut différent de tous les autres assassinats de masse ?
N'offre-t-on pas, par là-même, une image particulière du meurtrier, qui n'est plus qualifié que de « terroriste » ? Or, un terroriste, quand il tue, poursuit un but : déclencher la terreur dans la population pour défendre sa cause. Je fais l'hypothèse que, pour nombre d'entre nous, rechercher le terrorisme sous le crime de masse représente un effort pour donner un sens à une horreur qui n'en a pas. C'est à la fois logique (puisque ce type d'attentat est effectivement souvent l’œuvre de kamikazes endoctrinés par des mouvements terroristes ) et humain.
Mais en cherchant une « cause » au geste des tueurs, on répond à la manipulation induite dans ce type d'actes : on en fait, par la vitrine médiatique qu'on leur offre, des porte-paroles d'un message, et non de simples criminels. Et cela me semble grave.
A notre époque hyperconnectée, on ne peut pas éviter une couverture médiatique importante de ce type de drame. Mais je pense qu'il serait bon de réfléchir à comment ne pas répondre, dans nos interventions médiatiques, aux attentes des commanditaires des attentats terroristes.
Je propose plusieurs pistes, comme ébauche de réflexion sur cette question :
Ne pas parler de terroristes mais de tueurs, meurtriers, assassins, etc.
Ne pas donner leur nom : en tuant, ces gens deviennent célèbres. Cela déjà, en soi, peut inciter des esprits à l’ego malmené à chercher leur heure de gloire.
Ne pas insister sur les revendications.
Ne pas en rajouter sur la communication de crises, rester sobre lors des interventions. Par exemple, mettre en évidence l'énorme arsenal policier déployé sur les lieux de drames, après les attentats, peut contribuer à montrer les meurtriers comme puissants, et l'attentat comme ayant été efficace.
Ne pas mettre en avant la « guerre au terrorisme » : soyons lucides, aucun État ne pourra rivaliser devant quelques individus prêts à tout et décidés à mourir en faisant le maximum de victimes. En revanche, déclarer la « guerre au terrorisme », c'est faire, me semble-t-il, beaucoup d'honneur à une organisation aux pratiques essentiellement criminelles.
Insister plutôt sur la solidarité, se servir des médias pour favoriser l'aide aux victimes.
Etc.
Je n'ai pas de certitude dans ce domaine, ce ne sont que des questions que je pose, mais il me paraît urgent de nous interroger sur la pertinence de notre réponse aux attentats antérieurs, afin d'être certains de ne pas jouer le jeu que les terroristes attendent de nous, ce qui ne pourrait que les encourager à continuer.